Nedroma
Gilbert GRANDGUILLAUME
Gilbert GRANDGUILLAUME
Extrait de "Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée
ENTRE LES ABDELWADITES ET LES MERINIDES.
La tribu zénata des Beni'Abd-El-Wad avait été installée par Abd-El-Moumen dans la partie occidentale de l'Oranie, en récompense de son ralliement et dans le but d'y maintenir l'autorité du souverain.
La fortune des Abdelwadites commence en 1235 par le long règne de Yaghmorasan Ibn Ziyan (1235-1283), qui crée un état indépendant ayant pour capitale Tlemcen.
On sait que les Abdelwadites furent en conflit quasi-permanent avec la dynastie issue de la même tribu zénata, les Merinides de Fes.
C'est au cours d'un conflit entre Yaghmorasan et le Mérinide Abou Yousof Ya'qoub (1258-1286) que Haroun Ben Moussa, chef des Matghara de Taount, prit parti pour le mérinide et s'empara de Nedroma.
La ville fut bientôt reprise par Yaghmorasan, puis par Abou Yousof, qui la rendit à Haroun Ben Moussa.
Enfin, elle fut reprise par Yaghmorasan vers 1268-1269 (667 H).
Il semble qu'elle ne fut pas reprise par Abou Yousof lorsque ce prince vainquit les Abdelwadites près de l'Oued Isly (16 février 1272), et qu'il vint assiéger Tlemcen sans résultat; il bâtit en effet cette même année une forteresse avancée à Taount, près de l'actuelle Ghazaouat.
Cette forteresse de Taount ne tarda pas à être livrée à Yaghmorasan, à la suite de négociations, par son gouverneur Haroun en 1273 (672 H). En effet, les Mérinides durent la reconquérir en 1297-1298.
En 1290, Abou Ya'qoub Yousof (1286-1307) vint assiéger dans Tlemcen le successeur de Yaghmorasan, Abou Sa'id 'Othman (1283-1304) sans pouvoir en venir à bout : il dut se retirer.
En 1295-1296 (695 H), Abou Ya'qoub put entreprendre une grande expédition contre Tlemcen, et chercha à l'isoler. C'est ainsi qu'en juin juillet 1297 (ramadhan 696), il mit le siège devant Nedroma et la tint bloquée pendant un mois, la foudroyant, dit-on, de ses catapultes.
C'est possible puisque les Merinides avaient, parait-il, utilisé pour la première fois des pièces d'artilleries au siège de Sijilmassa en 1274. Le sultan ne put venir à bout de la ville et, le 3 août 1297 (2 de choual), il leva le siège pour aller sur Oran.
Toutefois, la garnison mérinide d'Oujda avait pour mission de ravager les environs de la ville et en rendait la situation intolérable. Par ailleurs, la cité n'était plus protégée par le prince Abou Sa'id 'Othman, occupé à des expéditions dans le Maghreb central.
Aussi le gouverneur de Nédroma et de Taount, Zakaria Ibn Yakhleften Al-Matghari - par trahison, dit Ibn Khaldoun - entra en pourparlers avec les Mérinides, et la ville fut remise en 1298 à Abou Yahya, frère de Yousof. Des cheikhs de la ville furent même envoyés confirmer la soumission des habitants auprès de l'émir Abou Ya'qoub, le 6 avril 1299 (8 de redjeb 698 H).
C'est peu de temps après, le 6 mai 1299, que le prince mérinide s'installa devant Tlemcen, pour le long siège qui devait durer jusqu'à sa mort, le 13 mai 1307, période au cours de laquelle fut édifiée la ville de Mansourah.
Le règne d'Abou-L-Hasan (1331-1348/1351)
A la suite des entreprises de l'Abdelwadite Abou Tachfin contre les Hafcides, alliés des Mérinides, la guerre reprit -en 1334 entre Tlemcen et Fes. Les troupes mérinides investirent Tlemcen au début de 1335 : la capitale abdelwadite fut emportée le l e mai 1337.
Entre temps, Abou-l-Hasan faisait la conquête de toute la région, et c'est ainsi qu'en août 1335 (735 H), il vint assiéger Nedroma.
La ville fut prise d'assaut en un jour, et toute la garnison abdelwadite fut passée au fil de l'épée.
Il semble que l'occupation mérinide ait été assez dure pendant douze ans, puisqu'il est dit qu'en 1347 (747 H) les Nédromi firent appel à la clémence du prince qui leur accorda un meilleur statut.
C'est à partir de cette année là que la ville fut gouvernée par des princes hafsides, qui s'étaient démis de leurs commandements lorsque Abou-l-Hasan occupa le Maghreb oriental, en 1347.
A ce moment, dit Ibn Khaldoun, "l'émir de Bougie, Abou Abd-Allah Mohammed, fils de l'émir Abou-Zakaria, sortit au¬devant du sultan mérinide et fut aussitôt envoyé au Maghreb avec ses frères. On lui assigna Nedroma pour résidence, avec une partie des impôts de cette ville pour son entretien". (III. p. 46).
Abou Abd-Allah ne demeura pas longtemps à Nédroma, puisque, dès 1348, il reprenait possession de Bougie, après s'être associé à la révolte de Abou'Inan contre son père Abou-1-Hasan.
Il semble que le commandement de la ville ait été confié par la suite à l'émir de Constantine, Abou Zeid, qui avait lui aussi fait acte de reddition à l'arrivée de Abou-l-Hasan devant sa ville.
Le Règne d'Abou 'Inan (1346-1358)
Après la défaite d'Abou-l-Hasan à Kairouan, son fils Abou 'Inan se proclame sultan. Deux princes abdelwadites, Abou Sa'id et son frère Abou Thabit, rétablissent leur royaume à Tlemcen en 1348.
Selon Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères), "une des premières expéditions qui se firent sur l'ordre du nouveau sultan fut dirigée contre les Koumia et eut pour motif la révolte de leur chef Ibrahim Ibn Abd-El-Malek, cheikh et membre de la famille des Beni-Abed, la même tribu koumienne qui avait produit Abd-el-Moumen, sultan almohade...
Le sultan Abou Thabit marcha contre les insurgés, en tua plusieurs, fit un grand nombre de prisonniers et emporta d'assaut la ville de Honein, et ensuite celle de Nedroma". (III. p. 425).
Il semble que, si Honein fut effectivement la place forte des révoltés koumia, à Nedroma, par contre -selon Canal- une garnison mérinide s'était maintenue. C'est en 1348 (749 H) que la ville fut prise d'assaut et pillée par les troupes d'Abou Thabit.
C'est cette année-là, que le frère ainé d'Abou Sa'id et de Abou Thabit, Abou Ya'qoub Yousof, se retira à Nédroma, pour y vivre une "pieuse retraite", renonçant à toute ambition politique. Son fils Abou Hamou Mousa II - qui devait régner plus tard sur Tlemcen, de 1359 à 1389 - vint l'y rejoindre et c'est là que naquit le fils de ce dernier, Abou Tachfin, en avril-mai 1351 (rebi'752 H).
Après la défaite d'Abou Thabit en 1352, Abou Hamou s'enfuit avec celui-ci vers l'Ifriqya, mais Abou Ya'qoub et son petit-fils Abou Tachfin demeurèrent à Nédroma : la région était passée à nouveau sous le contrôle des Merinides, mais Abou 'Inan avait défendu qu'on leur fit du mal. Plus tard, il les fit amener à Fes, où ils furent bien traités. Ils revinrent à Tlemcen lors de la conclusion de la paix entre Mansour Ben Solayman et Abou Hamou.
Notons enfin que c'est en cette année 1348 (749 H) que fut construit le minaret actuel de la Grande Mosquée de Nedroma, comme en témoigne l'inscrip¬tion sur marbre encore visible aujourd'hui dans la mosquée, et dont voici la traduction
"Au nom d'Allah, le clément, le miséricordieux. Bénédiction d'Allah sur notre seigneur Mohammed.
Les gens de Nédroma ont construit ce minaret avec leur argent et de leurs propres mains. Toute récompense vient d'Allah.
Il fut construit en cinquante jours. Il fut bâti par Mohammed ben 'Abdelhaqq ben 'Abderrahmane ech-Chisi, l'an 749. La miséricorde d'Allah sur tous."
On ne sait si le minaret fut construit avant la prise de la ville, ou après. Il est possible aussi que l'arrivée de Abou Ya'qoub "le sultan mystique" ait soulevé un élan populaire et entraîné l'initiative des habitants.
Dans la période de décadence qui suivit, il semble qu'une tribu Ma'qil, les Doui 'Obeid Allah, établie d'abord entre Tlemcen et Oudja, ait obligé le sultan à lui concéder Oujda, Nedroma, les Beni Iznasen, Mediouna, et les Beni Snous, ainsi que les impôts que ces territoires avaient coutume de lui payer.
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