L¹immigration algérienne au Maroc à l¹époque coloniale (5/28/2006)
Le cas de la communauté algérienne à Oujda
1ére partie
L¹émigration algérienne à l¹époque coloniale avait comme destination principale la France métropolitaine. Pour des raisons de proximité géographique, de liens familiaux et des relations culturelles et religieuses, le Maroc a été la première destination des Algériens fuyant la colonisation française, les Mouhajirin ou «exilés pour la foi». C¹était le début d¹une émigration qui prendra plusieurs formes et durera plus d¹un siècle (1840-1962). Ainsi, des dizaines de milliers d¹Algériens (100.000 environ pendant la guerre de libération algérienne) ont fait du Maroc leur seconde patrie.
Cette communication tente d¹apporter un premier éclairage sur cette émigration inter-maghrébine, en attirant l¹attention des chercheurs en matière d¹émigration sur ce phénomène. Etant donné que la communauté algérienne habitait principalement Oujda et sa région, nous consacrerons cette étude aux Algériens de cette ville. Il s¹avère intéressant de signaler que ce thème n¹a pas encore fait, à notre connaissance, l¹objet d¹études sérieuses. Nous avons là une nouvelle page de l¹histoire de l¹émigration algérienne à écrire1.
Grâce à sa colonie algérienne comptant 29.300 personnes, Oujda se plaçait en 1960 en deuxième rang au Maroc pour le nombre d¹étrangers après Casablanca. A la même date, la communauté algérienne du Maroc était de 95.000, soit 24% de l¹ensemble des étrangers (396.000). 50% des Algériens résidaient dans l¹oriental2.
Cette émigration de l¹Algérie vers le Maroc concernait les Européens de l¹Algérie (les colons), tout comme les Algériens de souche, musulmans ou juifs. Notre étude concerne seulement les Algériens musulmans. (Š)
Les sources historiographiques
Comme déjà signalé, il n¹existe - à notre connaissance- aucune étude de synthèse sur le sujet. Cependant, il y a un certain nombre de documents de base permettant de se faire une idée sur l¹histoire de cette immigration, malgré les préjugés classiques du colonialisme3, et de suivre l¹évolution de cette communauté dans cette région frontalière du Maroc. Ils fournissent des données chiffrées sur les différentes vagues d¹immigration, sa répartition géographique à Oujda, ainsi que les activités professionnelles exercées par celle-ci. Il s¹agit notamment des quelques rapports et mémoires de C.H.E.A.M. 4
- M. Lemaille (1937) : les Algériens à Oujda en 1937. Bulletin du Comité de l¹Afrique Française, n° 5, mai 1937, pp.255-260.
- P. Decroux, (1938), Les Algériens musulmans au Maroc, condition juridique et sociale. Boulogne sur Seine.
- « la vie sociale des Algériens au Maroc ». Bulletin Economique du Maroc. 1938, pp.20-25.
- P. Azam (1951), sur l¹émigration temporaire au Maroc oriental, comporte également des données importantes sur les Algériens dans le Maroc oriental.
- Le rapport du Contrôleur civil adjoint H. Lombard datant de 1953, intitulé « aspects de la situation et du rôle de l¹immigration algérienne musulmane dans la région d¹Oujda ».
- Il y a enfin le mémoire de P. Depis (1962) sur le problème des réfugiés algériens au Maroc oriental (mars 1956- mai 1962).
L¹histoire des vagues migratoires
algériennes vers le Maroc
-Les différentes vagues d¹immigration :
L¹émigration algérienne à l¹époque contemporaine est un phénomène lié à la colonisation. C¹est l¹une des conséquences des grands bouleversements provoqués par celle-ci dans les sociétés maghrébines. Les Algériens sont arrivés par plusieurs vagues. Nous distinguons quatre vagues principales essentiellement dans la ville d¹Oujda et sa région. C¹est ainsi que le contrôleur civil adjoint H. Lombard qui consacra une étude à l¹immigration algérienne dans la région d¹Oujda, qualifie cette immigration d¹un terme différent qui correspond à chaque étape de son histoire. Immigration de l¹exil jusqu¹en 1907, immigration « appelée » de 1909 à 1926, immigration «favorisée» de 1926 à 1942 mais seulement «supportée» de 1942 à la fin du Protectorat.
La première vague date de la période de l¹occupation française de l¹Algérie. Voyant leur pays occupé, beaucoup d¹Algériens fuyant cette domination, prirent le chemin d¹exil vers le Maroc. Il s¹agit des Mouhajirin (exilés pour la foi). Beaucoup ont accompagné l¹émir Abdelkader lors de son exil au Maroc en 1843-1844. Ils viennent surtout d¹Oranie : de Tlemcen, Nedroma et Mascara. Nombreux parmi eux, se posant comme concurrents des Fassis (originaires de Fès), vivaient du commerce en utilisant leur relation avec l¹Algérie pour leurs affaires. Du fait de l¹ancienneté de leur installation, à la veille du protectorat, ils étaient considérés comme Marocains. Selon plusieurs sources5 cette population suscitait chez les Oujdis (les habitants de la ville d¹Oujda) une certaine jalousie car le Cadi d¹Oujda fut souvent choisi par le Makhzen parmi les Algériens. De nombreux fonctionnaires du culte étaient algériens. Selon ces mêmes sources, cette animosité fut un facteur de maintien de la personnalité algérienne et un obstacle à la fusion totale. Cependant cette fusion se réalisa partiellement, «il y a lieu de penser qu¹au total ils n¹étaient qu¹à demi-étrangers» écrit Lombard. On trouve aussi les traces de cette première vague d¹immigration algérienne dans les sources marocaines qui parlent du bon accueil réservé par les Marocains à cette communauté d¹exilés. «Le Sultan marocain a donné ses ordres pour qu¹ils soient bien accueillis et logés.. »6 Dans son histoire de Tétouan, Mohamed Bendaoud raconte que dès le débarquement français à Alger en 1830, deux bateaux, à leur bord des familles algériennes arrivent à Tétouan en août 1830. Et en 1842 on recense à Tétouan plus de 700 algériens pauvres.7
La deuxième vague remonte à l¹occupation d¹Oujda en 1907 et l¹établissement du Protectorat. Pendant cette période arrivèrent beaucoup d¹Algériens qui devaient jouer le rôle d¹intermédiaires entre les occupants et les Marocains. Ils étaient interprètes grâce à leur connaissance de l¹arabe et du français, greffiers, instituteurs et professeurs. Leur nombre ne cessait d¹augmenter. (Š). H. Lombard8 souligne que pendant cette première période, les Algériens musulmans formaient «une colonie annexe de la colonisation européenn ». En effet appelés par l¹Administration, par des frères déjà installés, par des cousins, et des amis, affluèrent de toute l¹Oranie et particulièrement de Tlemcen ou de Nedroma (véritables pépinière de fonctionnaires), par centaines, des familles entières qui croyaient à la pérennité de la présence française au Maroc (Š).9
En effet, ceux qui étaient exilés pour des raisons religieuses lors de la conquête de l¹Algérie, n¹ont pas tenu, après l¹installation du Protectorat au Maroc, à se prévaloir de leur qualité de sujets français. Il leur importait peu d¹ailleurs de changer de nationalité puisque de toutes façons leur statut demeurait régi par la loi musulmane. Eux ou leurs descendants figurèrent désormais avec les Marocains dans les statistiques10. En 1907, ils formaient plus d¹un cinquième de la population d¹Oujda qui comptait quelque 6.000 habitants. Pour 1910-1911 Louis Voinot11 parle de 1.500 Algériens groupés en 300 foyers, mais le recensement de 1911 cité par Augustin Bernard12 n¹enregistrait que 200 Algériens sujets français. A vrai dire, il est difficile de se faire une idée non seulement du chiffre exact de cette population, mais aussi de sa position par rapport à la France. Surtout que le statut de « sujet français » n¹a pas toujours été facilement reconnu par l¹Administration française. Ainsi beaucoup d¹Algériens se sont trouvés «noyés dans la masse des Marocains, faute d¹avoir entrepris les démarches pour faire connaître leur origine algérienne et donc leur qualité de sujet français, ceci plus au moins volontairement»13. De nombreuses familles ont fini par avoir la nationalité marocaine. Telles que les familles Ben Mansour, Abdelghani, Ouled Sadouni...etc. D¹autres, d¹origine algéro-turque (Koulouglis) restèrent sans nationalité. H. Lombard explique qu¹il y avait des familles qui recevaient du Makhzen marocain l¹indemnité due aux Mouhajirin et prenaient la précaution d¹inscrire leurs enfants à l¹état-civil de Tlemcen ceci dès avant l¹occupation française du Maroc. C¹est le cas des Triqui et des Meziane. D¹autres ont préféré ne pas se manifester comme tels et passer pour des Marocains. Il remarque aussi que la présence des Algériens à Oujda représentait un atout pour la France. Il écrit : «dans ce Maroc étranger à la France, les Algériens qui vivaient même musulmans, même ayant fui la domination française et n¹aspirant qu¹à se fondre dans la population qui les entourait, servaient déjà l¹intérêt français commercialement et politiquement, le plus souvent involontairement» 14
Cette participation massive des Algériens dans l¹administration du Protectorat leur a donné, aux yeux des Marocains, l¹image de gens qui se rapprochaient des Français et s¹éloignaient de leurs frères musulmans. Ainsi ils sont traités de «shab nçara» c¹est-à-dire «les amis des Chrétiens»15. Avec le temps, les Algériens sont devenus moins indispensables pour l¹administration française, ils furent progressivement remplacés par des Marocains pour les petits emplois. On réglementa leur admission au Maroc, surtout on changea le statut des fonctionnaires qui furent assimilés aux Marocains en 1926. L¹arrêté viziriel du 8 janvier 1926, déplaçait les fonctionnaires algériens musulmans du cadre français vers le deuxième cadre spécial marocain et assimilé. Les Algériens, à travers la Fédération des Algériens musulmans du Maroc, ont protesté contre cette réorganisation de 1926. Ils ont exprimé leur refus de cette confusion avec les Marocains, allant même jusqu¹à accuser la France de « racisme assimilateur ». La Fédération des Algériens musulmans du Maroc rappelle que « de nombreux algériens abandonnant leur situation en Algérie ou même interrompant leurs études, ont répondu à l¹appel de la France, se sont expatriés, ont donné au Maroc sa première armature et ont pu rendre au Protectorat de réels services... ; que la nationalité prime l¹origine et que le racisme assimilateur qui leur est opposé n¹est pas appliqué aux Israélites, le Juif algérien conservant un statut distinct et supérieur à celui de Juif marocain ».16 De même les salariés algériens ne pouvaient plus bénéficier de la législation sociale appliquée aux citoyens français. N¹étant pas des citoyens mais des «sujets français», ils ne pouvaient pas bénéficier de la majoration de traitement de 38% et du remboursement des frais de voyage en congé accordés aux Français.
Malgré ces inconvénients, les Oranais continuaient d¹affluer vers le Maroc. Ils étaient 2471 en 1926, ils passent à 4594 en 1936. (Š) Oujda fut leur point d¹arrivée, plus de la moitié des Algériens au Maroc en 1936 vivaient dans cette ville (57,6%). Pourtant le Maroc aussi se fermait plus au moins à leur émigration, à cause de la crise économique. A partir de cette période, les conditions d¹entrée des étrangers au Maroc, donc des Algériens dans ce cas, sont devenues dures, avec le dahir du 20 octobre 1931, dont les dispositions furent renforcées en 1934, avec l¹obligation de disposer d¹un contrat de travail accordé par l¹employeur pour une durée d¹un an minimum. Ce contrat devait être visé par le Service du Travail de Rabat. Les Algériens protestèrent contre cette loi, surtout que l¹entrée des Marocains en Algérie était pratiquement libre subissant de ce fait une concurrence sur le marché du travail algérien sans réciprocité.17
La troisième vague d¹immigration « supportée » et non pas « appelée », selon l¹expression de H. Lombard. Elle est composée essentiellement de travailleurs sans capitaux à la recherche d¹emplois et qui vont se confondre avec les prolétaires marocains. Ce caractère nouveau s¹est affirmé après la seconde guerre mondiale. A Oujda le nombre d¹Algériens passa de 4.813 en 1943 à 14.322 en 1951, leur nombre a triplé en l¹espace de huit ans. Cela concernait aussi les autres villes ou villages de la région orientale du Maroc comme Berkane, Ahfir, Taourirt. (Š). Ces immigrants sont majoritairement des ouvriers sans qualification. Un grand nombre s¹adonna à la contrebande qui régnait à Oujda. « Une population algérienne s¹est créée qui se compose de gens sans profession déterminée, instables, chômeurs... se rapprochant de la plus basse couche sociale marocaine tout près de laquelle ils vivent »18. A la fin de la guerre ce mouvement s¹intensifia, avec une foule de gens sans contrat de travail qui créait des petites boutiques et vivait avec les Marocains démunis dans des quartiers ou « villages » périphériques.
Le dernier afflux est lié aux événements de la guerre d¹indépendance de l¹Algérie déclenchée en 1954. A partir de cette date des milliers de réfugiés algériens s¹installèrent à Oujda ; 6.386 en 1957 et 9.851 en 195819. (Š)
Le cas de la communauté algérienne à Oujda
1ére partie
L¹émigration algérienne à l¹époque coloniale avait comme destination principale la France métropolitaine. Pour des raisons de proximité géographique, de liens familiaux et des relations culturelles et religieuses, le Maroc a été la première destination des Algériens fuyant la colonisation française, les Mouhajirin ou «exilés pour la foi». C¹était le début d¹une émigration qui prendra plusieurs formes et durera plus d¹un siècle (1840-1962). Ainsi, des dizaines de milliers d¹Algériens (100.000 environ pendant la guerre de libération algérienne) ont fait du Maroc leur seconde patrie.
Cette communication tente d¹apporter un premier éclairage sur cette émigration inter-maghrébine, en attirant l¹attention des chercheurs en matière d¹émigration sur ce phénomène. Etant donné que la communauté algérienne habitait principalement Oujda et sa région, nous consacrerons cette étude aux Algériens de cette ville. Il s¹avère intéressant de signaler que ce thème n¹a pas encore fait, à notre connaissance, l¹objet d¹études sérieuses. Nous avons là une nouvelle page de l¹histoire de l¹émigration algérienne à écrire1.
Grâce à sa colonie algérienne comptant 29.300 personnes, Oujda se plaçait en 1960 en deuxième rang au Maroc pour le nombre d¹étrangers après Casablanca. A la même date, la communauté algérienne du Maroc était de 95.000, soit 24% de l¹ensemble des étrangers (396.000). 50% des Algériens résidaient dans l¹oriental2.
Cette émigration de l¹Algérie vers le Maroc concernait les Européens de l¹Algérie (les colons), tout comme les Algériens de souche, musulmans ou juifs. Notre étude concerne seulement les Algériens musulmans. (Š)
Les sources historiographiques
Comme déjà signalé, il n¹existe - à notre connaissance- aucune étude de synthèse sur le sujet. Cependant, il y a un certain nombre de documents de base permettant de se faire une idée sur l¹histoire de cette immigration, malgré les préjugés classiques du colonialisme3, et de suivre l¹évolution de cette communauté dans cette région frontalière du Maroc. Ils fournissent des données chiffrées sur les différentes vagues d¹immigration, sa répartition géographique à Oujda, ainsi que les activités professionnelles exercées par celle-ci. Il s¹agit notamment des quelques rapports et mémoires de C.H.E.A.M. 4
- M. Lemaille (1937) : les Algériens à Oujda en 1937. Bulletin du Comité de l¹Afrique Française, n° 5, mai 1937, pp.255-260.
- P. Decroux, (1938), Les Algériens musulmans au Maroc, condition juridique et sociale. Boulogne sur Seine.
- « la vie sociale des Algériens au Maroc ». Bulletin Economique du Maroc. 1938, pp.20-25.
- P. Azam (1951), sur l¹émigration temporaire au Maroc oriental, comporte également des données importantes sur les Algériens dans le Maroc oriental.
- Le rapport du Contrôleur civil adjoint H. Lombard datant de 1953, intitulé « aspects de la situation et du rôle de l¹immigration algérienne musulmane dans la région d¹Oujda ».
- Il y a enfin le mémoire de P. Depis (1962) sur le problème des réfugiés algériens au Maroc oriental (mars 1956- mai 1962).
L¹histoire des vagues migratoires
algériennes vers le Maroc
-Les différentes vagues d¹immigration :
L¹émigration algérienne à l¹époque contemporaine est un phénomène lié à la colonisation. C¹est l¹une des conséquences des grands bouleversements provoqués par celle-ci dans les sociétés maghrébines. Les Algériens sont arrivés par plusieurs vagues. Nous distinguons quatre vagues principales essentiellement dans la ville d¹Oujda et sa région. C¹est ainsi que le contrôleur civil adjoint H. Lombard qui consacra une étude à l¹immigration algérienne dans la région d¹Oujda, qualifie cette immigration d¹un terme différent qui correspond à chaque étape de son histoire. Immigration de l¹exil jusqu¹en 1907, immigration « appelée » de 1909 à 1926, immigration «favorisée» de 1926 à 1942 mais seulement «supportée» de 1942 à la fin du Protectorat.
La première vague date de la période de l¹occupation française de l¹Algérie. Voyant leur pays occupé, beaucoup d¹Algériens fuyant cette domination, prirent le chemin d¹exil vers le Maroc. Il s¹agit des Mouhajirin (exilés pour la foi). Beaucoup ont accompagné l¹émir Abdelkader lors de son exil au Maroc en 1843-1844. Ils viennent surtout d¹Oranie : de Tlemcen, Nedroma et Mascara. Nombreux parmi eux, se posant comme concurrents des Fassis (originaires de Fès), vivaient du commerce en utilisant leur relation avec l¹Algérie pour leurs affaires. Du fait de l¹ancienneté de leur installation, à la veille du protectorat, ils étaient considérés comme Marocains. Selon plusieurs sources5 cette population suscitait chez les Oujdis (les habitants de la ville d¹Oujda) une certaine jalousie car le Cadi d¹Oujda fut souvent choisi par le Makhzen parmi les Algériens. De nombreux fonctionnaires du culte étaient algériens. Selon ces mêmes sources, cette animosité fut un facteur de maintien de la personnalité algérienne et un obstacle à la fusion totale. Cependant cette fusion se réalisa partiellement, «il y a lieu de penser qu¹au total ils n¹étaient qu¹à demi-étrangers» écrit Lombard. On trouve aussi les traces de cette première vague d¹immigration algérienne dans les sources marocaines qui parlent du bon accueil réservé par les Marocains à cette communauté d¹exilés. «Le Sultan marocain a donné ses ordres pour qu¹ils soient bien accueillis et logés.. »6 Dans son histoire de Tétouan, Mohamed Bendaoud raconte que dès le débarquement français à Alger en 1830, deux bateaux, à leur bord des familles algériennes arrivent à Tétouan en août 1830. Et en 1842 on recense à Tétouan plus de 700 algériens pauvres.7
La deuxième vague remonte à l¹occupation d¹Oujda en 1907 et l¹établissement du Protectorat. Pendant cette période arrivèrent beaucoup d¹Algériens qui devaient jouer le rôle d¹intermédiaires entre les occupants et les Marocains. Ils étaient interprètes grâce à leur connaissance de l¹arabe et du français, greffiers, instituteurs et professeurs. Leur nombre ne cessait d¹augmenter. (Š). H. Lombard8 souligne que pendant cette première période, les Algériens musulmans formaient «une colonie annexe de la colonisation européenn ». En effet appelés par l¹Administration, par des frères déjà installés, par des cousins, et des amis, affluèrent de toute l¹Oranie et particulièrement de Tlemcen ou de Nedroma (véritables pépinière de fonctionnaires), par centaines, des familles entières qui croyaient à la pérennité de la présence française au Maroc (Š).9
En effet, ceux qui étaient exilés pour des raisons religieuses lors de la conquête de l¹Algérie, n¹ont pas tenu, après l¹installation du Protectorat au Maroc, à se prévaloir de leur qualité de sujets français. Il leur importait peu d¹ailleurs de changer de nationalité puisque de toutes façons leur statut demeurait régi par la loi musulmane. Eux ou leurs descendants figurèrent désormais avec les Marocains dans les statistiques10. En 1907, ils formaient plus d¹un cinquième de la population d¹Oujda qui comptait quelque 6.000 habitants. Pour 1910-1911 Louis Voinot11 parle de 1.500 Algériens groupés en 300 foyers, mais le recensement de 1911 cité par Augustin Bernard12 n¹enregistrait que 200 Algériens sujets français. A vrai dire, il est difficile de se faire une idée non seulement du chiffre exact de cette population, mais aussi de sa position par rapport à la France. Surtout que le statut de « sujet français » n¹a pas toujours été facilement reconnu par l¹Administration française. Ainsi beaucoup d¹Algériens se sont trouvés «noyés dans la masse des Marocains, faute d¹avoir entrepris les démarches pour faire connaître leur origine algérienne et donc leur qualité de sujet français, ceci plus au moins volontairement»13. De nombreuses familles ont fini par avoir la nationalité marocaine. Telles que les familles Ben Mansour, Abdelghani, Ouled Sadouni...etc. D¹autres, d¹origine algéro-turque (Koulouglis) restèrent sans nationalité. H. Lombard explique qu¹il y avait des familles qui recevaient du Makhzen marocain l¹indemnité due aux Mouhajirin et prenaient la précaution d¹inscrire leurs enfants à l¹état-civil de Tlemcen ceci dès avant l¹occupation française du Maroc. C¹est le cas des Triqui et des Meziane. D¹autres ont préféré ne pas se manifester comme tels et passer pour des Marocains. Il remarque aussi que la présence des Algériens à Oujda représentait un atout pour la France. Il écrit : «dans ce Maroc étranger à la France, les Algériens qui vivaient même musulmans, même ayant fui la domination française et n¹aspirant qu¹à se fondre dans la population qui les entourait, servaient déjà l¹intérêt français commercialement et politiquement, le plus souvent involontairement» 14
Cette participation massive des Algériens dans l¹administration du Protectorat leur a donné, aux yeux des Marocains, l¹image de gens qui se rapprochaient des Français et s¹éloignaient de leurs frères musulmans. Ainsi ils sont traités de «shab nçara» c¹est-à-dire «les amis des Chrétiens»15. Avec le temps, les Algériens sont devenus moins indispensables pour l¹administration française, ils furent progressivement remplacés par des Marocains pour les petits emplois. On réglementa leur admission au Maroc, surtout on changea le statut des fonctionnaires qui furent assimilés aux Marocains en 1926. L¹arrêté viziriel du 8 janvier 1926, déplaçait les fonctionnaires algériens musulmans du cadre français vers le deuxième cadre spécial marocain et assimilé. Les Algériens, à travers la Fédération des Algériens musulmans du Maroc, ont protesté contre cette réorganisation de 1926. Ils ont exprimé leur refus de cette confusion avec les Marocains, allant même jusqu¹à accuser la France de « racisme assimilateur ». La Fédération des Algériens musulmans du Maroc rappelle que « de nombreux algériens abandonnant leur situation en Algérie ou même interrompant leurs études, ont répondu à l¹appel de la France, se sont expatriés, ont donné au Maroc sa première armature et ont pu rendre au Protectorat de réels services... ; que la nationalité prime l¹origine et que le racisme assimilateur qui leur est opposé n¹est pas appliqué aux Israélites, le Juif algérien conservant un statut distinct et supérieur à celui de Juif marocain ».16 De même les salariés algériens ne pouvaient plus bénéficier de la législation sociale appliquée aux citoyens français. N¹étant pas des citoyens mais des «sujets français», ils ne pouvaient pas bénéficier de la majoration de traitement de 38% et du remboursement des frais de voyage en congé accordés aux Français.
Malgré ces inconvénients, les Oranais continuaient d¹affluer vers le Maroc. Ils étaient 2471 en 1926, ils passent à 4594 en 1936. (Š) Oujda fut leur point d¹arrivée, plus de la moitié des Algériens au Maroc en 1936 vivaient dans cette ville (57,6%). Pourtant le Maroc aussi se fermait plus au moins à leur émigration, à cause de la crise économique. A partir de cette période, les conditions d¹entrée des étrangers au Maroc, donc des Algériens dans ce cas, sont devenues dures, avec le dahir du 20 octobre 1931, dont les dispositions furent renforcées en 1934, avec l¹obligation de disposer d¹un contrat de travail accordé par l¹employeur pour une durée d¹un an minimum. Ce contrat devait être visé par le Service du Travail de Rabat. Les Algériens protestèrent contre cette loi, surtout que l¹entrée des Marocains en Algérie était pratiquement libre subissant de ce fait une concurrence sur le marché du travail algérien sans réciprocité.17
La troisième vague d¹immigration « supportée » et non pas « appelée », selon l¹expression de H. Lombard. Elle est composée essentiellement de travailleurs sans capitaux à la recherche d¹emplois et qui vont se confondre avec les prolétaires marocains. Ce caractère nouveau s¹est affirmé après la seconde guerre mondiale. A Oujda le nombre d¹Algériens passa de 4.813 en 1943 à 14.322 en 1951, leur nombre a triplé en l¹espace de huit ans. Cela concernait aussi les autres villes ou villages de la région orientale du Maroc comme Berkane, Ahfir, Taourirt. (Š). Ces immigrants sont majoritairement des ouvriers sans qualification. Un grand nombre s¹adonna à la contrebande qui régnait à Oujda. « Une population algérienne s¹est créée qui se compose de gens sans profession déterminée, instables, chômeurs... se rapprochant de la plus basse couche sociale marocaine tout près de laquelle ils vivent »18. A la fin de la guerre ce mouvement s¹intensifia, avec une foule de gens sans contrat de travail qui créait des petites boutiques et vivait avec les Marocains démunis dans des quartiers ou « villages » périphériques.
Le dernier afflux est lié aux événements de la guerre d¹indépendance de l¹Algérie déclenchée en 1954. A partir de cette date des milliers de réfugiés algériens s¹installèrent à Oujda ; 6.386 en 1957 et 9.851 en 195819. (Š)