En Algérie, le dernier communiqué du ministre de l’Education pose sérieusement le problème de la citoyenneté dans un pays où la parole «populaire» se perd dans les travées de l’indicible.
Mots menaçants, violence du ton et mépris de toute parole différente. Dans un pays normal, c’est-à-dire démocratique, toute la société aurait réagi à cet appel à la division nationale.
En tant qu’universitaire et ancien journaliste, n’ayant jamais fait partie d’un groupe de plus de deux personnes, je n’ai nullement été surpris par le silence complice de personnalités dites nationales et de l’université censées parler au nom de ceux qui sont privés de l’usage de cette parole. Comme je n’ai pas été étonné par le ton menaçant et l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire.
L’instrumentation régulière de la justice fragilise davantage cet appareil idéologique semblant obéir à des objections «référées», ce qui aggrave encore plus les choses, mettant en suspicion les espaces-clés du discours étatique, à commencer par l’école, la presse dite publique, la justice, et creusant ainsi un profond fossé entre les «privilégiés» (ceux détenant les postesclés) et la société profonde (vivant au quotidien les jeux trop peu amènes d’un pouvoir d’achat en chute libre), ce qui n’augure rien de bon pour un futur trop obscur, à l’aune des affaires actuelles de corruption et de la mise en accusation des espaces «politiques» actuels considérés sans légitimité.
Qui comprendra que l’UGTA, syndicat désormais minoritaire, gère encore les œuvres sociales de l’Education alors qu’il serait mieux indiqué de les laisser à tous les travailleurs qui choisiraient des commissions libres pouvant faire profiter tous les employés de cette conséquente manne financière ?
L’UGTA, quelque peu proche du RND, est imposée à une société qui semble vouloir l’envoyer au musée de l’Histoire, action qui aurait dû être entreprise il y a fort longtemps. Mais la contrainte semble prendre le dessus sur la raison. La césure caractérisant les relations conflictuelles entre les lieux de la décision et l’espace social est tellement profonde que toute communication est altérée, traversée par les scories de la répression.
Les syndicats enseignants semblent déranger parce qu’ils posent, au-delà de la légitime quête d’augmentation des salaires, des questions politiques.
Surtout la place réelle que devrait occuper ce qu’on appelle pompeusement la «centrale» syndicale, appelée à continuer à vivre de la rente pétrolière, d’ailleurs trop opaque dans un pays où, partout, celle-ci entretient les liens communautaires, tribaux et familiaux, faisant vivre une «famille» révolutionnaire aux crochets d’un ministère des Moudjahidine dont le budget serait beaucoup plus important que celui de l’Enseignement supérieur.
C’est tout dire d’un gouvernement qui considère l’université comme un simple espace d’illustration de son discours, l’hôpital comme une ambulance en perpétuelle panne et la «culture», otage d’une politique festivalière trop coûteuse, n’apportant absolument rien à la production culturelle, excluant les différents publics, s’apparentant à une «dilapidation» des deniers publics.
Dans ce contexte électrique, la convocation autoritariste de la parole répressive neutralise toute possibilité de dialogue et radicalise davantage le discours adverse appelé à se terrer un moment pour réapparaître au-devant de la scène.
La mémoire, pour reprendre Paul Ricœur, est le lieu privilégié de la remontée des eaux. Les jeux de l’autorité qui ne pourraient réduire les lieux saillants de la mémoire en une zone aphasique ne feraient que différer les vrais débats, engendrant de nouveaux rapports de force et mobilisant la société tout en fragilisant l’appareil étatique.
Ce qui provoquerait inéluctablement de profondes césures.
Par Ahmed Cheniki ( Professeur d’université), Le Soir
Le discours ministériel engage tous les espaces de gouvernement, contrairement aux propos contenus dans la déclaration, très tardive, trop timide et extrêmement timorée d’un Cnes, esseulé, préférant peut-être les jeux de coulisses, porteuses de places possibles à des strapontins éventuels. Le silence désormais trop peu significatif d’une UGTA, minoritaire, portant l’uniforme du soldat sans grade, faisant penser à Schweik, était également prévisible.
Tous s’accordent en observant un mutisme complice à cette menace tragique et historique (même du temps de la colonisation, la chose n’était pas arrivée) de licencier 50 000 enseignants et de les remplacer par d’autres qu’on pourrait changer de peuple et en choisir un autre beaucoup plus convenable, c’està- dire un peuple de ventres creux s’octroyant avec un plaisir extatique les places des autres.
L’université a besoin d’un véritable syndicat et d’une certaine autonomie, loin de cette mode à l’algérienne de recteurs futurs sénateurs ou députés de «partis» - appareils dits majoritaires. Certes, après le départ sciemment encouragé de centaines de compétences universitaires nationales à l’étranger, surtout dans les universités européennes et canadiennes, il ne reste finalement pas grand monde dans l’univers de ce que nous pourrions placer dans la catégorie des «producteurs de savoir».
L’université a atteint un stade avancé de déliquescence sans que les pouvoirs publics daignent s’en inquiéter. Ce qui se passe dans ces lieux misérables, marqués du sceau de l’aphonie et d’une incompétence primaire, n’intéresserait pas nos gouvernants trop prompts à aligner des chiffres trop myopes et à chercher à exorciser régulièrement le syndrome de l’année blanche. Professeur exerçant en Algérie et dans des universités européennes comme professeur invité, je ne peux qu’apprécier la grande différence entre les deux espaces.
Chez nous en Algérie, le plagiat, l’absence de sérieux, la mauvaise gestion et l’absence de recherche, en dehors de cette comptabilité funéraire de projets et de labos dits de recherche sans consistance, sont les lieux les mieux partagés.
Des universités souvent sales, des amphis non opératoires, des responsables désignés, parfois, en catimini et un fonctionnement des plus misérables caractérisent ces lieux où il n’y a ni salle de travail pour les étudiants, ni bureaux pour les professeurs condamnés à passer leur temps vide au milieu des étudiants, des bibliothèques jamais réactualisées et un grave déficit en activités culturelles, des conseils scientifiques s’occupant rarement de l’essentiel, des écoles dites doctorales n’hésitant pas à se substituer à la Fonction publique et des bourses assimilées à une distribution d’une rente. La majorité de nos universitaires ne lit pas, incapable de produire un savoir, manquant tragiquement de background culturel, se fourvoyant dans des tâches de reproduction de discours déjà là et dans une gymnastique continue de non-réactualisation de leurs cours (parfois intégralement d’Internet) et de leurs connaissances.
L’activité culturelle est dramatiquement absente : tout débat est impossible, les colloques se résumant souvent à des exposés descriptifs, espaces de bouffe et de distribution d’attestations de participation donnant la possibilité de postuler à des grades supérieurs et des revues ineptes sans réelle valeur scientifique. Il y a aussi cette histoire, qui n’en finit pas, de soutenances arrangées avec des jurys de complaisance.
Dans mon université où il est vain de chercher une bibliothèque valable ou une revue scientifique récente, je ne peux que gambader au milieu des étudiants dans des couloirs labyrinthiques, hors des amphis trop froids où il est impossible d’être entendu par les étudiants trop mal pris en charge, et d’une salle des enseignants, d’une incroyable saleté.
Pas de bureaux pour enseignants, pas de toilettes ni de lieux de travail corrects. Internet, c’est du domaine du virtuel.
Mon salaire de professeur (le grade le plus élevé de l’université) de 72 000 dinars, avec de nombreuses années d’ancienneté, me permet tout de même d’acheter quelques ouvrages.
Les uns et les autres se regardent, observant un silence marqué d’une grave indifférence, tournant souvent le dos au débat social et scientifique et à une société, drapés du sceau de l’étrangeté.
Cette manière de faire qui caractérise également le secteur de la Santé, laissé pour compte, d’ailleurs, ce n’est pas pour rien que des médecins ont été brutalisés lors de leur mouvement de protestation alors qu’ils posaient pacifiquement leurs problèmes, eux qui, médecins généralistes, débutent avec un salaire mensuel de 33 000 DA et un spécialiste ne dépassant pas les 44 500 DA.
L’hôpital, malade, est souvent assimilé à un mouroir, faute de bonnes conditions de travail et de matériel adéquat.
Nos responsables se soignent à l’étranger. Ce qui est une grave insulte à un système de santé qu’ils sont censés mettre en place. Nous sommes en présence de deux mondes, les privilégiés et les suivants et la société profonde.
Les deux conflits ont donné à voir aux Algériens l’impression qu’ils sont des étrangers dans leur propre pays.
Le discours du ministre de l’Education (et l’inflexibilité arrogante de son collègue de la Santé), usant d’un lexique violent, marqué par la présence de nombreux impératifs et de négations, dit par le présentateur de la télévision sur un ton militaire, inquiète par sa brutalité et son manque de mesure. Ce qui était entrepris pour faire du récepteur un être passif, soumis, connaît une mue : les jeux de la réception médiatique sont tellement complexes que le discours, une fois reçu, est neutralisé, se retournant contre son émetteur, assimilé à un représentant d’un appareil répressif, usant d’une force injuste.
C’est à l’image d’une télévision «armée», au garde-à-vous, éloignée du grand nombre, que nous avions affaire, ce qui engendre plus de distance et de méfiance. L’émetteur voit sa parole dégonflée, perdant son sens initial pour se retrouver marquée du sceau de l’étrange et de l’étranger.
Ce n’est pas pour rien que les gens parlant du ministre l’assimilent à un «ils», la troisième personne du pluriel, qui le met dans la posture de l’adversaire. «Le temps de la carotte est terminé » «les syndicats perturbateurs doivent être chassés » : ces sentences du premier responsable du secteur de l’Education sont graves, convoquent encore une fois la violence, la répression, la contrainte et l’autoritarisme, réduisant à néant toute prétention citoyenne.
C’est l’expression d’une pauvreté au niveau du langage et d’une propension à user de la violence quand les mots, peu engageants, ne réussissent pas à convaincre l’auditeur, une pratique fonctionnant essentiellement dans les structures tribales et claniques.
Pour le secrétaire général du ministère, l’Etat se confond avec le gouvernement, évacuant toute possibilité de pratiques démocratiques assimilées à la «carotte». C’est le SG qui nous propose cette sortie sur la presse publique et l’Etat, digne des régimes autocratiques : «Les médias publics appartiennent à l’Etat et doivent donc défendre l’Etat». De quel Etat parle-t-il ? Là se pose un sérieux problème de définition. Dans les pays démocratiques, l’Etat ne se réduit pas exclusivement à l’équipe gouvernementale.
Est-il possible de continuer à user de la violence «légale» pour désamorcer des crises qui ne cesseront pas de remonter à la surface et de réduire au silence toutes les voix discordantes que compte ce pays ? La censure n’y peut rien, comme ces instructions qui auraient été données, selon le site TSA, aux médias dits publics, d’ailleurs trop pauvres, pour qu’ils censurent une partie de la société protestataire, celle des enseignants et des médecins grévistes. La société, par ce comportement trop peu légal de pouvoirs «publics», vivant un sérieux déficit de légitimité, se retrouve déjà, de fait, exclue des travées des médias publics et en porte-à-faux avec un Etat depuis longtemps en voie sérieuse de privatisation.
Mots menaçants, violence du ton et mépris de toute parole différente. Dans un pays normal, c’est-à-dire démocratique, toute la société aurait réagi à cet appel à la division nationale.
En tant qu’universitaire et ancien journaliste, n’ayant jamais fait partie d’un groupe de plus de deux personnes, je n’ai nullement été surpris par le silence complice de personnalités dites nationales et de l’université censées parler au nom de ceux qui sont privés de l’usage de cette parole. Comme je n’ai pas été étonné par le ton menaçant et l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire.
L’instrumentation régulière de la justice fragilise davantage cet appareil idéologique semblant obéir à des objections «référées», ce qui aggrave encore plus les choses, mettant en suspicion les espaces-clés du discours étatique, à commencer par l’école, la presse dite publique, la justice, et creusant ainsi un profond fossé entre les «privilégiés» (ceux détenant les postesclés) et la société profonde (vivant au quotidien les jeux trop peu amènes d’un pouvoir d’achat en chute libre), ce qui n’augure rien de bon pour un futur trop obscur, à l’aune des affaires actuelles de corruption et de la mise en accusation des espaces «politiques» actuels considérés sans légitimité.
Qui comprendra que l’UGTA, syndicat désormais minoritaire, gère encore les œuvres sociales de l’Education alors qu’il serait mieux indiqué de les laisser à tous les travailleurs qui choisiraient des commissions libres pouvant faire profiter tous les employés de cette conséquente manne financière ?
L’UGTA, quelque peu proche du RND, est imposée à une société qui semble vouloir l’envoyer au musée de l’Histoire, action qui aurait dû être entreprise il y a fort longtemps. Mais la contrainte semble prendre le dessus sur la raison. La césure caractérisant les relations conflictuelles entre les lieux de la décision et l’espace social est tellement profonde que toute communication est altérée, traversée par les scories de la répression.
Les syndicats enseignants semblent déranger parce qu’ils posent, au-delà de la légitime quête d’augmentation des salaires, des questions politiques.
Surtout la place réelle que devrait occuper ce qu’on appelle pompeusement la «centrale» syndicale, appelée à continuer à vivre de la rente pétrolière, d’ailleurs trop opaque dans un pays où, partout, celle-ci entretient les liens communautaires, tribaux et familiaux, faisant vivre une «famille» révolutionnaire aux crochets d’un ministère des Moudjahidine dont le budget serait beaucoup plus important que celui de l’Enseignement supérieur.
C’est tout dire d’un gouvernement qui considère l’université comme un simple espace d’illustration de son discours, l’hôpital comme une ambulance en perpétuelle panne et la «culture», otage d’une politique festivalière trop coûteuse, n’apportant absolument rien à la production culturelle, excluant les différents publics, s’apparentant à une «dilapidation» des deniers publics.
Dans ce contexte électrique, la convocation autoritariste de la parole répressive neutralise toute possibilité de dialogue et radicalise davantage le discours adverse appelé à se terrer un moment pour réapparaître au-devant de la scène.
La mémoire, pour reprendre Paul Ricœur, est le lieu privilégié de la remontée des eaux. Les jeux de l’autorité qui ne pourraient réduire les lieux saillants de la mémoire en une zone aphasique ne feraient que différer les vrais débats, engendrant de nouveaux rapports de force et mobilisant la société tout en fragilisant l’appareil étatique.
Ce qui provoquerait inéluctablement de profondes césures.
Par Ahmed Cheniki ( Professeur d’université), Le Soir
Le discours ministériel engage tous les espaces de gouvernement, contrairement aux propos contenus dans la déclaration, très tardive, trop timide et extrêmement timorée d’un Cnes, esseulé, préférant peut-être les jeux de coulisses, porteuses de places possibles à des strapontins éventuels. Le silence désormais trop peu significatif d’une UGTA, minoritaire, portant l’uniforme du soldat sans grade, faisant penser à Schweik, était également prévisible.
Tous s’accordent en observant un mutisme complice à cette menace tragique et historique (même du temps de la colonisation, la chose n’était pas arrivée) de licencier 50 000 enseignants et de les remplacer par d’autres qu’on pourrait changer de peuple et en choisir un autre beaucoup plus convenable, c’està- dire un peuple de ventres creux s’octroyant avec un plaisir extatique les places des autres.
L’université a besoin d’un véritable syndicat et d’une certaine autonomie, loin de cette mode à l’algérienne de recteurs futurs sénateurs ou députés de «partis» - appareils dits majoritaires. Certes, après le départ sciemment encouragé de centaines de compétences universitaires nationales à l’étranger, surtout dans les universités européennes et canadiennes, il ne reste finalement pas grand monde dans l’univers de ce que nous pourrions placer dans la catégorie des «producteurs de savoir».
L’université a atteint un stade avancé de déliquescence sans que les pouvoirs publics daignent s’en inquiéter. Ce qui se passe dans ces lieux misérables, marqués du sceau de l’aphonie et d’une incompétence primaire, n’intéresserait pas nos gouvernants trop prompts à aligner des chiffres trop myopes et à chercher à exorciser régulièrement le syndrome de l’année blanche. Professeur exerçant en Algérie et dans des universités européennes comme professeur invité, je ne peux qu’apprécier la grande différence entre les deux espaces.
Chez nous en Algérie, le plagiat, l’absence de sérieux, la mauvaise gestion et l’absence de recherche, en dehors de cette comptabilité funéraire de projets et de labos dits de recherche sans consistance, sont les lieux les mieux partagés.
Des universités souvent sales, des amphis non opératoires, des responsables désignés, parfois, en catimini et un fonctionnement des plus misérables caractérisent ces lieux où il n’y a ni salle de travail pour les étudiants, ni bureaux pour les professeurs condamnés à passer leur temps vide au milieu des étudiants, des bibliothèques jamais réactualisées et un grave déficit en activités culturelles, des conseils scientifiques s’occupant rarement de l’essentiel, des écoles dites doctorales n’hésitant pas à se substituer à la Fonction publique et des bourses assimilées à une distribution d’une rente. La majorité de nos universitaires ne lit pas, incapable de produire un savoir, manquant tragiquement de background culturel, se fourvoyant dans des tâches de reproduction de discours déjà là et dans une gymnastique continue de non-réactualisation de leurs cours (parfois intégralement d’Internet) et de leurs connaissances.
L’activité culturelle est dramatiquement absente : tout débat est impossible, les colloques se résumant souvent à des exposés descriptifs, espaces de bouffe et de distribution d’attestations de participation donnant la possibilité de postuler à des grades supérieurs et des revues ineptes sans réelle valeur scientifique. Il y a aussi cette histoire, qui n’en finit pas, de soutenances arrangées avec des jurys de complaisance.
Dans mon université où il est vain de chercher une bibliothèque valable ou une revue scientifique récente, je ne peux que gambader au milieu des étudiants dans des couloirs labyrinthiques, hors des amphis trop froids où il est impossible d’être entendu par les étudiants trop mal pris en charge, et d’une salle des enseignants, d’une incroyable saleté.
Pas de bureaux pour enseignants, pas de toilettes ni de lieux de travail corrects. Internet, c’est du domaine du virtuel.
Mon salaire de professeur (le grade le plus élevé de l’université) de 72 000 dinars, avec de nombreuses années d’ancienneté, me permet tout de même d’acheter quelques ouvrages.
Les uns et les autres se regardent, observant un silence marqué d’une grave indifférence, tournant souvent le dos au débat social et scientifique et à une société, drapés du sceau de l’étrangeté.
Cette manière de faire qui caractérise également le secteur de la Santé, laissé pour compte, d’ailleurs, ce n’est pas pour rien que des médecins ont été brutalisés lors de leur mouvement de protestation alors qu’ils posaient pacifiquement leurs problèmes, eux qui, médecins généralistes, débutent avec un salaire mensuel de 33 000 DA et un spécialiste ne dépassant pas les 44 500 DA.
L’hôpital, malade, est souvent assimilé à un mouroir, faute de bonnes conditions de travail et de matériel adéquat.
Nos responsables se soignent à l’étranger. Ce qui est une grave insulte à un système de santé qu’ils sont censés mettre en place. Nous sommes en présence de deux mondes, les privilégiés et les suivants et la société profonde.
Les deux conflits ont donné à voir aux Algériens l’impression qu’ils sont des étrangers dans leur propre pays.
Le discours du ministre de l’Education (et l’inflexibilité arrogante de son collègue de la Santé), usant d’un lexique violent, marqué par la présence de nombreux impératifs et de négations, dit par le présentateur de la télévision sur un ton militaire, inquiète par sa brutalité et son manque de mesure. Ce qui était entrepris pour faire du récepteur un être passif, soumis, connaît une mue : les jeux de la réception médiatique sont tellement complexes que le discours, une fois reçu, est neutralisé, se retournant contre son émetteur, assimilé à un représentant d’un appareil répressif, usant d’une force injuste.
C’est à l’image d’une télévision «armée», au garde-à-vous, éloignée du grand nombre, que nous avions affaire, ce qui engendre plus de distance et de méfiance. L’émetteur voit sa parole dégonflée, perdant son sens initial pour se retrouver marquée du sceau de l’étrange et de l’étranger.
Ce n’est pas pour rien que les gens parlant du ministre l’assimilent à un «ils», la troisième personne du pluriel, qui le met dans la posture de l’adversaire. «Le temps de la carotte est terminé » «les syndicats perturbateurs doivent être chassés » : ces sentences du premier responsable du secteur de l’Education sont graves, convoquent encore une fois la violence, la répression, la contrainte et l’autoritarisme, réduisant à néant toute prétention citoyenne.
C’est l’expression d’une pauvreté au niveau du langage et d’une propension à user de la violence quand les mots, peu engageants, ne réussissent pas à convaincre l’auditeur, une pratique fonctionnant essentiellement dans les structures tribales et claniques.
Pour le secrétaire général du ministère, l’Etat se confond avec le gouvernement, évacuant toute possibilité de pratiques démocratiques assimilées à la «carotte». C’est le SG qui nous propose cette sortie sur la presse publique et l’Etat, digne des régimes autocratiques : «Les médias publics appartiennent à l’Etat et doivent donc défendre l’Etat». De quel Etat parle-t-il ? Là se pose un sérieux problème de définition. Dans les pays démocratiques, l’Etat ne se réduit pas exclusivement à l’équipe gouvernementale.
Est-il possible de continuer à user de la violence «légale» pour désamorcer des crises qui ne cesseront pas de remonter à la surface et de réduire au silence toutes les voix discordantes que compte ce pays ? La censure n’y peut rien, comme ces instructions qui auraient été données, selon le site TSA, aux médias dits publics, d’ailleurs trop pauvres, pour qu’ils censurent une partie de la société protestataire, celle des enseignants et des médecins grévistes. La société, par ce comportement trop peu légal de pouvoirs «publics», vivant un sérieux déficit de légitimité, se retrouve déjà, de fait, exclue des travées des médias publics et en porte-à-faux avec un Etat depuis longtemps en voie sérieuse de privatisation.