Le référendum sur les minarets met la Suisse en émoi
Les Suisses voteront ce dimanche pour savoir s'il faut ou non interdire la construction de minarets dans la Confédération. Un scrutin à haut risque qui a déjà provoqué un débat national d'une rare violence.
Une campagne d'affichage provocatrice, des centaines d'heures de débats, des mois de controverses, une seule journée pour trancher. Demain, les Suisses répondront à la question qui les divise : faut-il ajouter à l'article 72 de la Constitution fédérale, qui garantit la paix entre les diverses communautés religieuses, l'interdiction de construire des minarets ? Une proposition de loi déposée par la droite conservatrice qui, si elle passait, pourrait créer un véritable choc en Europe.
Comment en est-on arrivé là ? L'affaire commence en novembre 2006, comme une banale querelle de voisinage, à Wangen bei Olten, un village du canton de Soleure, quand le tribunal administratif autorise, contre l'avis des riverains, la construction d'un minaret de six mètres de haut sur le toit du centre de la communauté turque. Très vite, le débat s'envenime, pose la question de la liberté religieuse et prend une dimension politique. De local, il devient national. Des militants de la très puissante Union démocratique du centre (UDC), qui dispose de 58 conseillers nationaux, et de l'Union démocratique fédérale (UDF), inquiets de l' «islamisation rampante de la société», sautent alors sur l'occasion et déposentune « initiative populaire » - l'arme absolue de la contestation politique en Suisse - visant à interdire toute édification future de minarets.
Pourtant, même s'il existe un projet de construction à Langenthal, dans le canton de Berne, seuls quatre minarets, à Genève, Zurich, Winterthour et Wangen, ont été bâtis à ce jour. Et aucun d'entre eux n'est utilisé pour l'appel à la prière. Mais, au pays de la démocratie directe, l'initiative populaire permet à n'importe quel Suisse de proposer une modification de la Constitution. Seule condition : être signée par 100 000 citoyens dans un délai de dix-huit mois, puis ratifiée par la population après une « votation » nationale.
«Nous avons lancé notre comité le 1er mai 2007 et obtenu 114 895 signatures, explique Oskar Freysinger, conseiller national, fondateur de l'UDC dans le canton du Valais et principal artisan de l'initiative. Pourquoi tout cela? Tout simplement parce que nous pensons que le minaret est le symbole d'une revendication de pouvoir qui, au nom d'une pseudo-liberté religieuse, conteste des droits fondamentaux comme l'égalité des sexes devant la loi, par exemple. Le minaret est aussi le reflet de la domination de l'islam. Et cela est inacceptable. Il symbolise donc une conception contraire à la Constitution et au régime légal suisse. Toutefois, cette initiative ne restreint pas la liberté de croyance, qui est garantie dans la Constitution comme un droit fondamental. Notre combat est d'abord juridique.»
Professeur d'allemand dans un lycée de Sion, une petite ville francophone, musicien, écrivain et politicien, Oskar Freysinger est le porte-drapeau des anti-minarets et le symbole d'un discours ouvertement radical sur l'islam. Coiffé d'une queue de cheval, habillé souvent d'une chemise indienne et roulant dans une voiture hors d'âge avec un autocollant «Free Tibet» collé à l'arrière, l'homme ressemble plus aux clichés de l'altermondialisme qu'à ceux de l'extrême droite. Son franc-parler, ses poèmes et ses chansons, abondamment commentés sur internet, lui ont valu le feu des critiques et une place de choix aux « Bouffons de la Confédération », l'équivalent suisse des « Guignols de l'info ». Mais, après ses nombreuses interventions hautes en couleur avec le gratin de la classe politique, même les plus chevronnés ne se risquent plus à le sous-estimer. Et son affrontement avec Tariq Ramadan sur la question des minarets, en mars 2009, en direct à la Télévision Suisse Romande, est resté dans les annales.
«Je peux comprendre l'émergence d'un débat, mais cette affaire est allée beaucoup trop loin, regrette Adel Mejri, président de la Ligue des musulmans de Suisse. A notre avis, il existe d'autres sujets beaucoup plus importants, mais le lancement de cette initiative bloque désormais les possibilités de dialogue. Son objectif est surtout de faire peur et de montrer l'islam sous une lumière noire.» De fait, la question des minarets a dépassé depuis longtemps la polémique architecturale. Malgré la prudence de l'exécutif, les nombreuses campagnes en faveur du non et l'interdiction à Bâle, à Lausanne ou à Neuchâtel des affiches en faveur du oui, jugées trop outrancières, elle a déjà réussi au-delà des espérances de l'UDF et de l'UDC. Sur fond d'inquiétude sur la montée de l'immigration, le débat sur la visibilité même de l'islam est désormais lancé.
Dans les années 70, la population musulmane était de 16 300 personnes pour 6,3 millions d'habitants. En 2010, selon l'institut suisse Religioscope, elle devrait s'élever à 400 000 personnes, dont 48 000 de nationalité suisse, pour 7,7 millions d'habitants. Soit un peu moins de 6 % de la population. Plus de 130 centres islamiques seraient aujourd'hui en activité. Autre élément : la diversité de l'islam dans la Confédération. Dans sa très grande majorité, la communauté est venue très récemment des Balkans (56,4 %) ou de Turquie (21 %). Mais les imams viennent, eux, le plus souvent d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. Des pays qui ne représentent que 6 % des croyants.
Au XIXe siècle, des clochers catholiques ont été interdits
Visible lors de la grande prière du vendredi à la mosquée de Genève du Petit-Saconnex, construite en 1978 avec des fonds saoudiens, cette diversité d'intérêts économiques, politiques et religieux alimente depuis plusieurs années les fantasmes et les peurs d'un pays qui, dans sa majorité, «n'entend rien concéder de plus aux musulmans que ce que la Constitution fédérale accorde déjà aux autres religions», comme l'explique Chantal Tauxe, éditorialiste à L'Hebdo, magazine édité à Lausanne.
«La vraie question est d'ordre identitaire, précise-t-elle. Les Suisses sont très attachés à la liberté religieuse et le comité anti-minarets rappelle des heures difficiles de notre pays quand, au XIXe siècle, des cantons protestants ont interdit aux catholiques de construire des clochers. Mais ceux qui ont lancé l'initiative surfent sur le malaise actuel sur l'avenir de la Suisse et sur le vieux fond xénophobe qui s'exprime parfois, à l'image des récentes déclarations outrancières et populistes du Mouvement citoyen genevois contre les travailleurs frontaliers français ou des craintes que peut inspirer un certain regard sur l'islam.»
Des affaires récentes pèsent également sur l'opinion publique, comme la question douloureuse de l'adhésion ou non à l'Union européenne, l'interrogation récurrente sur le rôle de la Suisse en Europe, les récents problèmes de la banque UBS et la pression très lourde des autorités américaines, les derniers démêlés avec la Libye, sans oublier les discours parfois enflammés des musulmans fondamentalistes. Des déclarations sur le port du voile en Suisse, la lapidation et la place des femmes dans le monde musulman qui, d'après les sondages, ont marqué profondément une population souvent prête à évoquer sans complexes sa xénophobie.
A quelques jours du scrutin, la dernière projection faisait état de 37 % pour l'interdiction et 53 % contre, 10 % des sondés restant encore indécis. Mais tout peut changer et, quel que soit le résultat du vote, une large partie de la classe politique s'inquiète déjà de ses possibles conséquences. «L'initiative sur les minarets a troublé l'image de la Suisse et souligné de façon trop caricaturale nos divisions internes et le traitement que nous réservons à la minorité musulmane, déplore Alain Berset président (PS) du Conseil des Etats, le Sénat suisse. Il y a un véritable risque que le débat dérape et que le monde arabe en prenne ombrage. Ce qui pourrait avoir des conséquences politiques et économiques déplorables.» Hani Ramadan, directeur influent du Centre islamique de Genève et frère de Tariq, a déjà prévenu : «Il serait absurde aujourd'hui de faire de la Suisse, au sein de l'Europe, une exception se distinguant par des relents de xénophobie.» Qu'en pensent les Suisses ?
Par Cyril Hofstein.
Source : lefigaro.fr