Maroc 1er Forum Social Maghrébin à Al Jadida Le Premier Forum Social Maghrébin qui s’est déroulé les 25, 26 et 27 juillet à Al Jadida a donné une visibilité aux mouvements sociaux de plus en plus nombreux. par Karine Gantin(7 août 2008) Des émeutes algériennes d’Oran à la révolte des habitants de Sidi Ifni au Maroc, de la lutte dans le bassin minier tunisien de Gafsa à la grève de la faim d’enseignants contractuels depuis le 15 juillet à Alger, l’actualité maghrébine laisse entrevoir une multiplication des luttes sociales. C’est dans ce contexte aigu que deux mille personnes ont convergé du 25 au 27 juillet dans l’accueillante ville côtière d’Al Jadida au Maroc pour le tout premier Forum social Maghrébin, dans le respect de la charte des Forums sociaux de Porto Alegre. Certes, le processus était en gestion depuis quatre ans, porté par un rêve de « Maghreb des peuples » que la dynamique altermondialiste incitait à réactiver au niveau des sociétés civiles, cinquante ans après l’échec de l’unité du Maghreb proclamée en 1958 à Tanger par les partis de libération nationale. Mais du fait des luttes en cours, ce premier « FSMaghreb » a pris une coloration intense. Pour le syndicaliste algérien autonome Achour Idir, du Conseil des Lycées d’Algérie, la solidarité était double à Al Jadida : solidarité des luttes, et solidarité historique de peuples frères. Du Forum, il espère que naîtra « une véritable solidarité sur le terrain des luttes au-delà des débats théoriques. » Révoltes locales souvent spontanées A l’heure où les politiques euro-méditerranéennes promettent un nouveau tour de vis néolibéral ainsi qu’un renforcement des politiques sécuritaires et de contrôle des immigrés, les populations au sud de la Méditerranée s’organisent de fait de plus en plus pour protester contre leur sort et expérimentent de nouvelles de luttes, ce dont le Forum d’Al Jadida s’est fait l’écho : révoltes locales souvent d’abord spontanées contre la corruption et l’atteinte aux droits fondamentaux ou aux biens publics locaux, actions pacifiques de larges coordinations contre la vie chère ou de comités de diplômés chômeurs, grèves nombreuses et création de nouveaux syndicats à la marge des anciennes centrales trop rigides ou trop inféodées aux pouvoirs, campagnes pour les droits humains et socio-économiques, coordination euro-africaine contre la répression des migrants du fait de politiques étatiques coordonnées entre Maghreb et Europe... « Nul ne peut prévoir les révoltes qui naîtront encore de l’aggravation des conditions de vie, analyse Mustapha Hattab, cofondateur de la Coordination contre la cherté de la vie et la dégradation des services publics au Maroc, voilà pourquoi le but est aujourd’hui pour toutes nos organisations de porter et structurer les revendications dans des fronts sociaux larges, à la fois localement et nationalement. » M. Hattab, membre du comité de pilotage du Forum, espère lui-même davantage d’échanges au niveau régional sur les mobilisations contre la flambée des prix... Débats et polémiques En dépit même de quelques provocations policières notamment libyennes et tunisiennes, les militants ont ainsi débattu activement, de façon parfois polémique et toujours intense. Au centre des débats, également : la diversité culturelle notamment amazigh, la question sahraouie, le partenariat euro-méditerranéen, les mobilisations dans les quartiers populaires, le chômage massif des jeunes et les noyades en Méditerranée de jeunes candidats à l’immigration... La Charte des peuples du Maghreb adoptée le dernier jour fut un moment de grande émotion, de même que les chants de protestation solidaire des jeunes participants marocains contre le président tunisien Ben Ali en raison de la grave répression de la population et des leaders syndicaux du bassin minier de Gafsa. Ce sont d’ailleurs les mouvements de jeunes Marocains qui ont porté l’essentiel de l’organisation du forum, ainsi que son animation culturelle, ensemble avec divers musiciens de tout le Maghreb. Témoignages Une Coordination des droits humains est née. Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine des Droits de l’homme (AMDH), note des différences d’un pays à l’autre concernant l’articulation des luttes des droits humains aux luttes sociales, en fonction de l’ampleur de la répression et de la situation économique immédiate. Elle se félicite des statuts officialisés à Al Jadida pour la Coordination maghrébine des droits humains (COMDH), rassemblant les organisations indépendantes de droits de l’homme, qui devrait se réunir régulièrement et produire des documents communs. L’AMDH, ensemble avec d’autres associations, s’est particulièrement mobilisée en faveur de la population de Sidi Ifni protestant pour son désenclavement économique. Trois délégués de Sidi Ifni présents à Al Jadida insistent quant à eux sur la nécessité de « traduire en justice les acteurs de la répression violente » qui a suivi les protestations, et témoignent de la volonté « démocratique et pacifique » de la population locale. Pour Khadija Ryadi, « l’enjeu du forum est de donner plus de visibilité aux luttes déjà présentes, notamment les plus spontanées. » Le constat est similaire du côté d’Attac Maroc : pour l’un de ses dirigeants Mimoun Rochmani, il faut « donner le maximum de chances aux luttes de se faire entendre, car trop d’entre elles sont étouffées volontairement par les pouvoirs », même si le débat altermondialiste international sur le débouché politique des forums sociaux est également très pertinent à mener par ailleurs selon lui. « Un succès remarquable » Tarek Ben Hiba, conseiller régional du groupe Communiste, Alternative Citoyenne et Républicain (CACR) de la région Ile-de-France, également acteur des luttes de l’immigration et militant des droits humains, était présent à Al Jadida. Comme bien d’autres, il est ému : « c’est la première fois que se tient une rencontre aussi libre, démocratique, jeune et populaire transversale à tout le Maghreb. Et tenir un tel forum social dans un pays de la région est un évènement en soi ! Il a permis de faire se rencontrer et dialoguer toutes sortes d’acteurs sur les enjeux de paix, des droits de l’homme, des migrations et de l’égalité hommes-femmes et pour un autre monde meilleur... J’ai été frappé par la convergence des participants dans une réelle solidarité envers les luttes sociales de toute la région, et aussi en faveur du respect des droits de l’homme, sans lesquels rien de durable n’est possible. Mon espoir est que ce premier Forum social ait une suite, et qu’il puisse croiser la dynamique des luttes sociales en Europe. » Paru dans le quotidien français, L’HUMANITE, Mercredi 30 juillet 2008. | |
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