Masri Feki : « Le mot « Maghreb » constitue en soi la négation de l’identité amazighe. »
7 mars 2008
Masri Feki : « Le mot « Maghreb » constitue en soi la négation de l’identité amazighe. »
Né au Caire, Masri Feki est un politologue égyptien, spécialiste du Moyen-Orient. Il est l’un des auteurs (avec Meryem Demnati et Lucien Samir Arezki Oulahbib) d’un ouvrage intitulé « À l’ombre de l’islam. Minorités et minorisés ». Grand défenseur des minorités, il a accepté de répondre à nos questions. Le résultat est cet entretien qu’il faut absolument lire et relire. Car plein d’un tas de renseignements à même de nous faire comprendre les mécanismes d’une idéologie responsable d’une grande partie de nos malheurs.
Officiellement, l’Afrique du Nord, terre amazighe par essence, appartient au "monde arabe". Et plus précisément, à l’Union du Maghreb Arabe (UMA), qu’est-ce que vous en pensez ?
Je refuse le concept de « monde arabe », je préfère celui de « monde arabophone ». Le partage d’une langue commune – du moins officiellement – ne signifie en aucun cas l’adhésion à une seule et même nation. Les Français, les Belges wallons, les Québécois et de nombreux Africains sont francophones de naissance ; on parle de « francophonie » mais pas de « monde français ». De la même façon que les pays anglophones ne constituent pas une seule et même nation. Les Tadjiks et une grande partie des Afghans parlent le persan, ils ne sont pas pourtant Iraniens. Si les populations autochtones en Afrique du Nord font majoritairement usage de la langue des colonisateurs arabes, cela ne fait pas d’eux des Arabes. Dans ce sens, l’arabisme d’Afrique du Nord est un arabisme idéologique avant tout, mais qui ne correspond en aucun cas à la culture de cette région, à son patrimoine historique, ni aux aspirations d’une grande partie des Berbères, c’est-à-dire ceux parmi les populations locales qui sont restés fidèles à leurs origines.
Pour ce qui est du concept de « Maghreb », il constitue en soi une négation même de l’identité amazighe, puisque le mot veut dire « Ouest » en arabe, par opposition à l’« Est » (Machreq) du prétendu « monde arabe ». Parler de « Maghreb » revient donc à considérer l’Afrique du Nord comme une partie du « monde arabe ». Quant à l’Union du Maghreb Arabe, c’est une organisation politique mise en place par des régimes autoritaires, et qui n’a par conséquent aucune légitimité à mes yeux.
Le nationalisme arabe – l’arabisme – n’est pas illégitime en soi, mais la définition extensive qu’il revendique – le pan-arabisme – et le dirigisme culturel restrictif qu’il soutient, dénient les identités nationales des peuples non arabes qui ont adopté l’arabe comme langue nationale, mais aussi de ceux qui ne l’ont pas adopté, comme les Berbères, les Kurdes ou les Turkmène. Et cela est inacceptable.
Qu’est-ce qu’être arabe ?
Les pan-arabes se réfèrent généralement à la définition du théoricien de leur idéologie, Michel Aflaq : « Est arabe celui qui parle arabe, qui se sent arabe et qui veut être arabe ». Il n’y a rien de plus absurde. Selon le raisonnement d’Aflaq, il suffirait à toute personne francophone de vouloir être française, de se sentir française, pour le devenir. L’absurde se mêla à l’infamie lorsque Aflak fit appel à la violence contre les minorités du Moyen-Orient qui s’entêtaient à refuser de se soumettre à l’identité arabe. Ainsi, il prêcha que les nationalistes arabes devaient être « impitoyables [… et] imprégnés de haine […] jusqu’à la mort, envers toute personne qui incarnait une idée contraire à l’idée du nationalisme arabe. […] Une théorie contraire [à la nôtre] ne part pas de rien : elle incarne des individus qui, eux-mêmes, devraient être anéantis afin que l’idée même [l’idée contraire à la nôtre] puisse être anéantie à son tour. (1) C’est cette pensée exclusiviste et chauviniste qui a donné naissance aux régimes baasistes en Syrie et en Irak, et c’est à ce totalitarisme, encore ancré dans les mentalités, que nous devons faire face aujourd’hui.
Selon moi, est arabe toute personne arabophone ressortissante d’un pays arabe, c’est-à-dire de la péninsule arabique. Si les Arabes de la péninsule (en arabe : Al-Jazeera) veulent s’unir dans un grand Etat arabe souverain et démocratique, je serai le premier à les soutenir, mais pas au détriment des peuples non arabes qui habitent cette région (Iraniens, Turcs, Kurdes, Egyptiens, Israéliens, Arméniens), dans le respect des Droits de l’homme et des conventions internationales.
Aujourd’ hui, le constat de l’échec du panarabisme est flagrant. La fin pitoyable de Saddam Hussein en est la preuve. Mais l’islamisme l’a vite remplacé. Comment voyez-vous l’avenir des islamistes ?
Je suis d’accord avec vous, le panarabisme n’existe aujourd’hui que dans l’imaginaire de ses théoriciens. L’incapacité des mouvances nassériennes et baasistes à rassembler, l’autoritarisme des dirigeants arabes qui n’ont jamais été prêts à céder des compétences à une instance arabe supranationale, le manque de coordination entre régimes arabes ont fortement contribué à l’échec du projet panarabe. Le renversement du régime de Saddam Hussein, un des chantres de l’arabisme, avec le concours de nombreux Etats arabes en est le meilleur témoignage. Enfin, le régime baasiste de Syrie, dernière citadelle du panarabisme, a choisi d’entrer dans le giron d’un pays que tout oppose à l’arabisme, belle illustration de cette déroute. Non-arabe et théocratique, la République islamique d’Iran est aujourd’hui le seul protecteur de Damas dans la région. Si la Syrie pourchasse les islamistes à l’intérieur de ses frontières, notamment les Frères musulmans, ses alliés régionaux sont presque tous des islamistes : le Hezbollah au Liban, le Hamas dans les Territoires palestiniens, et j’en passe.
Il n’y a pas de doute qu’en perdant son principal rival idéologique, les islamistes se sont renforcés. Leur principal argument consiste à dire qu’ils n’ont jamais participé au pouvoir et qu’il faudrait leur donner une chance. Il est facile de critiquer le pouvoir et de faire de grandes promesses lorsque vous n’avez aucune expérience de gouvernance, mais la réalité est toute autre. Les exactions commises par les Talibans en Afghanistan, le coup de force du Hamas dans la bande de Gaza et l’implication de nombreux mouvements islamistes au Moyen-Orient dans l’action terroriste démontre bien que cette « école politique » est incompatible avec les valeurs démocratiques au nom desquelles les islamistes s’attaquent aux régimes en place. L’islamisme ne peut avoir d’avenir car il n’a aucun projet de gouvernance. Dire que « l’islam est la solution », slogan cher aux Frères musulmans, ne résoudra pas les problèmes économiques. Ce n’est pas en forçant les gens à faire la prière cinq fois par jour que le taux d’analphabétisme baissera et ce n’est pas en réprimant les minorités que la société musulmane trouvera son salut.
La menace islamiste est d’autant plus pesante que s’élève le risque de prolifération nucléaire. L’instabilité du régime pakistanais, détenteur d’un arsenal d’armement non conventionnel qui pourrait un jour tomber entre les mains des militants fanatiques de ce pays, et les intentions avérées du régime islamique d’Iran à acquérir l’arme suprême doivent faire l’objet d’une plus grande vigilance de la part de la communauté internationale. Car jusque là, la doctrine d’emploi des armes de destruction massive a été dissuasive. Si par exemple vous avez 200 bombes et que votre voisin n’en a qu’une, vous ne pourrez l’attaquer car même avec une seule bombe celui-ci serait capable de vous anéantir en riposte. Mais comme les islamistes sont des êtres prêts à mourir pour les causes qu’ils prétendent servir, l’acquisition par eux de la technologie nucléaire peut avoir des conséquences apocalyptiques. Et le système de dissuasion serait remis en cause de façon radicale. La montée en puissance de l’islamisme n’est donc plus l’affaire exclusive des Orientaux ; le phénomène djihadiste international et la menace nucléaire font de l’islamisme une préoccupation mondiale.
Beaucoup d’Amazighs pensent que le terrorisme qui sévit en Afrique du Nord n’est que la conséquence indirecte de la politique d’arabisation menée par les régimes politiques arabistes au pouvoir. Est-ce que vous partagez cet avis ?
Je ne suis pas un spécialiste de l’Afrique du Nord, mais je crois qu’il faut faire la distinction entre deux éléments distincts : la nature arabiste, comme vous dites, des régimes nord africains et leur caractère autoritaire.
Pour ce qui est du premier point, il faut dire que l’arabisme maghrébin est avant tout idéologique. Les habitants d’Afrique du Nord, dans leur grande majorité, ne sont pas Arabes dans le sens ethno identitaire du terme. Ceux qui affirment le contraire le font par idéologie, par sentiment d’appartenance à la nation arabe. Ce sentiment est le plus souvent teinté de considérations religieuses. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que l’islamisme coïncide avec l’arabisme en Afrique du Nord. Je souligne néanmoins que c’est une spécificité nord africaine. Dans d’autres pays, l’islamisme sunnite monte en puissance en milieu non arabe : l’Afghanistan, le Pakistan et dans une moindre mesure les républiques musulmanes d’Asie centrale.
Concernant, la nature autoritaire des régimes nord africains, il est évident que le manque de démocratie et de liberté d’expression créé des frustrations au sein de la population. La clandestinité des groupes opposants qui en résulte favorise les contestations les plus radicales, en l’occurrence islamistes. Certains prétendent que l’autoritarisme exprime des crispations sécuritaires dues à la menace islamiste, notamment en Algérie où des élections ont failli amener au pouvoir les intégristes. Mais ils ne faut pas oublier que la démocratie ne se limite pas à un simple processus électoral, comme ce fut le cas dans les Territoires palestiniens, mais c’est tout un mécanisme d’organisation décentralisée et concertée des pouvoirs publics et une gamme de libertés publiques qui y sont nécessaires. En Turquie, l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan n’a pas entravé le processus démocratique. Même en matière de politique étrangère, les grandes orientations du régime (engagement européen, partenariat avec Israël…) restent inchangeables. Contrairement aux idées reçues dans le « monde arabophone », le système démocratique assure une plus grande stabilité politique si les règles de son fonctionnement sont bien définies (constitutionnalité de la laïcité en Turquie, paternalisme de l’Armée).
Des dynasties amazighes ont émergé en Egypte, votre pays d’origine. Pouvez-vous démontrer, pour ceux et celles qui croient le contraire, que l’Egypte, malgré l’arabisation, n’est en rien un pays arabe ?
L’Egypte a toujours eu sa propre culture, son propre nationalisme, même après avoir adopté la langue arabe comme langue nationale, tout comme de nombreuses nations dans le monde ont adopté la langue de leurs anciens colonisateurs (le français et l’anglais en Afrique, l’espagnol en Amérique latine etc.). Le concept de « pays arabe » n’est apparu au Caire qu’en 1937 dans un discours du Premier ministre wafdiste Nahas Pacha, sous le règne du roi Farouk Ier. Le fondateur du même parti, Saad Zaghloul, devrait se retourner dans sa tombe à ce moment. Zaghloul était un fervent opposant à l’adhésion de l’Egypte dans l’ensemble arabe qui était en train de se constituer au lendemain de la Grande Guerre sur les décombres de l’Empire ottoman. L’Egypte a toujours été perçue par les Arabes eux-mêmes comme un pays indépendant. Elle n’a ainsi pas été prise en compte dans tous les projets pan-arabes du début du siècle dernier. Au Caire, il existe un quartier résidentiel que les Egyptiens surnomment « le quartier des Arabes » en référence aux riches familles de cheikhs venus d’Arabie qui y résident. Cela démontre bien que le mot « Arabe » renvoie aux peuples d’Arabie pour l’Egyptien moyen.
7 mars 2008
Masri Feki : « Le mot « Maghreb » constitue en soi la négation de l’identité amazighe. »
Né au Caire, Masri Feki est un politologue égyptien, spécialiste du Moyen-Orient. Il est l’un des auteurs (avec Meryem Demnati et Lucien Samir Arezki Oulahbib) d’un ouvrage intitulé « À l’ombre de l’islam. Minorités et minorisés ». Grand défenseur des minorités, il a accepté de répondre à nos questions. Le résultat est cet entretien qu’il faut absolument lire et relire. Car plein d’un tas de renseignements à même de nous faire comprendre les mécanismes d’une idéologie responsable d’une grande partie de nos malheurs.
Officiellement, l’Afrique du Nord, terre amazighe par essence, appartient au "monde arabe". Et plus précisément, à l’Union du Maghreb Arabe (UMA), qu’est-ce que vous en pensez ?
Je refuse le concept de « monde arabe », je préfère celui de « monde arabophone ». Le partage d’une langue commune – du moins officiellement – ne signifie en aucun cas l’adhésion à une seule et même nation. Les Français, les Belges wallons, les Québécois et de nombreux Africains sont francophones de naissance ; on parle de « francophonie » mais pas de « monde français ». De la même façon que les pays anglophones ne constituent pas une seule et même nation. Les Tadjiks et une grande partie des Afghans parlent le persan, ils ne sont pas pourtant Iraniens. Si les populations autochtones en Afrique du Nord font majoritairement usage de la langue des colonisateurs arabes, cela ne fait pas d’eux des Arabes. Dans ce sens, l’arabisme d’Afrique du Nord est un arabisme idéologique avant tout, mais qui ne correspond en aucun cas à la culture de cette région, à son patrimoine historique, ni aux aspirations d’une grande partie des Berbères, c’est-à-dire ceux parmi les populations locales qui sont restés fidèles à leurs origines.
Pour ce qui est du concept de « Maghreb », il constitue en soi une négation même de l’identité amazighe, puisque le mot veut dire « Ouest » en arabe, par opposition à l’« Est » (Machreq) du prétendu « monde arabe ». Parler de « Maghreb » revient donc à considérer l’Afrique du Nord comme une partie du « monde arabe ». Quant à l’Union du Maghreb Arabe, c’est une organisation politique mise en place par des régimes autoritaires, et qui n’a par conséquent aucune légitimité à mes yeux.
Le nationalisme arabe – l’arabisme – n’est pas illégitime en soi, mais la définition extensive qu’il revendique – le pan-arabisme – et le dirigisme culturel restrictif qu’il soutient, dénient les identités nationales des peuples non arabes qui ont adopté l’arabe comme langue nationale, mais aussi de ceux qui ne l’ont pas adopté, comme les Berbères, les Kurdes ou les Turkmène. Et cela est inacceptable.
Qu’est-ce qu’être arabe ?
Les pan-arabes se réfèrent généralement à la définition du théoricien de leur idéologie, Michel Aflaq : « Est arabe celui qui parle arabe, qui se sent arabe et qui veut être arabe ». Il n’y a rien de plus absurde. Selon le raisonnement d’Aflaq, il suffirait à toute personne francophone de vouloir être française, de se sentir française, pour le devenir. L’absurde se mêla à l’infamie lorsque Aflak fit appel à la violence contre les minorités du Moyen-Orient qui s’entêtaient à refuser de se soumettre à l’identité arabe. Ainsi, il prêcha que les nationalistes arabes devaient être « impitoyables [… et] imprégnés de haine […] jusqu’à la mort, envers toute personne qui incarnait une idée contraire à l’idée du nationalisme arabe. […] Une théorie contraire [à la nôtre] ne part pas de rien : elle incarne des individus qui, eux-mêmes, devraient être anéantis afin que l’idée même [l’idée contraire à la nôtre] puisse être anéantie à son tour. (1) C’est cette pensée exclusiviste et chauviniste qui a donné naissance aux régimes baasistes en Syrie et en Irak, et c’est à ce totalitarisme, encore ancré dans les mentalités, que nous devons faire face aujourd’hui.
Selon moi, est arabe toute personne arabophone ressortissante d’un pays arabe, c’est-à-dire de la péninsule arabique. Si les Arabes de la péninsule (en arabe : Al-Jazeera) veulent s’unir dans un grand Etat arabe souverain et démocratique, je serai le premier à les soutenir, mais pas au détriment des peuples non arabes qui habitent cette région (Iraniens, Turcs, Kurdes, Egyptiens, Israéliens, Arméniens), dans le respect des Droits de l’homme et des conventions internationales.
Aujourd’ hui, le constat de l’échec du panarabisme est flagrant. La fin pitoyable de Saddam Hussein en est la preuve. Mais l’islamisme l’a vite remplacé. Comment voyez-vous l’avenir des islamistes ?
Je suis d’accord avec vous, le panarabisme n’existe aujourd’hui que dans l’imaginaire de ses théoriciens. L’incapacité des mouvances nassériennes et baasistes à rassembler, l’autoritarisme des dirigeants arabes qui n’ont jamais été prêts à céder des compétences à une instance arabe supranationale, le manque de coordination entre régimes arabes ont fortement contribué à l’échec du projet panarabe. Le renversement du régime de Saddam Hussein, un des chantres de l’arabisme, avec le concours de nombreux Etats arabes en est le meilleur témoignage. Enfin, le régime baasiste de Syrie, dernière citadelle du panarabisme, a choisi d’entrer dans le giron d’un pays que tout oppose à l’arabisme, belle illustration de cette déroute. Non-arabe et théocratique, la République islamique d’Iran est aujourd’hui le seul protecteur de Damas dans la région. Si la Syrie pourchasse les islamistes à l’intérieur de ses frontières, notamment les Frères musulmans, ses alliés régionaux sont presque tous des islamistes : le Hezbollah au Liban, le Hamas dans les Territoires palestiniens, et j’en passe.
Il n’y a pas de doute qu’en perdant son principal rival idéologique, les islamistes se sont renforcés. Leur principal argument consiste à dire qu’ils n’ont jamais participé au pouvoir et qu’il faudrait leur donner une chance. Il est facile de critiquer le pouvoir et de faire de grandes promesses lorsque vous n’avez aucune expérience de gouvernance, mais la réalité est toute autre. Les exactions commises par les Talibans en Afghanistan, le coup de force du Hamas dans la bande de Gaza et l’implication de nombreux mouvements islamistes au Moyen-Orient dans l’action terroriste démontre bien que cette « école politique » est incompatible avec les valeurs démocratiques au nom desquelles les islamistes s’attaquent aux régimes en place. L’islamisme ne peut avoir d’avenir car il n’a aucun projet de gouvernance. Dire que « l’islam est la solution », slogan cher aux Frères musulmans, ne résoudra pas les problèmes économiques. Ce n’est pas en forçant les gens à faire la prière cinq fois par jour que le taux d’analphabétisme baissera et ce n’est pas en réprimant les minorités que la société musulmane trouvera son salut.
La menace islamiste est d’autant plus pesante que s’élève le risque de prolifération nucléaire. L’instabilité du régime pakistanais, détenteur d’un arsenal d’armement non conventionnel qui pourrait un jour tomber entre les mains des militants fanatiques de ce pays, et les intentions avérées du régime islamique d’Iran à acquérir l’arme suprême doivent faire l’objet d’une plus grande vigilance de la part de la communauté internationale. Car jusque là, la doctrine d’emploi des armes de destruction massive a été dissuasive. Si par exemple vous avez 200 bombes et que votre voisin n’en a qu’une, vous ne pourrez l’attaquer car même avec une seule bombe celui-ci serait capable de vous anéantir en riposte. Mais comme les islamistes sont des êtres prêts à mourir pour les causes qu’ils prétendent servir, l’acquisition par eux de la technologie nucléaire peut avoir des conséquences apocalyptiques. Et le système de dissuasion serait remis en cause de façon radicale. La montée en puissance de l’islamisme n’est donc plus l’affaire exclusive des Orientaux ; le phénomène djihadiste international et la menace nucléaire font de l’islamisme une préoccupation mondiale.
Beaucoup d’Amazighs pensent que le terrorisme qui sévit en Afrique du Nord n’est que la conséquence indirecte de la politique d’arabisation menée par les régimes politiques arabistes au pouvoir. Est-ce que vous partagez cet avis ?
Je ne suis pas un spécialiste de l’Afrique du Nord, mais je crois qu’il faut faire la distinction entre deux éléments distincts : la nature arabiste, comme vous dites, des régimes nord africains et leur caractère autoritaire.
Pour ce qui est du premier point, il faut dire que l’arabisme maghrébin est avant tout idéologique. Les habitants d’Afrique du Nord, dans leur grande majorité, ne sont pas Arabes dans le sens ethno identitaire du terme. Ceux qui affirment le contraire le font par idéologie, par sentiment d’appartenance à la nation arabe. Ce sentiment est le plus souvent teinté de considérations religieuses. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que l’islamisme coïncide avec l’arabisme en Afrique du Nord. Je souligne néanmoins que c’est une spécificité nord africaine. Dans d’autres pays, l’islamisme sunnite monte en puissance en milieu non arabe : l’Afghanistan, le Pakistan et dans une moindre mesure les républiques musulmanes d’Asie centrale.
Concernant, la nature autoritaire des régimes nord africains, il est évident que le manque de démocratie et de liberté d’expression créé des frustrations au sein de la population. La clandestinité des groupes opposants qui en résulte favorise les contestations les plus radicales, en l’occurrence islamistes. Certains prétendent que l’autoritarisme exprime des crispations sécuritaires dues à la menace islamiste, notamment en Algérie où des élections ont failli amener au pouvoir les intégristes. Mais ils ne faut pas oublier que la démocratie ne se limite pas à un simple processus électoral, comme ce fut le cas dans les Territoires palestiniens, mais c’est tout un mécanisme d’organisation décentralisée et concertée des pouvoirs publics et une gamme de libertés publiques qui y sont nécessaires. En Turquie, l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan n’a pas entravé le processus démocratique. Même en matière de politique étrangère, les grandes orientations du régime (engagement européen, partenariat avec Israël…) restent inchangeables. Contrairement aux idées reçues dans le « monde arabophone », le système démocratique assure une plus grande stabilité politique si les règles de son fonctionnement sont bien définies (constitutionnalité de la laïcité en Turquie, paternalisme de l’Armée).
Des dynasties amazighes ont émergé en Egypte, votre pays d’origine. Pouvez-vous démontrer, pour ceux et celles qui croient le contraire, que l’Egypte, malgré l’arabisation, n’est en rien un pays arabe ?
L’Egypte a toujours eu sa propre culture, son propre nationalisme, même après avoir adopté la langue arabe comme langue nationale, tout comme de nombreuses nations dans le monde ont adopté la langue de leurs anciens colonisateurs (le français et l’anglais en Afrique, l’espagnol en Amérique latine etc.). Le concept de « pays arabe » n’est apparu au Caire qu’en 1937 dans un discours du Premier ministre wafdiste Nahas Pacha, sous le règne du roi Farouk Ier. Le fondateur du même parti, Saad Zaghloul, devrait se retourner dans sa tombe à ce moment. Zaghloul était un fervent opposant à l’adhésion de l’Egypte dans l’ensemble arabe qui était en train de se constituer au lendemain de la Grande Guerre sur les décombres de l’Empire ottoman. L’Egypte a toujours été perçue par les Arabes eux-mêmes comme un pays indépendant. Elle n’a ainsi pas été prise en compte dans tous les projets pan-arabes du début du siècle dernier. Au Caire, il existe un quartier résidentiel que les Egyptiens surnomment « le quartier des Arabes » en référence aux riches familles de cheikhs venus d’Arabie qui y résident. Cela démontre bien que le mot « Arabe » renvoie aux peuples d’Arabie pour l’Egyptien moyen.
Dernière édition par Admin le Mer 12 Mar - 21:59, édité 1 fois