Une cinquantaine de dignitaires catholiques et musulmans se réunissent le 4 novembre, à Rome, pour aider au dialogue entre l'islam et le christianisme. Mais qui étaient les fondateurs respectifs de ces religions ? Quel Dieu prêchaient-ils ? Quelle vision du monde oppose ces deux monothéismes ? L'Express ouvre le débat.
Le livre de Christian Makarian, directeur délégué de la rédaction de L'Express. Il a été censuré au Maroc en Algérie...
Ouvrons le débat là dessus.
La censure la fatoua est ce la mielleure soluition?
LES « RELIGIONS DU LIVRE »
L'expression "gens du Livre" (Ahl al-Kitab), c'est-à-dire les juifs et les chrétiens, revient une trentaine de fois dans le Coran : si l'islam n'occulte pas ces derniers, s'il accepte en grande partie leur héritage, s'il se situe dans leur lignage, que leur reproche-t-il donc au final ? En vérité, le Coran accuse les "gens du Livre" d'avoir falsifié (tahrîf) leurs Ecritures, ni plus ni moins, et d'avoir perverti la vérité qu'elles contenaient. "Ô gens du Livre! Pourquoi dissimulez-vous la Vérité sous le mensonge? Pourquoi cachez-vous la Vérité alors que vous la savez ?" (3, 71).
La preuve de leur mensonge est offerte par le fait que les juifs et les chrétiens se sont divisés, opposés, au lieu d'offrir à Dieu le spectacle de la paix et de l'unité. Le Coran est très clair sur ce point: "Certains juifs altèrent le sens des paroles révélées... Ils tordent leurs langues et ils attaquent la Religion" (4, 46). La sourate 5, qui pratique un curieux amalgame entre chrétiens et juifs, étant définitive : "Ils [les juifs] altèrent le sens des paroles révélées ; ils oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. Tu ne cesseras pas de découvrir leur trahison" (v. 13)... Parmi ceux qui disent: "Nous sommes chrétiens, nous avons accepté l'alliance", certains ont oublié une partie de ce qui leur a été rappelé. Nous avons suscité entre eux [les juifs et les chrétiens] l'hostilité et la haine jusqu'au jour de la Résurrection (v. 14)... Ceux qui disent: "Dieu est, en vérité, le Messie, fils de Marie", sont impies. Dis: "Qui donc pourrait s'opposer à Dieu s'il voulait anéantir le Messie, fils de Marie, ainsi que sa mère, et tous ceux qui sont sur terre » (v. 17)... Les juifs et les chrétiens ont dit: "Nous sommes les fils de Dieu et ses préférés. » Dis : « Pourquoi, alors, vous punit-il pour vos péchés" (v. 18). La conclusion de cette sourate terrible se passe de commentaires: "Si les incrédules possédaient tout ce qui se trouve sur la terre, et même le double, et s'ils l'offraient en rançon pour éviter le châtiment au jour de la Résurrection, on ne l'accepterait pas de leur part : un douloureux châtiment leur est réservé. Ils voudront sortir du feu, mais ils n'en sortiront pas : un châtiment leur est réservé" (5, 36-37). Le mot châtiment est prononcé trois fois, bien que Dieu soit désigné, deux versets plus loin, comme "celui qui pardonne" et qu'il soit qualifié de "miséricordieux".
L'exaltation du discours fait ressortir la nature extrêmement ambiguë, torturée, des rapports entre l'islam et les deux autres monothéismes. Le verset essentiel - "Nous avons suscité entre eux l'hostilité et la haine" - démontre au passage une conception très offensive de la bonté et de la miséricorde divines. Louis Massignon fera remarquer que "la tendance générale de la théologie islamique va à affirmer Dieu plutôt par la destruction que par la construction des êtres" (Passion, p. 631, n° 4). Le résultat en est une série de sourates particulièrement dérangeantes qui instaurent une tension permanente dans le rapport avec les juifs et les chrétiens.
A ce stade, il est utile de dissiper une opinion répandue, si souvent invoquée par les musulmans réformateurs comme par bon nombre d'intellectuels occidentaux : la Bible contiendrait encore plus de violence que le Coran, dans la mesure où elle contiendrait encore plus de passages où Dieu se montre cruel que le Livre saint de l'islam. C'est l'exemple type de l'incompréhension qui règne entre l'Occident et l'Orient, idée fixe que l'on retrouve tant dans le discours interreligieux que dans la doxa nihiliste. La Bible = le Coran est un faux-semblant qui suffit à illustrer l'impasse que constitue le "dialogue des civilisations".