"Mohammed VI, le grand malentendu" est le titre d’un livre sorti hier en librairie en France. Edité par Calman Levy, ce livre écrit par Ali Amar, ancien directeur d’un hebdomadaire indépendant marocain, tend à briser l’omerta mise par la France et déclarait hier sur les ondes radiophoniques françaises que l’excellente image du roi Mohammed VI que véhicule la presse française est très loin d’être une image reflétant ne serait-ce qu’un bout de vérité.
Corruption, affairisme et autres atteintes aux libertés sont la pratique quotidienne du roi qui, selon l’auteur (dont le livre constitue le résultat de dix ans d’enquête) accapare aujourd’hui les deux tiers des capitalisations en Bourse et n’assure aucune distribution des richesses, entraînant de ce fait un déclin des conditions de vie des Marocains. L’auteur évoque aussi dans son ouvrage «la diplomatie Mamounia», du nom du sélect hôtel de Marrakech. Cette diplomatie s’apparente à la corruption et aux invitations et prises en charge somptueuses en faveur de politiques et de leaders d’opinion français, ce qui explique le silence sur la gouvernance du Makhzen.
Le 23 juillet, Mohammed VI célébrera le 10e anniversaire de son accession au trône. Ali Amar, un des fondateurs du "Journal", premier titre indépendant de la presse marocaine, publie "Mohammed VI, le grand malentendu"(1). Retour sur la première décennie d’un règne qui avait soulevé beaucoup d’espoirs.
Est-il correct de résumer votre livre en disant que l'ouverture attendue avec l'accession sur le trône de Mohammed VI avait été amorcée à la fin du règne de Hassan II, qu'il en a donné quelques signes et puis qu'elle s'est vite estompée ?
C’est exact. Ce n’est pas une idée iconoclaste de dire que la transition démocratique avait débuté au soir du règne de Hassan II. Mais à cause d’une communication très forte de Mohammed VI, on a eu l’impression que le 24 juillet 1999, au lendemain de la mort de son père, on aurait basculé du jour au lendemain dans la démocratie. Ce n’est pas crédible. Hassan II a desserré, sous la contrainte, l’étau de la dictature. A cause des changements dans l’ordre mondial, il a compris qu’il ne pouvait pas maintenir le trône sous un régime de fer sans mettre en danger la dynastie alaouite elle-même. Il a commencé à lâcher du lest. C’est à cette époque-là que le "Journal", que j’ai fondé, est né. C’était une fenêtre exceptionnelle parce qu’il a permis à la gauche, ses opposants irréductibles depuis des années, d’arriver au gouvernement et même d’avoir la primature.
Comment analysez-vous le début de règne de Mohammed VI ? A-t-il une réelle volonté d'ouverture ou est-ce une apparence et a-t-il été rattrapé par son entourage conservateur ?
Il est prisonnier d’un système; c’est évident. Il a envie d’une occidentalisation de la société. Mais il n’est pas favorable à un partage du pouvoir. Il pense qu’il faut maintenir un système de concentration des pouvoirs parce que la classe politique ne donne pas de signe de rajeunissement, parce que le danger islamiste fait peur. Il défend l’idée, assez contradictoire en sciences politiques, d’une monarchie exécutive. Une monarchie de droit divin, sacrée, intouchable, infaillible, Et une monarchie exécutive qui doit être responsable politiquement. Mais cette sacralité fait que cela génère une "irresponsabilité politique". Il n’est pas critiquable. Va-t-on critiquer le Premier ministre ? On sait très bien qu’il n’est qu’un simple exécutant des volontés du Roi. Au coeur du système, il y a une contradiction qui ne permet pas d’aller de l’avant. On est dans une situation meilleure que la plupart des pays arabes. Mais c’est une position que l’on risque de perdre si on n’avance pas.
Un des maux du Maroc ne réside-t-il pas dans la faiblesse de sa classe politique ? Vous citez dans votre livre l'exemple de la réforme du code de la famille que le gouvernement socialiste a été incapable de mener à bien...
Ils ont dilapidé en quelques mois 30 à 40 ans de combat idéologique.
Comment expliquer cette allégeance ?
Le mouvement de gauche, les héritiers de Mai 68, les panarabistes , cette génération-là a été complètement laminée par la répression. Les rescapés de cette gauche-là n’étaient peut-être pas les bons. Ceux qui ont milité depuis l’exil ont été prêts à se fourvoyer le moment venu. D’où l’intelligence de Hassan II d’octroyer une alternance à des gens qui se sont tout de suite intégrés dans le Makhzen (l’entourage de courtisans et d’obligés du Roi, NDLR). Malgré qu’ils n’avaient pas toutes les cartes en main, ils auraient pu imposer le statut de la femme, libéraliser les médias et surtout ne pas laisser la monarchie récupérer ces grands thèmes à son seul profit. Et là où Hassan II avait une classe politique révolutionnaire, Mohammed VI n’en a plus. C’est là où est le danger. Il est face à lui-même. C’est un printemps qui n’a pas fait fleurir les arbres.
La réforme du code de la famille n'est-elle pas "le" succès du début de règne de Mohammed VI ?
On a avancé; je vous l’accorde tout à fait. Mais c’est surtout à mettre au crédit du militantisme de ces femmes extraordinaires qui, pendant 30 ans, ont exigé des changements. Le Roi a pris cela en charge. Mais, en même temps, le risque est de dériver vers un féminisme d’Etat, un féminisme de représentation, de communication. On ne peut pas dire que la femme est libre si les libertés publiques n’existent pas.
L'islamisme n'est-il pas un prétexte pour justifier la répression ?
Les islamistes insérés dans le jeu politique sont comparables à des ultraconservateurs comme on en voit dans la classe politique occidentale, très comparable à l’AKP turc. C’est un islamisme politique acceptable dans la diversité d’une société, qui est extrêmement conservatrice. La frange plus minoritaire, celle qui pose des bombes, n’existe que sur le terreau de la misère et des inégalités. C’est un problème de redistribution des richesses. Le régime utilise l’existence de ce danger potentiel comme un épouvantail. C’est de cette manière-là que le régime marocain, comme d’autres, a pu s’attirer l’indulgence du monde.
Iriez-vous jusqu'à dire que le pouvoir instrumentalise cette minorité ?
Non. Il y a une vraie opposition idéologique. Mohammed VI a vraiment envie de se débarrasser de ces gens-là. Mais quand il est critiqué sur la répression de la liberté d’expression, il argue qu’il ne peut pas ouvrir ce front-là tant qu’il n’a pas résolu le problème islamiste. Ce qui est dommageable est qu’il utilise les vieilles méthodes sécuritaires de son père pour combattre un mal de société. Torturer des islamistes, ce n’est que les radicaliser. Fustiger la tradition et se dire Commandeur des croyants, c’est une position intenable. Les islamistes modérés sont très cohérents. Ils disent : "On nous dit de ne pas utiliser la religion dans notre discours politique. Mais nous ne sommes pas dans un pays laïc. L’islam est la religion d’Etat. Et puis quelle est la légitimité principale de ce Roi ? C’est qu’il est descendant du Prophète. Alors, lui-même est islamiste au sens politique du terme puisqu’il met la religion en avant. Nous voulons faire la même chose que lui".
Dernière édition par admin le Lun 18 Mai - 18:20, édité 1 fois