[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] L’agriculture algérienne serait donc à réinventer, selon les orientations du Président de la République données lors du Conseil des ministres du mercredi 28 février dernier. Cette orientation fait suite au constat selon lequel il serait prématuré de faire le bilan du Plan national de développement agricole et rural, par abréviation PNDAR. Nous sommes ainsi supposés avoir inventé quelque chose dont on ne sait trop comment faire le bilan et qu’il faudra réinventer. Bizarre. Pourtant, les bilans sont à portée de main dès lors que l’on voudra en savoir plus sur cette agriculture qui nous affamerait, si ce n’est l’importation de nos denrées alimentaires à fortes factures, qui fait le bonheur des importateurs. Pourtant, les experts s’accordent à dire que s’il est un programme qui a partiellement réussi dans une politique économique de l’arbitraire, c’est bien le PNDAR.
Qu’en est-il alors des autres secteurs qui ont leur part dans cette crise persistante qui ne semble se résoudre qu’à gros budgets ? Crise de la pomme de terre énième version, crise du lait qui prend des allures de désastre, poussée de la consommation de viande congelée, y compris dans les hauts-plateaux, pays du mouton. Flambée des prix à la limite de l’entendement, plus de 1,5 million de personnes touchées par la sous-alimentation, un retard de croissance chez les enfants encore important, traduisent l’état nutritionnel de la population algérienne, cadrant mal avec l’annonce de résultats autosatisfaisants.
Manger, seulement manger, voilà notre seul programme dans un pays où certains mangent toute l’Algérie, pendant que le reste cherche un simple strapontin pour les regarder se goinfrer, faisant exploser toutes les normes de la charge pondérale à faire sauter les boutons de leurs vestes et changer d’encolure tous les ans d’un numéro en plus. Manger bien et durablement, voilà ce que l’on appelle la sécurité alimentaire, aux pourtours de laquelle on sème sans cesse des phrases au lieu de semer d’abord et avant tout des idées qui rationalisent l’usage des 3 pour cent seulement de terres arables, qui nous restent sur un territoire aussi grand pour nous qu’une grosse chaussure portée par un enfant, jouant à l’adulte en ne portant que les chaussures de l’adulte. Jouer à l’autruche avec une tête de lion. Ou de tigre avec une tête d’autruche. Il n’y a pas de quoi s’enorgueillir d’une relative augmentation de la production agricole, si l’on considère ce que le secteur a englouti comme argent, en bassins et autres gadgets du goutte-à-goutte mal utilisés, mal entretenus, au point où la participation et les approches qui en découlent, se résument à fournir des équipements et de l’argent, sans se soucier des impacts qu’elles génèrent sur des objectifs pourtant clairement définis. Il n’y a pas de quoi s’enorgueillir des effets de la lutte contre la désertification en mettant en défens des terres menacées, quand les gardiens chargés de les protéger encaissent une misère et qu’ils finissent éleveurs à leur tour, profitant de leurs pouvoirs nocturnes et en l’absence de contrôle. Lorsque les investissements en infrastructures de conservation ne servent qu’à spéculer sur les produits de base livrés au moment voulu, pour assurer à la rente longue vie et prospérité.
Lorsque l’orange et autres fruits nous parviennent en quantité grâce à la fermeture des frontières, en attendant des solutions « globales et pérennes », comme annoncé par le gouvernement. Comment par ailleurs créer des exploitations agricoles viables si le statut des terres n’est pas clarifié et que la terre Algérie demeure sous-cadastrée, alors que les recommandations du Conseil national économique et social datent de Mathusalem ? Qui a intérêt à clarifier la complexité du foncier ? Ou plutôt à la laisser dans le flou pour permettre une redistribution en douce des terres «arch», comme cela a été le cas pour les autres terres ? Mais quel défi donc devons-nous relever face aux pouvoirs des importateurs de tous genres, solidement assis dans la sphère du gain à tout prix et des relations « solides là-haut » ? Quel défi ? Celui de tendre l’autre joue à chaque gifle que les couffins nous donnent devant les exigences de la vie familiale ? Faire le suivi des actions engagées à grands budgets par de jeunes agronomes lancés à la conquête de l’espace agricole, sans véhicules et sous-payés, traversant des centaines de kilomètres parfois en bus, mis en position de fragilité face aux investisseurs, voilà une réalité dont il faut tenir compte.
Et l’on se demande pourquoi la Mitidja, qui nourrissait jadis toute une population, n’arrive plus à reprendre le dessus sur l’accaparement des terres par des gens qui n’ont aucun lien, aucun amour pour la terre. Et l’on s’offusque à l’idée de la « colonisation positive » en prétextant cette sempiternelle idéologie nationaliste, dont il ne reste que les discours baveux et avares de raison. A l’époque de la Révolution agraire, souvenons-nous de cette anecdote qui faisait dire à feu Boumediène, s’adressant à un fellah pauvre: « Tu vois ce gros propriétaire foncier de l’autre côté de la route ? Nous allons le ramener à ton niveau social ». Le fellah pauvre, choqué, répond: « Mais je pensais que la Thaoura ziraia allait me permettre de devenir comme lui ! ». Sans commentaire.
Bien sûr que les choses ont pris une tout autre tournure avec les réformes et ce qui en a résulté. A
l’époque, notre pétrole avait la couleur « du sang des martyrs » et on pouvait se permettre à ce titre d’arracher le vignoble par excès de nationalisme. Un massacre autant écologique que social, qui fait aujourd’hui se frotter les mains les vignerons bordelais. Résultat, un autre raisin arrive par les ports pendant que notre poisson meurt de vieillesse. Résultat: les vins algériens « hors hydrocarbures » baissent la tête devant les vins français. Résultat: trente années plus tard, on replante les vignobles en espérant qu’ils pousseront aussi vigoureux que du temps de la colonisation. Qui a payé pour cela ? Personne, comme toujours.
Quant à l’agriculture dite saharienne, qui produisait de quoi nourrir des familles entières et qui fournissait les plus belles dates du monde, oui du monde, il n’y a qu’à longer les palmeraies pour s’apercevoir de l’état de pollution des eaux usées qui s’y déversent et du nombre de palmiers qui se meurent. Du nombre de parcelles abandonnées pour une question précisément de foncier alors que les maladies détruisent ce qui reste.
Lorsque le Président parle de réinventer l’agriculture, il veut probablement parler de la réinvention d’un pays tout entier et surtout d’un Etat. Voilà ce qu’il faut d’abord inventer. Un Etat.
QUOTIDIEN D'ORAN