Le dialogue inter-religieux lancé par le Roi d’Arabie, par Raymond Ibrahim mardi 28 octobre 2008, par Annie Lessard, Marc Lebuis«
Quand l’Arabie aura reconnu les droits fondamentaux des non musulmans, sans parler des droits des citoyens saoudiens qui souhaitent se convertir à une autre religion sans être exécutés, alors le dialogue pourra s’ensuivre. D’ici là, les Saoudiens n’ont aucune place à la table. En fait, ils devraient avoir honte de leur hypocrisie flagrante ».
Raymond Ibrahim est un historien et un auteur qui écrit sur le Moyen-Orient et l’Islam. Il est l’auteur de
The Al-Qaida Reader (Doubleday, 2007). Né aux Etats-Unis de parents coptes égyptiens, il parle couramment l’arabe. Il a fait ses études à la California State University (histoire, anglais et philosophie), et des études supérieures au Center for Contemporary Arab Studies de l’Université de Georgetown. Ses chroniques et ses analyses ont été publiées dans de nombreux médias nationaux et internationaux.
Traduction de :
Saudi calls for "interfaith dialogue" in context, par Raymond Ibrahim, sur jihadwatch, le 27 octobre 2008
Selon l’Associated Press, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a récemment déclaré qu’il envisage de participer à une réunion qui aura lieu en novembre à l’ONU à New York, pour poursuivre son « initiative visant à promouvoir le dialogue interreligieux ». Pour le Roi, le fait que les musulmans « tendent la main aux non musulmans aidera à
purifier la réputation de l’islam en cette époque où cette religion est critiquée dans le monde ».
Bien sûr, ce n’est rien de nouveau. Abdallah est engagé dans le « rapprochement » avec les infidèles depuis un certain temps maintenant. Avant la conférence interconfessionnelle tant vantée de Madrid, le monarque saoudien aurait livré un « plaidoyer passionné pour le dialogue entre musulmans, chrétiens et Juifs » - allant jusqu’à appeler les deux derniers « nos frères ». Le Jerusalem Post a écrit que ces dialogues seraient axés sur le développement du « respect entre les religions ».
Le royaume d’Arabie est toutefois célèbre pour défendre avec ténacité, et pour exporter, le « wahhabisme/salafisme », cette version littéraliste de l’islam qui ne prêche absolument aucune tolérance, qui tue les apostats, et condamne tous les non musulmans comme infidèles. Il est également célèbre pour avoir fourni 15 des 19 pirates de l’air du 11/9, pour avoir « éduqué » des gens tels que Osama bin Laden, et pour exhiber une épée sur son drapeau national. On ne peut s’empêcher de s’interroger sur les motivations du vieux monarque. En outre, alors que le roi saoudien tente de séduire les infidèles avec ses appels au « dialogue », le fait que les manuels scolaires de son royaume exhortent la jeunesse de l’Arabie saoudite à haïr tous les non musulmans est une démonstration supplémentaire du manque de sincérité d’Abdallah.
Voici une anecdote révélatrice : plusieurs jours avant la conférence de Madrid, l’éminent cheikh saoudien Abdul Rahman Barack a émis une fatwa condamnant à mort deux écrivains saoudiens. Leur crime ? Ils ont écrit des articles dans le journal saoudien Al-Riyad remettant en question la position musulmane qui traite tous les non musulmans d’« infidèles », ceux que le roi saoudien appelle par ailleurs des « frères ». Selon la presse arabe, Barack a dit : «
Toute personne qui prétend que les non musulmans ne sont pas des infidèles a renié l’islam, et doit être jugée pour qu’elle puisse se rétracter, sinon elle devra être tuée pour avoir apostasié l’islam ».
Est-ce à dire que le Roi Abdullah croit vraiment que les chrétiens et les Juifs ne sont pas des infidèles, auquel cas Barack devra-t-il émettre une fatwa contre lui pour apostasie ?
Le roi saoudien est-il par ailleurs conscient qu’un « dialogue » est censé être mené par deux participants ou plus qui croient sincèrement avoir certains droits humains fondamentaux en commun, comme la liberté de pratiquer la religion de son choix sans être agressé ? Seuls les peuples civilisés qui s’entendent sur ces principes fondamentaux peuvent passer à des choses plus temporelles, comme les différends territoriaux (par exemple, Israël et la Palestine). Mais à quoi sert d’avoir un « dialogue » sur des questions secondaires lorsque les principales questions – les droits humains fondamentaux - ne font pas partagées par l’ensemble des parties ?
Voici la situation en Arabie saoudite : ceux qui osent apostasier doivent être tués. Aucune église, synagogue, ou autre symbole d’un culte non musulman (par exemple, des croix, des étoiles de David, des Bibles) n’est autorisé dans la péninsule. Il est interdit aux non musulmans d’aller à La Mecque ou à Médine.
Il ne s’agit que de la partie visible de l’intolérance pratiquée dans la patrie de l’islam et de son fondateur. Théoriquement - ou plutôt, théologiquement -, la vision juridique de l’islam n’est guère mieux : chaque fois que l’occasion se présente, le monde entier doit être assujetti au règne islamique, que ce soit volontairement ou par l’épée, selon le modèle établi par le prophète islamique et les premiers califes « justes ». Ce qui est encore plus troublant est que cette vision islamique de la conquête du monde n’est pas seulement le produit de certaines écoles de pensée islamiques obscurantistes, ni un « détournement » par Ben Laden et ses semblables. Au contraire, c’est la vision du monde codifiée par l’ensemble des quatre écoles de jurisprudence de l’islam sunnite. En fait, c’est un devoir (
fard kifaya) imposé à l’ensemble des musulmans.
Ceci étant, d’où vient le culot que manifeste Abdallah en appelant au « dialogue » ? La sincérité d’une communauté et sa tolérance envers l’« Autre » se mesure à la manière dont elle traite les « Autres » qui sont sous son autorité.
Aux États-Unis, par exemple, les minorités musulmanes ont exactement les mêmes droits que les chrétiens, les Juifs et les autres : le droit de construire des lieux de culte (mosquées), le droit de porter publiquement leurs livres saints (Coran), le droit de manifester leur religion et de faire du prosélytisme, et aussi, le droit d’
être musulman. C’est la preuve que l’Occident est prêt pour le dialogue sur les questions accessoires : il a déjà manifestement démontré sa ferme conviction que ces libertés fondamentale sont garanties à tous.
Des pays comme l’Arabie saoudite ne témoignent d’aucun respect pour les droits humains et les libertés fondamentales. Le contraste est amplement démontré par les récents commentaires d’un saoudien de haut rang qui a dit qu’« il ne sera pas possible d’entamer des négociations officielles sur la construction d’une église [notez le singulier] en Arabie saoudite avant que le Pape et toutes les églises chrétiennes ne reconnaissent le prophète Mahomet » - ce qui, bien sûr, ferait de tous les chrétiens, des musulmans.
En fait, les appels saoudiens au dialogue sont l’équivalent de l’hypothétique scénario suivant : Imaginez si aujourd’hui, les États-Unis enchâssaient et
mettaient en application des lois constitutionnelles stipulant que les Noirs sont inférieurs aux Blancs, et que, au mieux, ils doivent être traités comme des citoyens de deuxième classe. Pour ensuite, malgré que le monde entier soit au courant de ces lois, et malgré que les Noirs vivant en dehors des États-Unis entendent constamment parler de la persécution des Noirs aux États-Unis, eh bien malgré tout cela, imaginez si les États-Unis tendaient
aussi la main à de puissantes nations d’Afrique en insistant que le « dialogue » est nécessaire - histoire de « clarifier les choses » et démontrer (verbalement) que les Noirs sont considérés comme des « frères ».
Peut-être la meilleure preuve que le vieux roi n’est pas sincère réside-t-elle dans le fait que dans la plupart de ses discours soi-disant « multi-culti », les polythéistes sont manifestement laissés de côté. Ainsi avant Madrid, Abdallah a continuellement souligné que ce dialogue devait être limité à « nos frères des religions que j’ai mentionnées, la Torah [les Juifs] et les Évangiles [les chrétiens] ». Si le roi saoudien entendait honnêtement promouvoir la tolérance religieuse dans le monde entier, pourquoi les polythéistes n’étaient-ils pas invités au dialogue ? Plus précisément, pourquoi n’a-t-il pas invité les Hindous, qui ont également une histoire longue et souvent sanglante avec l’islam, y compris des différends territoriaux (par exemple, au Cachemire) qui se perpétuent à ce jour ?
La raison théologique est que les polythéistes (
al-mushrikun) sont dans une situation pire encore que les chrétiens et les juifs (le Coran les appelle les « gens du Livre », sauf dans les derniers chapitres et versets, qui ont préséance conformément à la doctrine de l’abrogation, où ils sont considérés comme des « infidèles » qui doivent être combattus à perpétuité). Ainsi, alors que les « frères » chrétiens et Juifs de Abdullah peuvent préserver leurs croyances (une fois soumis et contraints à vivre selon le statut de 2e classe des « dhimmis »), les polythéistes, eux, doivent se convertir ou mourir.
Il est évident que ce n’est pas pour des raisons théologiques que le roi n’a pas tendu la main aux Hindous. En effet, au plan doctrinal, les Juifs et les chrétiens sont à peine mieux traités qu’eux. C’est plutôt que le roi voit un besoin de rapprochement avec le puissant monde occidental judéo-chrétien, et ne ressent pas un besoin pressant de se rapprocher des Hindous.
Pourtant, si le dialogue a pour but d’atténuer les conflits, les Indiens ne devraient-ils pas à tout le moins être invités à ces discussions ? En effet, l’Inde hindoue et le Pakistan musulman, qui ensemble ont une population de 1,5 milliard, sont parfois au bord d’un conflit nucléaire, quand ce n’est pas le Pakistan qui connaît des bouleversements internes. La réponse est évidente : les frères musulmans du Pakistan sont assez forts pour tenir les Hindous en respect, les deux pays ayant des armes égales. Il n’y a donc pas, à ce stade, un besoin de se « rapprocher » de ces infidèles-là.
Bien que le « plaidoyer passionné pour le dialogue » par Abdallah soit certainement digne de soutien, le point de départ de ce dialogue doit être le traitement que le monde musulman réserve aux non musulmans à l’intérieur de ses frontières. Une fois que l’Arabie saoudite aura reconnu les droits fondamentaux des non musulmans, sans parler ceux des citoyens saoudiens qui souhaitent tout simplement pouvoir se convertir sans être exécutés, alors le dialogue sur des questions secondaires pourra s’ensuivre. D’ici là, les Saoudiens n’ont absolument aucune place à la table de négociations. En fait, ils devraient plutôt avoir honte de ces continuelles manifestations publiques d’hypocrisie flagrante.