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Yahia zoubir, spécialiste en relations internationales sur le Sahara occidental, à liberté
“L’impasse sera dépassée par des négociations sans conditions”
Par : Hafida Ameyar


Dans l’interview qui suit, Yahia Zoubir, professeur en relations internationales, livre son commentaire sur la situation au Sahara occidental, notamment sur les derniers pourparlers informels qui ont eu lieu à Armonk, près de New York, entre le Polisario et le Maroc.


Liberté : Les discussions informelles, qui ont eu lieu les 10 et 11 février, entre le Front Polisario et le Maroc n'ont abouti sur aucun accord. Êtes-vous étonné par cette situation ?
Yahia Zoubir : Absolument pas, le contraire eut été surprenant. L’impasse demeure, car nous avons affaire à deux positions diamétralement opposées. Les Marocains ne veulent pas entendre parler d’un référendum d’autodétermination, même si ce droit est reconnu aux Sahraouis par les instances internationales. Ils estiment que cette pratique est obsolète, qu’il revient aux deux parties de négocier entre elles. Mais, contrairement aux dernières résolutions onusiennes qui stipulent que les parties doivent négocier “sans conditions préalables et de bonne foi” pour trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, assurant l’autodétermination du peuple sahraoui, le Maroc persiste à vouloir négocier uniquement son “projet d’autonomie”, alors qu’il faut rappeler qu’il n’a aucune souveraineté sur le territoire.
Du point de vue du droit international, le Maroc n’a pas d’autorité pour proposer aux Sahraouis un projet d’autonomie, qui n’a d’ailleurs aucun contenu, avec une attitude de “take it or leave it” (à prendre ou à laisser). Les officiels marocains déclarent vouloir négocier, mais ils ne veulent pas entendre parler de la contre-proposition sahraouie qui, elle aussi, est une base de négociation. Comme l’a déclaré Christopher Ross, après la rencontre d’Armonk, “aucune des deux parties n'a accepté la proposition de l'autre comme base unique pour les négociations à venir”. On fait du surplace, on voit mal ce qui pourrait briser le statu quo. Des négociations sans conditions et de bonne foi sont la seule voie réaliste pour briser l’impasse. Mais si les instances décisionnelles onusiennes ne font pas appliquer leurs propres résolutions, qui le fera alors ?


En sa qualité d'occupant d'un territoire non autonome, le Maroc est dans un rôle de colonisateur. Que dire de la responsabilité des organes décisionnels de l'ONU, de l'Espagne, des États appuyant le processus de décolonisation et même des puissances occidentales intéressées par la promotion de la paix au Maghreb ?
Sans le soutien des organes décisionnels de l’ONU au Maroc, notamment de la France et des États-Unis, il y a bien longtemps que ce problème aurait été résolu. Nous sommes dans une logique où les enjeux géopolitiques ont mis en veilleuse le droit international.
La France a des intérêts économiques et politiques considérables au Maroc et verrait d’un mauvais œil un État sahraoui indépendant sous l’influence de l’Algérie. Paris craint aussi qu’un processus référendaire déstabiliserait la monarchie.
Pour les États-Unis, même si la position de l’Administration d’Obama est un peu plus équilibrée que celle de George W. Bush et même si elle n’a pas soutenu le Maroc dans l’affaire de la militante sahraouie des droits de l’homme, Aminatou Haïder, la résolution du conflit au Sahara occidental n’est pas une priorité en soi. Pour les États-Unis, le plus important est la lutte antiterroriste dans la région du Maghreb-Sahel et la nécessité pour l’Algérie et le Maroc de coopérer dans cette lutte… Comme le statu quo n’a pas été un grand obstacle à cette lutte, la Maison-Blanche n’a donc pas encore fait preuve d’innovation dans son approche, même s’il devient assez évident que les officiels américains ne font plus les louanges du projet d’autonomie proposé par Rabat. La solution au Sahara occidental existe : l’application du droit international et/ou des négociations sérieuses qui permettraient la construction du Maghreb, qui servirait non seulement les intérêts des peuples de la région, mais aussi ceux de l’Europe et des États-Unis. Le conflit doit être résolu par voie démocratique et non par l’imposition de la loi du plus fort. L’Espagne, quant à elle, est entre le marteau et l’enclume. L’affaire d’Aminatou a montré les limites de son laxisme envers le Maroc sur la question sahraouie. Mais, Madrid a également des intérêts considérables au Maroc. De plus, la crainte de l’immigration clandestine, sur laquelle le Maroc pourrait fermer les yeux, lui lie les mains.
Quant à l’Union européenne, elle profite de son accord de pêche avec le Maroc, jouissant ainsi des richesses halieutiques du Sahara occidental, et ce, en violation de la légalité internationale. L’UE contribue aussi indirectement à la consolidation de l’occupation marocaine à travers des investissements, dans le cadre du Plan d’action de la politique européenne de voisinage.
Ainsi, les coûts du non-Maghreb et du conflit pèsent beaucoup plus sur les peuples maghrébins que sur l’UE ou sur les États-Unis. Seulement, il ne faut pas oublier que de nombreuses organisations de la société civile européenne, surtout celles qui défendent les droits humains, soutiennent la cause sahraouie. L’élan de soutien pour Aminatou a démontré que ces ONG peuvent exercer une pression assez conséquente sur leur gouvernement. Le cas espagnol est assez éloquent...
Par ailleurs, le Parlement européen a émis des doutes sérieux sur l’accord de pêche de l’UE avec le Maroc. La question des droits humains, elle aussi, fait son chemin dans l’hémicycle du Parlement européen. On ne peut cacher des vérités à l’infini.
J’ajouterai qu’on a tendance à oublier que la République arabe sahraouie démocratique (RASD) n’est pas une entité abstraite. Plus de 70 pays, principalement africains, latino-américains et asiatiques, reconnaissent, en effet, la RASD.
Malgré les pressions politiques et financières qu’on tente d’exercer sur eux par rapport à cette question, ces pays continuent de proclamer le droit des Sahraouis à l’autodétermination, puisque le Sahara occidental demeure une question de décolonisation. Il faut le répéter : le Sahara occidental a subi une recolonisation, espagnole puis marocaine, similaire à celle du Timor-Est. Si la RASD et la question du Sahara occidental sont un faux problème, comme le répètent les officiels marocains, alors pourquoi la RASD continue-t-elle de siéger au sein de l’Union africaine en tant que membre à part entière ? Cette question n’est pas une question banale ; c’est la dernière colonie africaine qui reste à décoloniser à travers un processus légal.
Ce qui explique d’ailleurs que même les puissances qui dressent des obstacles au processus de décolonisation du territoire n’osent pas reconnaître la souveraineté du Maroc au Sahara occidental, car cela équivaudrait tout simplement à remettre en cause le droit international. Bien entendu, ce droit a été violé plusieurs fois, mais excuser la colonisation d’un territoire par la force créerait un précédent dangereux dans les affaires internationales.  


Le dossier des droits de l'homme dans les territoires sahraouis occupés est un des points noirs. Ne trouvez-vous pas scandaleux que des pays membres influents du Conseil de sécurité, se présentant comme de grandes démocraties, limitent les prérogatives de la Minurso ?
Évidemment, ceci est scandaleux. Mais, ce n’est pas surprenant non plus, car les enjeux géopolitiques démontrent les limites du discours… ainsi que la pratique… sur les droits humains et autres. Ce n’est pas une nouveauté. Le Congrès américain n’a-t-il pas émis une fin de non-recevoir au rapport Goldstone sur le massacre de Gaza ? On choisit les droits de l’homme selon qu’ils servent ou non les intérêts nonobstant leur universalité. Ceci dit, il serait puéril de croire que cela ne peut pas changer en ce qui concerne le Sahara occidental. L’ONU y est présente depuis longtemps.
La résistance pacifique, initiée par les Sahraouis depuis 2005, ne peut pas laisser indifférente l’organisation mondiale ou l’UE, car des violations des droits humains ont lieu régulièrement. Des organisations telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch ne cessent de les dénoncer.
Le gouvernement américain, dans le rapport annuel du département d’État, signale lui aussi ces mêmes violations… des sénateurs et députés américains dénoncent également ces transgressions. Ce n’est donc pas surprenant que l’Exécutif américain n’a pas soutenu la position marocaine dans l’affaire d’Aminatou Haïder. Il n’est pas dit que le Maroc va bénéficier continuellement du soutien de certaines puissances.
Les intérêts des États changent et leurs politiques peuvent changer de cap.
En fait, la grève de la faim d’Aminatou Haïder, en décembre 2009, et les incidences diplomatiques qui en ont découlé ont eu un tel écho que l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU a demandé, le 28 janvier dernier, dans une séance à huis clos au Conseil de sécurité, d’inclure la surveillance des droits humains dans les prérogatives de la Mission des Nations unies pour le Sahara occidental (Minurso, ndlr), la seule force de paix de l’ONU qui ne dispose pas de ces compétences. C’est une requête déjà formulée, à laquelle la France s’était opposée en avril 2009.
Il est donc certain que cette question fera l’objet de discussions sérieuses entre les deux parties en conflit et fera partie des débats lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU au mois d’avril prochain. Les puissances ne peuvent l’occulter éternellement sans risque de perdre leur crédibilité.

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