Décrivez-nous, sommairement, les lieux successifs qui ont abrité cette formation…
En fait, il faut parler de deux lieux de formation. La formation théorique s’est déroulée dans la maison des Benyekhlef à Oujda. La formation militaire s’est déroulée dans la ferme des Bouabdallah bordant la rivière Moulouya. Commençons par la maison des Benyekhlef. C’était une construction mauresque entourée d’un mur assez haut qui ne permettait pas de voir de l’extérieur ce qui se passait à l’intérieur. Il y avait un patio avec un jet d’eau. Il y avait, également, un verveinier dont je garde un bon souvenir tant je me servais de ses feuilles pour me préparer une tisane chaque fois que j’en avais la possibilité. C’était une demeure assez vaste qui permettait d’abriter, en même temps, le commandement de l’école en bas, et les stagiaires en haut, classes et dortoirs inclus. L’édifice était carré avec un patio et un jardin au milieu. C’était à partir de ce patio que nous entretenions le seul contact avec le monde extérieur à travers le ciel que nous prenions plaisir à contempler. Commençons par le haut de la bâtisse. Il y avait une grande salle de cours où nous pouvions tous nous asseoir et travailler, même en étant serrés. Pour la partie dortoir, nous disposions de trois chambrées agrémentées de lits métalliques superposés. Je me souviens, parfaitement, de la première nuit. Je portais un tricot blanc qui, au réveil, était devenu gris à cause des poux qui pullulaient. Nous disposions de toilettes collectives avec une eau disponible en tout temps.
Les Benyekhlef avaient-ils évacué les lieux ?
Absolument. Seule est restée notre famille nourricière, les Baâmar, composée du père, de sa femme et d’un petit enfant. Nous étions gavés de lentilles, de pois chiches et de légumes secs. Nous vivions dans une clandestinité totale et je me souviens des cas rarissimes où un élément était sorti de nuit de manière tout à fait discrète pour rendre visite à un médecin et recevoir les soins d’urgence. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, l’armée française, c'est-à-dire la 30e division d’infanterie, implantée tout le long de la frontière marocaine, était particulièrement agressive, même en ville. La présence française au niveau du consulat d’Oujda se faisait lourdement sentir. Il fallait faire très attention pour éviter que notre présence ne soit éventée par les services de renseignement français. D’ailleurs, pour préserver toute tentative hostile, nous, les stagiaires, assurions des tours de garde réglementaires.
Et pour le lieu de votre formation militaire ?
Cette formation s’est déroulée dans la ferme des Bouabdallah, située en territoire marocain. L’avantage qu’elle offrait pour nous était cette possibilité de vivre à l’air libre, sans ce climat de suffocation qui pesait sur nous à Oujda. Cette ferme étant située au bord d’une rivière, la Moulouya, où nous nous sommes exercés, subrepticement, à pêcher des poissons à l’aide de menus bâtons d’explosifs dont nous disposions. C’était là l’une des rares sources de notre alimentation en protéines. Nous vivions dans des écuries, mais bien contents d’en disposer. Ces écuries nous servaient de dortoir, la salle de cours, c’était un hangar où nous pratiquions également du close combat. Nous avions confectionné une grande maquette au 1/50 000e représentant un théâtre d’opérations, en l’occurrence la zone montagneuse sur laquelle nous pratiquions nos entraînements dans le cadre de la progression sur le terrain avec même la position des pièces, des unités, des sections et des groupes de combat pour illustrer la manière dont il fallait notamment franchir les barbelés.
Cela voulait-il dire que vous étiez à l’abri d’attaques de l’armée française ?
Pas du tout. Nous devions nous déplacer sous camouflage car la reconnaissance aérienne française était quasi permanente. D’ailleurs, nous effectuions des exercices de marche de nuit au cours desquelles nous dûmes plonger dans des mares de boue pour échapper à la vue d’unités de l’armée françaises en patrouille. Je me rappelle que vers la fin de la formation militaire, le centre avait fini par être repéré par un avion d’observation français, un piper, qui nous avait survolé, moteur éteint et à très basse altitude. Nous pouvions même voir le visage du pilote alors que nous procédions à un maniement d’armes en plein air. Abdallah Araboui avait pris, le soir même, la sage décision de faire évacuer le centre qui fut détruit, le lendemain, par deux avions T6 de l’armée française. C’est vous dire que la frontière n’était pas un obstacle étanche pour l’armée française qui considérait cette partie du territoire marocain comme une zone permanente de combat.
Décrivez-nous, à présent, la composition de la promotion Larbi Ben M’hidi...
D’abord, arrêtons-nous au nombre. Le recensement effectué, in fine, par l’Association des anciens du Malg a permis de situer à soixante-douze le nombre de stagiaires de cette promotion. Pour la majorité, nous venions des classes de terminale ou de première secondaire des lycées marocains. La promotion comprenait également des membres qui étaient déjà à l’université et qui ont rejoint l’encadrement pédagogique du centre. Je me rappelle, notamment, de Noureddine Delleci, Abdelaziz Maoui et Mustapha Moughlam. Pour ce qui concerne l’origine sociale et géographique, les membres étaient tous issus de familles algériennes établies au Maroc. Ce n’était pas un choix délibéré. La Wilaya s’était retrouvée en présence d’une masse d’étudiants disponibles, volontaires, patriotes, déjà structuré au sein de l’Ugema et même du FLN. C’est tout naturellement que le commandement de la Wilaya V a recouru à ce vivier inespéré pour, d’une part, combler les besoins apparus à la lueur du développement de la lutte armée et, d’autre part, absorber l’impatience de jeunes étudiants qui, ayant observé l’ordre de grève de l’Ugema, rêvaient d’en découdre avec l’occupant colonial. Je me souviens, d’ailleurs, d’un fait important, survenu juste après le détournement de l’avion des cinq dirigeants du FLN. Nous, jeunes Algériens du Maroc, étions particulièrement révoltés par cet acte de piraterie et étions prêts à organiser des représailles, de manière autonome, sans l’accord du FLN. Je me souviens, également, de l’assassinat de notre voisin et ami, le pharmacien Rahal à Meknès qui avait reçu un colis piégé, entraînant dans sa mort son père et ses enfants. Nous étions particulièrement révoltés et nous voulions agir. Je pense que cet état d’esprit a dû conduire le commandement de la Wilaya V à précipiter notre mobilisation.
Sur le plan social, quelle était l’origine des membres de cette promotion Larbi Ben M’hidi ?
Encore une fois, tous étaient issus, en règle générale, de familles de réfugies, de fonctionnaires au service du gouvernement marocain ou, accessoirement, de commerçants et d’agriculteurs établis au Maroc de longue date. La petite bourgeoisie, pour utiliser une formulation marxiste…
M. C. M.
En fait, il faut parler de deux lieux de formation. La formation théorique s’est déroulée dans la maison des Benyekhlef à Oujda. La formation militaire s’est déroulée dans la ferme des Bouabdallah bordant la rivière Moulouya. Commençons par la maison des Benyekhlef. C’était une construction mauresque entourée d’un mur assez haut qui ne permettait pas de voir de l’extérieur ce qui se passait à l’intérieur. Il y avait un patio avec un jet d’eau. Il y avait, également, un verveinier dont je garde un bon souvenir tant je me servais de ses feuilles pour me préparer une tisane chaque fois que j’en avais la possibilité. C’était une demeure assez vaste qui permettait d’abriter, en même temps, le commandement de l’école en bas, et les stagiaires en haut, classes et dortoirs inclus. L’édifice était carré avec un patio et un jardin au milieu. C’était à partir de ce patio que nous entretenions le seul contact avec le monde extérieur à travers le ciel que nous prenions plaisir à contempler. Commençons par le haut de la bâtisse. Il y avait une grande salle de cours où nous pouvions tous nous asseoir et travailler, même en étant serrés. Pour la partie dortoir, nous disposions de trois chambrées agrémentées de lits métalliques superposés. Je me souviens, parfaitement, de la première nuit. Je portais un tricot blanc qui, au réveil, était devenu gris à cause des poux qui pullulaient. Nous disposions de toilettes collectives avec une eau disponible en tout temps.
Les Benyekhlef avaient-ils évacué les lieux ?
Absolument. Seule est restée notre famille nourricière, les Baâmar, composée du père, de sa femme et d’un petit enfant. Nous étions gavés de lentilles, de pois chiches et de légumes secs. Nous vivions dans une clandestinité totale et je me souviens des cas rarissimes où un élément était sorti de nuit de manière tout à fait discrète pour rendre visite à un médecin et recevoir les soins d’urgence. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, l’armée française, c'est-à-dire la 30e division d’infanterie, implantée tout le long de la frontière marocaine, était particulièrement agressive, même en ville. La présence française au niveau du consulat d’Oujda se faisait lourdement sentir. Il fallait faire très attention pour éviter que notre présence ne soit éventée par les services de renseignement français. D’ailleurs, pour préserver toute tentative hostile, nous, les stagiaires, assurions des tours de garde réglementaires.
Et pour le lieu de votre formation militaire ?
Cette formation s’est déroulée dans la ferme des Bouabdallah, située en territoire marocain. L’avantage qu’elle offrait pour nous était cette possibilité de vivre à l’air libre, sans ce climat de suffocation qui pesait sur nous à Oujda. Cette ferme étant située au bord d’une rivière, la Moulouya, où nous nous sommes exercés, subrepticement, à pêcher des poissons à l’aide de menus bâtons d’explosifs dont nous disposions. C’était là l’une des rares sources de notre alimentation en protéines. Nous vivions dans des écuries, mais bien contents d’en disposer. Ces écuries nous servaient de dortoir, la salle de cours, c’était un hangar où nous pratiquions également du close combat. Nous avions confectionné une grande maquette au 1/50 000e représentant un théâtre d’opérations, en l’occurrence la zone montagneuse sur laquelle nous pratiquions nos entraînements dans le cadre de la progression sur le terrain avec même la position des pièces, des unités, des sections et des groupes de combat pour illustrer la manière dont il fallait notamment franchir les barbelés.
Cela voulait-il dire que vous étiez à l’abri d’attaques de l’armée française ?
Pas du tout. Nous devions nous déplacer sous camouflage car la reconnaissance aérienne française était quasi permanente. D’ailleurs, nous effectuions des exercices de marche de nuit au cours desquelles nous dûmes plonger dans des mares de boue pour échapper à la vue d’unités de l’armée françaises en patrouille. Je me rappelle que vers la fin de la formation militaire, le centre avait fini par être repéré par un avion d’observation français, un piper, qui nous avait survolé, moteur éteint et à très basse altitude. Nous pouvions même voir le visage du pilote alors que nous procédions à un maniement d’armes en plein air. Abdallah Araboui avait pris, le soir même, la sage décision de faire évacuer le centre qui fut détruit, le lendemain, par deux avions T6 de l’armée française. C’est vous dire que la frontière n’était pas un obstacle étanche pour l’armée française qui considérait cette partie du territoire marocain comme une zone permanente de combat.
Décrivez-nous, à présent, la composition de la promotion Larbi Ben M’hidi...
D’abord, arrêtons-nous au nombre. Le recensement effectué, in fine, par l’Association des anciens du Malg a permis de situer à soixante-douze le nombre de stagiaires de cette promotion. Pour la majorité, nous venions des classes de terminale ou de première secondaire des lycées marocains. La promotion comprenait également des membres qui étaient déjà à l’université et qui ont rejoint l’encadrement pédagogique du centre. Je me rappelle, notamment, de Noureddine Delleci, Abdelaziz Maoui et Mustapha Moughlam. Pour ce qui concerne l’origine sociale et géographique, les membres étaient tous issus de familles algériennes établies au Maroc. Ce n’était pas un choix délibéré. La Wilaya s’était retrouvée en présence d’une masse d’étudiants disponibles, volontaires, patriotes, déjà structuré au sein de l’Ugema et même du FLN. C’est tout naturellement que le commandement de la Wilaya V a recouru à ce vivier inespéré pour, d’une part, combler les besoins apparus à la lueur du développement de la lutte armée et, d’autre part, absorber l’impatience de jeunes étudiants qui, ayant observé l’ordre de grève de l’Ugema, rêvaient d’en découdre avec l’occupant colonial. Je me souviens, d’ailleurs, d’un fait important, survenu juste après le détournement de l’avion des cinq dirigeants du FLN. Nous, jeunes Algériens du Maroc, étions particulièrement révoltés par cet acte de piraterie et étions prêts à organiser des représailles, de manière autonome, sans l’accord du FLN. Je me souviens, également, de l’assassinat de notre voisin et ami, le pharmacien Rahal à Meknès qui avait reçu un colis piégé, entraînant dans sa mort son père et ses enfants. Nous étions particulièrement révoltés et nous voulions agir. Je pense que cet état d’esprit a dû conduire le commandement de la Wilaya V à précipiter notre mobilisation.
Sur le plan social, quelle était l’origine des membres de cette promotion Larbi Ben M’hidi ?
Encore une fois, tous étaient issus, en règle générale, de familles de réfugies, de fonctionnaires au service du gouvernement marocain ou, accessoirement, de commerçants et d’agriculteurs établis au Maroc de longue date. La petite bourgeoisie, pour utiliser une formulation marxiste…
M. C. M.
Dernière édition par Admin le Mer 25 Juin - 22:04, édité 1 fois