Misère et opulence
D’une façon générale les médias occidentaux ne tarissent pas d’éloge sur le Maroc qui jouit d’un préjugé favorable à la fois des gouvernements, des médias et des communautés juives qui, à raison, se souviennent de la position exemplaire de Mohammed V. Amale Samie écrit: «Le 26 janvier 2005, Serge Berdugo, secrétaire général du conseil des communautés israélites du Maroc, évoquait devant l’agence Associated press ´´l’éternelle reconnaissance´´ des juifs envers le sultan Mohammed V, qui avait protégé la communauté juive marocaine des vexations du régime de Vichy, pendant la Seconde Guerre mondiale. ´´Il n’y a pas de juifs au Maroc, il y a seulement des sujets marocains´´, avait répondu le roi au représentant de Vichy, lui demandant de ´´prévoir 150 étoiles jaunes supplémentaires pour les membres de la famille royale´´. Voilà pourquoi le Maroc ne disparaîtra jamais de la mémoire des juifs jusqu’à la énième génération. Les juifs du Maroc ont le Maroc au coeur, ils l’ont prouvé quand il avait besoin d’un lobby politique fidèle à la mémoire de ses ancêtres».(2)
Pourtant un vent d’espoir maghrébin était né lors de l’intronisation de Mohammed VI qui tournait la page de 30 ans de règne de feu Hassan II, caractérisé par la répression sans pitié des opposants, comme le rapporte Gilles Perrault dans son ouvrage «Notre ami le roi» paru en 1990. Ce livre fait le bilan accablant de 30 ans de règne et de torture. Gilles Perrault ne s’est pas contenté de dénoncer les exactions du roi du Maroc de l’époque, il s’est aussi interrogé sur la complaisance à son égard de certains membres des élites françaises...«Son règne est bientôt trentenaire et il est l’ami de la France, de ses dirigeants, de ses industriels, de ses élites de droite et de gauche. Roi du Maroc, Hassan II symbolise pour nombre d’Occidentaux le modernisme et le dialogue en terre d’lslam. Mais ces apparences avenantes dissimulent le jardin secret du monarque, l’ombre des complots et des prisonniers, des tortures et des disparus, de la misère. Il règne, maître de tous et de chacun, brisant par la répression, pourrissant par la corruption, truquant par la fraude, courbant par la peur. S’il n’a pas inventé le pouvoir absolu, son génie aura été de l’habiller des oripeaux propres à tromper ceux des étrangers qui ne demandent qu’à l’être. Sa "démocratie" connaît une moyenne de quatre procès politiques par an, plus de cent depuis l’indépendance, avec, chaque fois, une fournée de militants condamnés à mort ou à des siècles de prison. Tortures du derb Moulay Cherif, morts-vivants de Tazmamart, calvaire des enfants Oufkir, nuit des disparus sahraouis...La peur est l’armature de son système. Comme l’enfer, elle a ses cercles. Chacun, quelle que soit l’horreur de son sort, peut être assuré qu’un autre a connu pire.
Si l’on ajoute à cela l’enrichissement personnel, on a une idée de la condition de la société marocaine. Au pouvoir depuis dix ans, le souverain marocain serait, selon le magazine financier Forbes, l’un des hommes les plus riches du monde. Et sa fortune aurait doublé au cours des dernières années (..) Il est à la tête d’un joli pactole s’élevant à 2,5 milliards de dollars [1,8 milliard d’euros] et il caracole à la septième place des rois les plus aisés du monde sur une liste comprenant quinze souverains. (...) Rappelons que le Maroc est toujours à la 126e place dans le classement du rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et que le taux de pauvreté au Maroc est passé à 18,1%. La dette extérieure publique du Maroc a enregistré une augmentation de 10% par rapport à 2007, pour atteindre la somme de 11,9 milliards d’euros. Cela représente 20% du PIB et 39% des recettes courantes de la balance des paiements». ´´Jamais Hassan II ni la famille royale ne sont apparus dans les classements des fortunes mondiales, établis notamment par le magazine américain Forbes´´, ajoute cet observateur. Alors qu’elle était estimée à 500 millions de dollars au début des années 2000, la fortune de Mohammed VI a en effet été multipliée par cinq, à en croire le magazine américain. Et encore, ce n’est que la partie visible de l’iceberg(3)
Justement à propos d’inégalité, la ville de Casablanca est déchirée par ses contradictions. Dans cette ville écrit, Chafaâ Bouaïche, les autorités ont confié presque tous les services à des entreprises étrangères. «On fait appel à des étrangers pour gérer les affaires de la collectivité, comme si nous étions incapables de le faire nous-mêmes», regrette un cadre marocain. Le service de propreté de la ville est dirigé depuis 2004 par trois entreprises espagnoles. Par ailleurs, tout comme à Alger, c’est une société française - la Lyonnaise des eaux - qui gère l’eau et l’électricité de la ville de Casablanca. «C’est vraiment malheureux de voir notre pays confier la gestion de son eau, donc de sa vie, à un pays qui nous a colonisés!» nous confie un journaliste marocain. «A Casablanca, même les autobus sont gérés par une société française», poursuit-il. Casablanca n’arrive pas à cacher la misère de sa population.(4)
On l’aura compris, les Marocains ne profitent pas des fruits de la croissance que l’on dit de 5%. On apprend que dans la plus pure tradition esclavagiste, les Espagnols recrutent des femmes. Hicham Houdaïfa écrit: «(...) Il s’agit de 12.000 ouvrières marocaines qui doivent être recrutées dans des exploitations agricoles espagnoles en 2008. Fatema fait partie des milliers de postulantes à ce nouveau type de migration. ´´Ils ne veulent que des femmes, parce qu’ils sont sûrs qu’elles reviendront au Maroc´´, explique-t-elle. Ces futures ouvrières vont quitter hommes et enfants afin de pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles. Contrairement aux hommes, qui sont toujours heureux de décrocher un visa pour travailler ailleurs, ces femmes affichent une mine d’enterrement. Les ´´mmimates´´ (mères de famille, dans le jargon populaire) ont le coeur lourd. Ces femmes doivent être en bonne santé, ni grosses ni maigres, avec une dentition parfaite. Elles doivent non seulement être mariées mais également avoir des enfants âgés de moins de 14 ans! En acceptant toutes les conditions posées par les Européens en matière d’immigration, le gouvernement participe à une nouvelle forme d’esclavagisme»(5)
Le Sahara occidental, pierre d’achoppement pour l’UMA
Situé à l’ouest du Maghreb, sa superficie est de 266.000 km². A l’époque de son occupation par l’Espagne en 1884, le territoire du Sahara occidental est essentiellement occupé de tribus guerrières, maraboutiques et tributaires, organisées et indépendantes entre elles. La décolonisation bâclée a amené le roi à faire une marche verte sous les yeux des garnisons espagnoles qui quitteront le pays en février 1975. Le Maroc a souvent joué le rôle de gendarme des intérêts de la France en Afrique, ainsi que celui de temporisateur dans le Proche-Orient. Naturellement, ce pays fait l’objet de convoitise. Outre le Maroc, «côté américain, écrit Denise Sollo, il est important de gagner le marché marocain par l’établissement d’une zone franche entre les deux pays. Cette attitude s’inscrit dans la politique américaine de conquête du marché africain. Pour l’Union européenne, il s’agit surtout de garder les marchés déjà acquis.
Le Maghreb, de par sa proximité et ses richesses, représente pour l’Europe un marché à préserver et à développer. Néanmoins, pour les Etats-Unis comme pour les Européens, l’instabilité actuelle du Maghreb directement liée au conflit du Sahara occidental ne permet pas un bon déroulement du commerce. Raison pour laquelle ils sont tous pour un retour à la paix au Sahara. (...) On comprend donc pourquoi le Maroc se présente aujourd’hui pour les Occidentaux, comme un allié important face aux doubles fléaux que sont le terrorisme et l’intégrisme.(...) Les enjeux d’ordre économique relèvent des richesses contenues dans le sous-sol du territoire, ainsi que celles contenues au large des côtes et dans les fonds marins. En effet, des compagnies pétrolières y effectuent actuellement de la prospection, sous l’autorisation de l’Etat marocain. Il s’agit des multinationales française et américaine TotalFinaELf et Keer Mc Geer. Finalement, le conflit du Sahara occidental qui, si on part de la perception première de l’ONU et du droit international, se veut un conflit de décolonisation. La négociation demeure toutefois la démarche la plus réaliste pour espérer parvenir à une situation de paix dans cette partie de la région du Maghreb (...)»(6)
Dans cet ordre d’idées, un espoir: on apprend que la première rencontre informelle entre le Maroc et le Front Polisario sur la question du Sahara occidental est prévue à partir du 9 août en Autriche. Pour qu’un Maghreb de l’intelligence puisse émerger, il est bon que les pays en question fassent définitivement la paix avec leur histoire et s’acceptent dans leurs frontières actuelles pour aller progressivement, à l’instar de l’Europe, vers une Union maghrébine dans le plein sens du terme. Dans ce cadre et sans vouloir refaire l’historique des attaques récurrentes, qu’il nous suffise de rappeler la fameuse phrase des Romains: «Flumen malva dirimit mauretenias duas» Le fleuve Moulaya sépare les deux Maurétanie (la Tingitane et la Césarienne). Malgré cela la Moulaya est en territoire marocain et le traité signé le 18 mars 1845 par le Maroc et la France, marque la frontière entre le Maroc et l’Algérie occupée par la France.
L’Emir Abdelkader ne pouvant plus avoir de base arrière préfère se rendre en terre algérienne. Il faut aussi rappeler que la frontière algérienne était au méridien de Tabarka et que pendant la Régence d’Alger qui avait la tutelle morale sur les Régences de Tunis et de Tripoli, les pêcheurs de corail de Tabarka payaient un tribut au bey de Constantine.
Le pouvoir tunisien a vainement tenté de remettre en cause le tracé des frontières. De Gaulle en parle dans ses mémoires. Bourguiba au plus fort des négociations avec le Gpra, se déplace à Paris et tente de convaincre le général de l’appartenance d’une zone autour de la borne 33 qui serait tunisienne, n’était-ce un tracé flou et problématique qui donnerait indument à l’Algérie un territoire qui n’est pas le sien.
L’analyse pertinente du journaliste marocain Ali Lmrabet des dix ans de règne peut à certains égards être étendue à tout le Maghreb, tant il est vrai que les pays le composant ne sont pas acteurs de leurs destins. Ecoutons-le: «Peut-on vivre au Maroc d’aujourd’hui en faisant omission de cette réalité qui veut que tout doit tourner autour du roi? Peut-on se défaire de ce sentiment diffus qui veut que nous devons être, de par la loi, les fils respectueux d’un père bienveillant qui a réponse à tout, est présent partout, dans le politique, le religieux, l’économique, les affaires, le social et même dans l’action caritative et spectaculaire? (...) Et il est paradoxal de constater que ceux qui font leur cette analyse, en particulier les Français, les voisins espagnols et les lointains Américains (avant et avec Obama), ceux-là mêmes qui tiennent bec et ongles à leurs institutions et à leurs chères libertés, veulent nous garder en cage et nous pressent, indirectement bien entendu, de rester sages et d’accepter d’être gentiment conduits par le prince. (...) Nous ne serions pas prêts pour la démocratie, se lamentent ces hypocrites. Mais enfin, de quoi ont-ils peur? Que nous commencions à penser par nous-mêmes? A nous émanciper? Que nous trouvions des solutions à nos besoins, matériels et autres? Que veulent-ils, enfin, ces lointains Occidentaux? On a du mal à croire qu’ils veulent que notre région continue à être la grande fabrique d’extrémistes - qui se nourrissent, justement, des dictatures, des injustices faites aux gens et du manque de liberté criant qui sont notre pain quotidien».(7) Tout est dit.
(*) Ecole nationale polytechnique