Interview du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi
(...)
Alors, c’est le Sahara ?
Nous étions tous convaincus dès le départ – bien sûr, les plus âgés avant les autres – que le Sahara était mauritanien. Que c’était les mêmes populations, et par conséquent nous n’avons jamais pensé qu’il s’agissait d’un problème de différence de société, qu’il ne pouvait s’agir que d’un problème de colonialisme, d’administration, de situations particulières. Bien que je n’ai jamais eu à l’idée, à ce moment-là, ni par la suite, que l’on puisse faire quelque chose de bon en voulant imposer aux gens ce qu’ils ne veulent pas – je n’ai jamais pensé, jusqu’au coup d’Etat, que ce problème se posait. Je pensais qu’il y avait des populations mauritaniennes – un peu comme toutes ces populations sahraouies qui étaient plus ou moins au courant des choses, et qu’un certain nombre de gens, plus politiques, qui étaient soit des Sahraouis, soit d’autres comme les Algériens, pouvaient tenter d’utiliser à des fins d’ordre politique. Je n’ai pas vécu toute cette période comme une période dans laquelle nous voulions imposer à des gens notre volonté de les amener à être avec nous. Et je me suis rendu compte – je vous le dis très franchement – .après le coup d’Etat, que, pendant toute cette période, et malgré le fait que j’étais responsable, je n’étais pas bien informé. Beaucoup de gens ont commencé à parler : non, ce n’était pas comme çà ! Il ne fallait pas faire comme çà, ce n’était pas une bonne politique. Je ne pouvais pas me douter du fait que nous avions une opinion assez large qui pensait comme çà.
Nous nous sommes trompés sur la réalité de ce problème, tel qu’il était vécu par les gens dans les années 1970. Cette évolution qui s’est faite, le Polisario avec tout cela, je pense que nous n’en avons pas pris très correctement la mesure. Nous avons toujours vu là des complications que les Algériens voulaient nous faire. Et il nous a manqué peut-être une réflexion sereine, et peut-être le fait de chercher réellement à savoir de quoi il s’agissait. Les conséquences de cet état de choses ont été d’autant plus graves et importantes que l’on était très loin d’imaginer qu’elles puissent exister, lorsque nous nous sommes engagés dans ce problème. Vous êtes désarçonné plus facilement lorsque vous avez des choses que vous ne voyez pas et qui apparaissent. Ce que le président Moktar nous avait communiqué, c’est la force de sa conviction, de son bon droit, c’est la force de sa conviction que c’est çà qui était l’intérêt des Sahraouis de rejoindre la Mauritanie. Et lorsque ces problèmes se sont posés, d’intérêts des nations, de rapports de forces, de rapports conflictuels, nous nous sommes trouvés dans une situation très simple : c’est que nous étions un pays très faible par rapport à des voisins qui étaient beaucoup plus forts. Devant un univers international qui ne pouvait pas accéder profondément à ce que nous, nous pensions de ce problème et comment nous le sentions. Même nos amis français, malgré les relations particulières qu’ils avaient avec nous, à la fin ne voyaient pas très bien où nous allions et ils souhaitaient trouver une solution. Mais il n’y avait pas suffisamment de quoi peser pour considérer que le fait que le Sahara ne soit pas rattaché à la Mauritanie, constituerait une erreur historique.
A ce stade, Sidi, je vous coupe. Il y a deux questions qui me viennent à l’esprit. Est-ce qu’il y a eu des discussions en Bureau politique et en Comité permanent avant même le sommet de Rabat et la déclaration de Boumedienne, et puis ensuite avant les accords de Madrid et la conduite de la guerre ? Est-ce que la collégialité fonctionnait bien ? Et est-ce qu’elle a continué de fonctionner jusqu’en 1978 ?
Je ne me souviens pas, personnellement, de grandes discussions sur la question du Sahara portant sur le fait de savoir quelle est la position que la Mauritanie devait avoir par rapport à cette question. Toute notre politique à l’époque était de tenter de faire en sorte de nous opposer à tout ce qui pouvait brouiller un peu l’idée que nous, nous avions, que le Sahara était partie intégrante de la Mauritanie, que c’était un problème de décolonisation. Notre ennemi de l’époque était le Maroc parce qu’il revendiquait le Sahara, et nos relations avec l’Algérie pouvaient être des relations stratégiquement à notre profit, même si formellement l’Algérie disait qu’elle s’engageait pour le droit des peuples, pour la décolonisation et pour l’indépendance. Nous, nous étions tellement persuadés de notre bon droit et de la conviction que les Sahraouis allaient venir vers nous, que ceci ne paraissait pas porteur de quelque danger que ce soit.
Pour répondre à votre question, je ne me souviens pas qu’on ait posé ou débattu du problème pour savoir : est-ce que la Mauritanie a intérêt à chercher à avoir le Sahara ? Est-ce que la Mauritanie peut concevoir …ou quels sont les avantages et les inconvénients qu’elle pourrait tirer du fait d’avoir telle ou telle position … La conviction du Président était suffisamment forte, claire, ancienne pour que la remise en cause de cette conviction ancienne ne fasse pas débat.
Et le fait d’être passé d’une position de soutien de l’autodétermination à un partage n’a pas paru contradictoire ?
Cela m’est apparu comme une sorte d’aubaine. Voilà quelque chose qui va stabiliser et officialiser définitivement notre problème de frontière avec le Maroc et de revendication marocaine. Il nous est apparu que l’auto-détermination prônée par l’Algérie allait dans le sens de ce que nous voulions : les Sahraouis allaient dire qu’ils vont venir avec nous, et les Algériens, étant pour l’autodétermination, allaient dire : nous respectons ce que les Sahraouis veulent.
Si nous avons accepté la solution du partage, c’est parce que nous nous sommes trouvés devant un gouvernement algérien décidé à nous empêcher d’avoir le Sahara avec nous. L’Algérie était beaucoup plus forte que nous, et les réactions que nous recevions de l’opinion nationale et internationale étaient telles que nous ne pouvions pas compter sur d’autres pour obliger les Algériens à accepter que nous puissions avoir notre Sahara. Et le Maroc l’a demandé en entier. La seule solution pratique possible qui s’offrait à nous, c’était encore d’aller vers ce partage.
Rétrospectivement, je pense encore aujourd’hui que de toute façon, il n’y avait pas d’autre solution. Ou bien le Maroc prenait tout, ou bien vous en preniez une partie, mais il n’y avait pas une troisième solution.
Oui, la troisième solution était rendue impossible avec la nouvelle position de l’Algérie. Avant 1975, il y avait d’autres positions qui nous arrangeaient, parce que tout ce qui était mis par l’Algérie sous le vocable de respect de l’autodétermination des peuples, ne se contredisait pas dans notre esprit à nous, avec ce que nous voulions. Brusquement, tout cela s’est fait en quelques mois : avec quelques rencontres, avec quelques déclarations faites au niveau de l’O.U.A. ou ailleurs et surtout avec le voyage du Président à Béchar, il est apparu que c’était terminé, que cette voie était totalement fermée. La seule voie qui restait était la voie du Maroc qui réclamait tout et qui acceptait maintenant que nous partagions ce Sahara. Il a été l’élément le plus lourd, le plus fort dans tout ce que nous avons fait par la suite.
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Alors, c’est le Sahara ?
Nous étions tous convaincus dès le départ – bien sûr, les plus âgés avant les autres – que le Sahara était mauritanien. Que c’était les mêmes populations, et par conséquent nous n’avons jamais pensé qu’il s’agissait d’un problème de différence de société, qu’il ne pouvait s’agir que d’un problème de colonialisme, d’administration, de situations particulières. Bien que je n’ai jamais eu à l’idée, à ce moment-là, ni par la suite, que l’on puisse faire quelque chose de bon en voulant imposer aux gens ce qu’ils ne veulent pas – je n’ai jamais pensé, jusqu’au coup d’Etat, que ce problème se posait. Je pensais qu’il y avait des populations mauritaniennes – un peu comme toutes ces populations sahraouies qui étaient plus ou moins au courant des choses, et qu’un certain nombre de gens, plus politiques, qui étaient soit des Sahraouis, soit d’autres comme les Algériens, pouvaient tenter d’utiliser à des fins d’ordre politique. Je n’ai pas vécu toute cette période comme une période dans laquelle nous voulions imposer à des gens notre volonté de les amener à être avec nous. Et je me suis rendu compte – je vous le dis très franchement – .après le coup d’Etat, que, pendant toute cette période, et malgré le fait que j’étais responsable, je n’étais pas bien informé. Beaucoup de gens ont commencé à parler : non, ce n’était pas comme çà ! Il ne fallait pas faire comme çà, ce n’était pas une bonne politique. Je ne pouvais pas me douter du fait que nous avions une opinion assez large qui pensait comme çà.
Nous nous sommes trompés sur la réalité de ce problème, tel qu’il était vécu par les gens dans les années 1970. Cette évolution qui s’est faite, le Polisario avec tout cela, je pense que nous n’en avons pas pris très correctement la mesure. Nous avons toujours vu là des complications que les Algériens voulaient nous faire. Et il nous a manqué peut-être une réflexion sereine, et peut-être le fait de chercher réellement à savoir de quoi il s’agissait. Les conséquences de cet état de choses ont été d’autant plus graves et importantes que l’on était très loin d’imaginer qu’elles puissent exister, lorsque nous nous sommes engagés dans ce problème. Vous êtes désarçonné plus facilement lorsque vous avez des choses que vous ne voyez pas et qui apparaissent. Ce que le président Moktar nous avait communiqué, c’est la force de sa conviction, de son bon droit, c’est la force de sa conviction que c’est çà qui était l’intérêt des Sahraouis de rejoindre la Mauritanie. Et lorsque ces problèmes se sont posés, d’intérêts des nations, de rapports de forces, de rapports conflictuels, nous nous sommes trouvés dans une situation très simple : c’est que nous étions un pays très faible par rapport à des voisins qui étaient beaucoup plus forts. Devant un univers international qui ne pouvait pas accéder profondément à ce que nous, nous pensions de ce problème et comment nous le sentions. Même nos amis français, malgré les relations particulières qu’ils avaient avec nous, à la fin ne voyaient pas très bien où nous allions et ils souhaitaient trouver une solution. Mais il n’y avait pas suffisamment de quoi peser pour considérer que le fait que le Sahara ne soit pas rattaché à la Mauritanie, constituerait une erreur historique.
A ce stade, Sidi, je vous coupe. Il y a deux questions qui me viennent à l’esprit. Est-ce qu’il y a eu des discussions en Bureau politique et en Comité permanent avant même le sommet de Rabat et la déclaration de Boumedienne, et puis ensuite avant les accords de Madrid et la conduite de la guerre ? Est-ce que la collégialité fonctionnait bien ? Et est-ce qu’elle a continué de fonctionner jusqu’en 1978 ?
Je ne me souviens pas, personnellement, de grandes discussions sur la question du Sahara portant sur le fait de savoir quelle est la position que la Mauritanie devait avoir par rapport à cette question. Toute notre politique à l’époque était de tenter de faire en sorte de nous opposer à tout ce qui pouvait brouiller un peu l’idée que nous, nous avions, que le Sahara était partie intégrante de la Mauritanie, que c’était un problème de décolonisation. Notre ennemi de l’époque était le Maroc parce qu’il revendiquait le Sahara, et nos relations avec l’Algérie pouvaient être des relations stratégiquement à notre profit, même si formellement l’Algérie disait qu’elle s’engageait pour le droit des peuples, pour la décolonisation et pour l’indépendance. Nous, nous étions tellement persuadés de notre bon droit et de la conviction que les Sahraouis allaient venir vers nous, que ceci ne paraissait pas porteur de quelque danger que ce soit.
Pour répondre à votre question, je ne me souviens pas qu’on ait posé ou débattu du problème pour savoir : est-ce que la Mauritanie a intérêt à chercher à avoir le Sahara ? Est-ce que la Mauritanie peut concevoir …ou quels sont les avantages et les inconvénients qu’elle pourrait tirer du fait d’avoir telle ou telle position … La conviction du Président était suffisamment forte, claire, ancienne pour que la remise en cause de cette conviction ancienne ne fasse pas débat.
Et le fait d’être passé d’une position de soutien de l’autodétermination à un partage n’a pas paru contradictoire ?
Cela m’est apparu comme une sorte d’aubaine. Voilà quelque chose qui va stabiliser et officialiser définitivement notre problème de frontière avec le Maroc et de revendication marocaine. Il nous est apparu que l’auto-détermination prônée par l’Algérie allait dans le sens de ce que nous voulions : les Sahraouis allaient dire qu’ils vont venir avec nous, et les Algériens, étant pour l’autodétermination, allaient dire : nous respectons ce que les Sahraouis veulent.
Si nous avons accepté la solution du partage, c’est parce que nous nous sommes trouvés devant un gouvernement algérien décidé à nous empêcher d’avoir le Sahara avec nous. L’Algérie était beaucoup plus forte que nous, et les réactions que nous recevions de l’opinion nationale et internationale étaient telles que nous ne pouvions pas compter sur d’autres pour obliger les Algériens à accepter que nous puissions avoir notre Sahara. Et le Maroc l’a demandé en entier. La seule solution pratique possible qui s’offrait à nous, c’était encore d’aller vers ce partage.
Rétrospectivement, je pense encore aujourd’hui que de toute façon, il n’y avait pas d’autre solution. Ou bien le Maroc prenait tout, ou bien vous en preniez une partie, mais il n’y avait pas une troisième solution.
Oui, la troisième solution était rendue impossible avec la nouvelle position de l’Algérie. Avant 1975, il y avait d’autres positions qui nous arrangeaient, parce que tout ce qui était mis par l’Algérie sous le vocable de respect de l’autodétermination des peuples, ne se contredisait pas dans notre esprit à nous, avec ce que nous voulions. Brusquement, tout cela s’est fait en quelques mois : avec quelques rencontres, avec quelques déclarations faites au niveau de l’O.U.A. ou ailleurs et surtout avec le voyage du Président à Béchar, il est apparu que c’était terminé, que cette voie était totalement fermée. La seule voie qui restait était la voie du Maroc qui réclamait tout et qui acceptait maintenant que nous partagions ce Sahara. Il a été l’élément le plus lourd, le plus fort dans tout ce que nous avons fait par la suite.
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