On expulse pas des femmes sahraouis de leur pays comme on a expulsé hier des marocaines d'Algérie de leurs logements à Oujda en 2008.
Ratage
A l’heure où ces lignes sont écrites (jeudi 10 décembre dans la soirée), Aminatou Haïdar en est à son 25ème jour de grève de la faim à l’aéroport espagnol de Lanzarote (Canaries). A l’heure où vous les lisez, elle y est peut-être encore ; ou alors, elle est en soins intensifs dans un hôpital. Depuis 25 jours, la militante pour l’indépendance du Sahara
Après un mois de confrontation, voici l’état des belligérants, tel que le perçoit l’opinion publique mondiale : d’un côté, une militante héroïque prête à sacrifier sa vie pour une cause romantique, soutenue entre autres par le secrétaire général de l’ONU, deux prix Nobel et différentes vedettes glamour ; de l’autre, un Etat inhumain et sans cœur qui expulse ses propres ressortissants, sépare de ses enfants une faible femme au bord du trépas, et la fait insulter par l’ensemble de sa classe politique. Les nuances, les détails ? Aucune importance. Seuls comptent, pour paraphraser la devise de Paris-Match, “le poids des mots et le choc des photos”. Et là, pas de doute : le sit-in mélodramatique de l’aéroport de Lanzarote l’emporte haut la main sur les éructations sur commande de politiciens sans crédibilité. Plus cette crise durera, plus le Maroc subira la pression des démocraties occidentales – qui ont appris, elles, à tenir compte de l’émotion publique suscitée par leurs médias, et à réagir en conséquence. Si Mme Haïdar finit à l’hôpital et que son image, intubée de tous les côtés, envahit les télés du monde, la pression sur le Maroc deviendra insoutenable. Chaque jour qui passe nous rapproche de cette échéance – si nous n’y sommes pas déjà, à l’heure où vous lisez cet éditorial.
L’Etat marocain s’est trompé dès le départ. En expulsant Aminatou Haïdar, il n’a pas mesuré sa combativité et sa détermination. Au-delà de rentrer à Laâyoune, ce qu’elle veut aujourd’hui, de toute évidence, c’est devenir l’ultime symbole de la cause indépendantiste. Plutôt que de lui offrir ce statut sur un plateau en faisant d’elle une martyre, nous aurions dû l’ignorer, et la laisser poursuivre son chemin, de toute façon déjà pavé de prix internationaux. Qu’aurions-nous risqué ? Que son étoile grandisse davantage ? Cela aurait avant tout gêné le Polisario, qui n’a aucun contrôle sur cette activiste “free-lance” assoiffée de gloire personnelle. Elle aurait donné plus de conférences à l’étranger en faveur de l’indépendance du Sahara ? Et alors ? Nos diplomates ne sont pas muets non plus, et ce ne sont pas les arguments de fond qui manquent pour défendre notre cause. Sur le fond, et depuis que son plan d’autonomie du Sahara est soutenu par les grandes puissances, le Maroc est à son avantage. Mais en laissant la forme (ç-à-d le mélodrame télévisé) prendre le pas sur le fond, nous nous sommes fait piéger comme des bleus. Au final, en exilant maladroitement Mme Haïdar, tout ce que le Maroc aura réussi à faire, c’est créer un personnage de “Gandhi sahraouie”… et pousser à l’union sacrée autour d’elle, non seulement à Tindouf et à Alger, mais dorénavant dans le monde entier. Bravo !!
Ce splendide ratage est imputable au manque de discernement et d’imagination de notre diplomatie. La “fierté nationale” peut être, parfois, une carte à jouer. Sauf qu’il faut savoir en jouer avec modération, car si on en abuse, on ne peut plus faire marche arrière. C’est la situation aujourd’hui, et nous n’avons plus qu’un seul choix : assister au show de l’agonie d’Aminatou Haïdar en assumant une publicité désastreuse pour le Maroc, ou lui rendre son passeport en assumant la défaite. Voilà ce qui arrive quand on s’enferme dans sa logique en ignorant obstinément le monde extérieur – et ses médias. A ce stade, il ne s’agit plus de manque de vision, mais carrément… d’autisme. C’est déplorable.
Telquel
Dernière édition par admin le Mar 15 Déc - 20:21, édité 1 fois