Entretien : ” La sociologie est marginale et marginalisée en Algérie”
Publie le 03 janvier 2009 par faycal
Entretien avec le sociologue et journaliste Abdelkrim Aouari. Il est chercheur associé au GRAS.
Posez vos question en bas de cette page.
1-Quelle place occupe la sociologie aujourd’hui en Algérie ? On a l’impression que les sociologues algériens sont absents du débat public. On ne les entend pas beaucoup ?
La place de la sociologie aujourd’hui en Algérie est celle qu’occupent les sciences sociales, la recherche scientifique, le savoir et la culture en général: elle est marginale et marginalisée. Elle se cherche. Elle tâtonne. Elle n’a pas eu de prise sur la société qu’elle n’a pas su approcher, analyser au point que cette dernière n’a pas cessé de nous surprendre.
Aujourd’hui, elle s’interroge sur les raisons de son échec, remet en cause ses pratiques anciennes, ses méthodes et tente tant bien que mal de se remettre au travail lentement et sûrement pour produire de la connaissance scientifique et non pas des discours basés sur des certitudes idéologiques. A vrai dire, les conditions nécessaires au développent des sciences sociales n’ont jamais été réunies dans notre pays.
Elles sont frappées de suspicion et considérées par les équipes dirigeantes successives du pouvoir politique en place à l’indépendance comme «dangereuses », « subversives » , véhiculant des valeurs étrangères à notre peuple et devant être par conséquent mises sous surveillance. Elles n’avaient d’utilité aux yeux du pouvoir que si elles se mettaient au service de son projet de développement. Les sociologues et les universitaires algériens, des années 60 et 70 ont cru aux discours démagogiques habillés de modernisme et de justice sociale du pouvoir de l’époque. Ils se sont engagés dans leur grande majorité dans la mission de la transformation de la société qui leur a été dévolue par l’Etat. Ils n’avaient de regards et d’oreilles que sur ce qu’il venait comme injonctions et orientations de l’Etat et du pouvoir pour répéter et diffuser son discours au sein des masses populaires.
Les travaux des mémoires et des thèses portaient beaucoup plus sur les textes du conseil de la révolution et les résolutions du comité central du parti unique que sur la société et les pratiques sociales. Les convictions politiques et les certitudes idéologiques se sont érigées en savoirs dogmatiques ne supportant pas le moindre débat d’idées serein et sérieux.
L’université apparaissait plus comme une arène où se déroulaient d’âpres luttes d’oppositions politiques et idéologiques et de querelles linguistiques qu’un lieu de production de connaissances et de savoirs: Progressistes contre réactionnaires;arabophones contre francophones; islamistes contre laïcs.
Pour atténuer un tant soi peu cette agitation politique, les pouvoirs publics, à la faveur du changement du cap politique intervenu au début des années 80, considérant les sciences sociales comme « inutiles », vont créer un nouveau clivage en donnant la priorité aux filières technologiques. Les sciences sociales vont être reléguées au statut de parent pauvre.
Le résultat n’allait pas tarder à se faire sentir. L’université a formé des milliers d’étudiants dépourvus de tout esprit critique que les extrémistes religieux ont vite fait d’embrigader et d’enrôler dans la spirale de violence dont le pays peine d’en sortir. Cette dévalorisation et instrumentalisation des sciences sociales a fini par transformer l’université en un espace de reproduction de la pensée ordinaire, dominée par des préjugés de toutes sortes et des idées préconçues.
En fin de compte, l’université qui prétendait transformer la société a plus subi ses pesanteurs sociales et les étroitesses politiques.
Pour résumer la place de la sociologie et les science sociales est étroitement liée à la place des libertés publiques et du degré d’autonomie des acteurs sociaux. Une société régie par la distribution de la rente pétrolière n’incite pas à la réflexion critique, à la créativité, à l’effort, à l’expression libre, à la création d’organisations et d’associations autonomes, à l’émergence d’une réelle société civile, de partis politiques représentatifs.
Aujourd’hui, après toutes ces années sanglantes, on revient petit à petit à la raison. Les certitudes passées des uns et des autres sont remises en cause et on se relève de ses illusions. Mises à part quelques vieilles voix rotors, l’autre qui ne pense pas comme nous n’est plus l’ennemi à abattre mais à comprendre. Les arabophones sont conscients de l’apport que constituent les autres langues étrangères dont le français et des francophones maîtrisent désormais la langue arabe.
On assiste, ces dernières années à un retour à la pratique de la sociologie comme science telle que définie par ses fondateurs auguste compte, Durkeim et non comme de simples discours spéculatifs, théoriques, non confrontés aux réalités sociales comme cela a été le plus souvent pratiqué chez nous.
Durkeim disait que la sociologie ” ne méritait pas une heure de peine si elle ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif” et rester “un savoir d’expert réservé aux experts”. Elle a pour fondement l’attachement au rationalisme et le refus de la théorie pure. La sociologie est une science empirique. Elle a pour fonction d’interroger, de questionner toutes les idées, à commencer par toutes celles qui nous sont présentées comme des vérités immuables, allant de soi, si évidentes et si naturelles. Elle est d’essence critique. Critique d’abord envers elle-même, envers la société et surtout crique envers les différents pouvoirs.
Un autre principe de la sociologie est l’indivision des Sciences sociales.
La compréhension des faits sociaux ne peut être que multi-disciplinaire, d’où la nécessité de travailler ensemble sous forme d’équipes, de groupes de recherches
Les sociologues se sont rappelés ces définitions de base de la sociologie et ne vont plus les oublier après l’expérience que nous avons vécue.
Aujourd’hui des travaux sérieux sont menés sur la base de solides enquêtes. Une demande sociale de recherche pour comprendre des phénomènes commence à s’exprimer. Les pouvoirs publics sollicitent de plus en plus des recherches. Des centres de recherche en sciences sociales comme le CRASC et aussi le GRAS qui a le statut plus modeste de laboratoire déploient des efforts considérables pour réhabiliter les sciences sociales sur des bases scientifiques au service de la société.
Quant à la deuxième tranche de question, je pense que les sociologues ne se sont pas tous tus. Nombreux ont payé très cher leur engagement et leur refus d’abdiquer et de baisser les bras.
Nombreux ont été contraints à l’exil physique et moral mais néanmoins ils sont restés attentifs à ce qui se passe en Algérie et interviennent dans les débats à chaque fois que l’occasion se présente à eux.
Je tiens à préciser qu’il y a plusieurs profils de sociologues. Il est vrai aujourd’hui que le profil du sociologue militant des années 60 et70 a presque disparu. Un autre profil , celui du consultant a émergé pour répondre aux nombreuses offres de recherches lancées par des organisations internationales de l’ONU, de l’Union Européenne, de la banque mondiale et des entreprises étrangères. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’intellectuels engagés.
Dans la pratique du métier de sociologue, telle que nous l’avons brièvement défini, il y a toujours une part d’engagement qui varie d’un sociologue à un autre. Le problème à soulever est celui du peu de moyens dont ils disposent pour s’exprimer et plus encore de l’influence, de l’impact de leurs actions sur le grand public quand bien même, ces moyens existeraient.
Les sociologues s’expriment par leurs travaux de recherches, par les livres et par la presse. L’accès aux travaux de recherche est limité aux chercheurs et encore pas tous, ces travaux restent confinés dans les bibliothèques des universités qui les a produits et ignorés par les autres universités. Quant aux livres et même les journaux, l’impact est très limité en raison de la faiblesse du lectorat au double niveau quantité et qualité.
Le problème est que le sociologue a du mal à être compris quand on daigne bien l’écouter. L’explication réside dans la faible qualité de l’enseignement à tous les niveaux doublée de processus de déclassement professionnel et social des cadres ( enseignants, ingénieurs , médecins) et de la classe moyenne qui a pour résultat la dévalorisation sociale du champs des compétences et des savoirs.
Nos écoles et nos universités ont produit des étudiants qui sont comme le montrent nos enquêtes, les premiers à s’en plaindre. Démunis intellectuellement, qu’il leur est difficile de commencer à lire un livre qui ne s’inscrit pas dans l’obtention du diplôme et le finir.
Publie le 03 janvier 2009 par faycal
Entretien avec le sociologue et journaliste Abdelkrim Aouari. Il est chercheur associé au GRAS.
Posez vos question en bas de cette page.
1-Quelle place occupe la sociologie aujourd’hui en Algérie ? On a l’impression que les sociologues algériens sont absents du débat public. On ne les entend pas beaucoup ?
La place de la sociologie aujourd’hui en Algérie est celle qu’occupent les sciences sociales, la recherche scientifique, le savoir et la culture en général: elle est marginale et marginalisée. Elle se cherche. Elle tâtonne. Elle n’a pas eu de prise sur la société qu’elle n’a pas su approcher, analyser au point que cette dernière n’a pas cessé de nous surprendre.
Aujourd’hui, elle s’interroge sur les raisons de son échec, remet en cause ses pratiques anciennes, ses méthodes et tente tant bien que mal de se remettre au travail lentement et sûrement pour produire de la connaissance scientifique et non pas des discours basés sur des certitudes idéologiques. A vrai dire, les conditions nécessaires au développent des sciences sociales n’ont jamais été réunies dans notre pays.
Elles sont frappées de suspicion et considérées par les équipes dirigeantes successives du pouvoir politique en place à l’indépendance comme «dangereuses », « subversives » , véhiculant des valeurs étrangères à notre peuple et devant être par conséquent mises sous surveillance. Elles n’avaient d’utilité aux yeux du pouvoir que si elles se mettaient au service de son projet de développement. Les sociologues et les universitaires algériens, des années 60 et 70 ont cru aux discours démagogiques habillés de modernisme et de justice sociale du pouvoir de l’époque. Ils se sont engagés dans leur grande majorité dans la mission de la transformation de la société qui leur a été dévolue par l’Etat. Ils n’avaient de regards et d’oreilles que sur ce qu’il venait comme injonctions et orientations de l’Etat et du pouvoir pour répéter et diffuser son discours au sein des masses populaires.
Les travaux des mémoires et des thèses portaient beaucoup plus sur les textes du conseil de la révolution et les résolutions du comité central du parti unique que sur la société et les pratiques sociales. Les convictions politiques et les certitudes idéologiques se sont érigées en savoirs dogmatiques ne supportant pas le moindre débat d’idées serein et sérieux.
L’université apparaissait plus comme une arène où se déroulaient d’âpres luttes d’oppositions politiques et idéologiques et de querelles linguistiques qu’un lieu de production de connaissances et de savoirs: Progressistes contre réactionnaires;arabophones contre francophones; islamistes contre laïcs.
Pour atténuer un tant soi peu cette agitation politique, les pouvoirs publics, à la faveur du changement du cap politique intervenu au début des années 80, considérant les sciences sociales comme « inutiles », vont créer un nouveau clivage en donnant la priorité aux filières technologiques. Les sciences sociales vont être reléguées au statut de parent pauvre.
Le résultat n’allait pas tarder à se faire sentir. L’université a formé des milliers d’étudiants dépourvus de tout esprit critique que les extrémistes religieux ont vite fait d’embrigader et d’enrôler dans la spirale de violence dont le pays peine d’en sortir. Cette dévalorisation et instrumentalisation des sciences sociales a fini par transformer l’université en un espace de reproduction de la pensée ordinaire, dominée par des préjugés de toutes sortes et des idées préconçues.
En fin de compte, l’université qui prétendait transformer la société a plus subi ses pesanteurs sociales et les étroitesses politiques.
Pour résumer la place de la sociologie et les science sociales est étroitement liée à la place des libertés publiques et du degré d’autonomie des acteurs sociaux. Une société régie par la distribution de la rente pétrolière n’incite pas à la réflexion critique, à la créativité, à l’effort, à l’expression libre, à la création d’organisations et d’associations autonomes, à l’émergence d’une réelle société civile, de partis politiques représentatifs.
Aujourd’hui, après toutes ces années sanglantes, on revient petit à petit à la raison. Les certitudes passées des uns et des autres sont remises en cause et on se relève de ses illusions. Mises à part quelques vieilles voix rotors, l’autre qui ne pense pas comme nous n’est plus l’ennemi à abattre mais à comprendre. Les arabophones sont conscients de l’apport que constituent les autres langues étrangères dont le français et des francophones maîtrisent désormais la langue arabe.
On assiste, ces dernières années à un retour à la pratique de la sociologie comme science telle que définie par ses fondateurs auguste compte, Durkeim et non comme de simples discours spéculatifs, théoriques, non confrontés aux réalités sociales comme cela a été le plus souvent pratiqué chez nous.
Durkeim disait que la sociologie ” ne méritait pas une heure de peine si elle ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif” et rester “un savoir d’expert réservé aux experts”. Elle a pour fondement l’attachement au rationalisme et le refus de la théorie pure. La sociologie est une science empirique. Elle a pour fonction d’interroger, de questionner toutes les idées, à commencer par toutes celles qui nous sont présentées comme des vérités immuables, allant de soi, si évidentes et si naturelles. Elle est d’essence critique. Critique d’abord envers elle-même, envers la société et surtout crique envers les différents pouvoirs.
Un autre principe de la sociologie est l’indivision des Sciences sociales.
La compréhension des faits sociaux ne peut être que multi-disciplinaire, d’où la nécessité de travailler ensemble sous forme d’équipes, de groupes de recherches
Les sociologues se sont rappelés ces définitions de base de la sociologie et ne vont plus les oublier après l’expérience que nous avons vécue.
Aujourd’hui des travaux sérieux sont menés sur la base de solides enquêtes. Une demande sociale de recherche pour comprendre des phénomènes commence à s’exprimer. Les pouvoirs publics sollicitent de plus en plus des recherches. Des centres de recherche en sciences sociales comme le CRASC et aussi le GRAS qui a le statut plus modeste de laboratoire déploient des efforts considérables pour réhabiliter les sciences sociales sur des bases scientifiques au service de la société.
Quant à la deuxième tranche de question, je pense que les sociologues ne se sont pas tous tus. Nombreux ont payé très cher leur engagement et leur refus d’abdiquer et de baisser les bras.
Nombreux ont été contraints à l’exil physique et moral mais néanmoins ils sont restés attentifs à ce qui se passe en Algérie et interviennent dans les débats à chaque fois que l’occasion se présente à eux.
Je tiens à préciser qu’il y a plusieurs profils de sociologues. Il est vrai aujourd’hui que le profil du sociologue militant des années 60 et70 a presque disparu. Un autre profil , celui du consultant a émergé pour répondre aux nombreuses offres de recherches lancées par des organisations internationales de l’ONU, de l’Union Européenne, de la banque mondiale et des entreprises étrangères. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’intellectuels engagés.
Dans la pratique du métier de sociologue, telle que nous l’avons brièvement défini, il y a toujours une part d’engagement qui varie d’un sociologue à un autre. Le problème à soulever est celui du peu de moyens dont ils disposent pour s’exprimer et plus encore de l’influence, de l’impact de leurs actions sur le grand public quand bien même, ces moyens existeraient.
Les sociologues s’expriment par leurs travaux de recherches, par les livres et par la presse. L’accès aux travaux de recherche est limité aux chercheurs et encore pas tous, ces travaux restent confinés dans les bibliothèques des universités qui les a produits et ignorés par les autres universités. Quant aux livres et même les journaux, l’impact est très limité en raison de la faiblesse du lectorat au double niveau quantité et qualité.
Le problème est que le sociologue a du mal à être compris quand on daigne bien l’écouter. L’explication réside dans la faible qualité de l’enseignement à tous les niveaux doublée de processus de déclassement professionnel et social des cadres ( enseignants, ingénieurs , médecins) et de la classe moyenne qui a pour résultat la dévalorisation sociale du champs des compétences et des savoirs.
Nos écoles et nos universités ont produit des étudiants qui sont comme le montrent nos enquêtes, les premiers à s’en plaindre. Démunis intellectuellement, qu’il leur est difficile de commencer à lire un livre qui ne s’inscrit pas dans l’obtention du diplôme et le finir.