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La démocratie, seul remède à la « maladie hollandaise » de l'Algérie

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L’histoire secrète du pétrole algérien,vue par Hocine Malti

La démocratie, seul remède à la « maladie hollandaise » de l'Algérie Malti-10
Hocine Malti -


L’ingénieur des pétroles Hocine Malti, l’un des fondateurs de la compagne nationale d’hydrocarbures Sonatrach vient de publier une "Histoire Secrète du Pétrole Algérien ", une première histoire "intérieure " consacrée à ce secteur fondamental de l’économie nationale. Une plongée dans la variante algérienne du "syndrome hollandais".




La principale richesse de l'Algérie, son pétrole et son gaz, n'est plus source de bonheur pour son peuple. La volonté d'accaparement de la rente pétrolière par ses dirigeants, politiques et militaires, a plongé des pans entiers de la société dans la misère, tandis que les jeunes n'ont qu'une envie : quitter le pays. Afin de pérenniser leur pouvoir, ces dirigeants ont mis en place, derrière une démocratie de façade, un régime qui ne repose que sur deux piliers : la corruption et la police politique.
Pour comprendre comment l'Algérie en est arrivée là, il est essentiel de connaître la dimension la plus ignorée de son histoire contemporaine : celle de son pétrole. C'est cette histoire que brosse dans ce livre Hocine Malti, qui participa comme jeune ingénieur à la création de l'entreprise algérienne des pétroles, la Sonatrach. Montrant comment les premières découvertes de gaz et de pétrole sahariens en 1956 ont conduit la France à prolonger de plusieurs années la conclusion de la guerre d'indépendance, il révèle aussi les dessous de la collaboration conflictuelle entre sociétés pétrolières françaises et le jeune État algérien dans les années 1960, jusqu'à la nationalisation de 1971 par Boumediene.
Riche de détails inédits et d'expériences vécues, ce livre explique comment les dirigeants d'un des pays leaders du tiers monde ont mis ensuite à profit la manne pétrolière pour garnir leurs comptes en banque et acheter le silence des grandes démocraties sur les dérives du régime, tuant ainsi dans l'œuf toute tentative d'expression démocratique en Algérie. Et comment les milliards de dollars des hydrocarbures sont toujours aujourd'hui au cœur des règlements de comptes permanents entre les différents clans du pouvoir.

Hocine Malti, ingénieur des pétroles, a participé à la création de la Sonatrach, dont il a été vice-président de 1972 à 1975. Conseiller du secrétaire général de l'OPAEP (Koweït) de 1975 à 1977, puis directeur général de l'Arab Petroleum Services Company (Tripoli) jusqu'en 1982, il est aujourd'hui consultant pétrolier.

Collection : Cahiers libres – 360 pages – 21 €
En librairie à partir du 2 septembre 2010

http://www.marocainsdalgerie.net

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Introduction
L'Algérie, un pays malade de ses dirigeants


Quelle année fabuleuse pour l'Algérie que cette année 1956 ! Coup sur coup, en janvier puis en juin, on a découvert du pétrole dans le Sahara, à Edjeleh et à Hassi-Messaoud. Six ans plus tard, à l'issue d'une longue guerre de libération, le pays accédait à l'indépendance et on était alors en droit de penser qu'il y ferait bon vivre, car il serait riche de milliards de barils de pétrole et de mètres cubes de gaz qui feraient le bonheur de sa population. Ce ne sera malheureusement pas le cas.
Richesses volées, peuple piétiné


Et pourtant, l'Algérie est un pays très vaste, au climat doux et modéré, dont la terre, pour peu qu'on la travaille, est très fertile. La nature l'a aussi doté de fonds marins très riches tout le long d'une façade maritime que la Méditerranée a finement ciselée de criques et de plages merveilleuses. À l'arrière, la Mitidja, autrefois grenier à blé, puis la chaîne de montagnes de l'Atlas, couvertes de forêts, sur lesquelles il neige assez abondamment en hiver, sont propices à l'agriculture et à l'élevage qui y fournissent d'excellents rendements.
Plus au sud, le joyau de cet ensemble, le Sahara, est probablement le plus beau désert au monde avec des paysages féeriques et des oasis que de nombreux poètes ont chantés. Les cheminées volcaniques de la région de Tamanrasset, les sublimes dunes de Taghit et l'entrelacement sans fin de celles des ergs occidental et oriental, offrent des panoramas grandioses que des millions de touristes seraient enchantés de découvrir. Le sous-sol algérien est extrêmement riche. On y trouve de tout : du charbon, du fer, du zinc, du cuivre, de l'or, du platine, du plomb, des phosphates, de l'uranium, de la bauxite et bien d'autres minerais encore. En dehors du pétrole et du gaz, bien entendu.
Le peuple algérien, enfin, est fier et vaillant. En 1962, l'enthousiasme de sa jeunesse, l'énergie et l'élan formidable insufflés par la fin de cent trente-deux années de nuit coloniale constituaient autant d'atouts supplémentaires. Les revenus de la manne pétrolière, judicieusement utilisés, devaient lui permettre d'affronter les affres du sous-développement et de prendre à bras-le-corps les problèmes de la reconstruction du pays. Le destin des Algériens était d'être un peuple heureux et l'histoire du pétrole algérien aurait pu être un conte de fées.
Hélas ! La réalité que va révéler cet ouvrage est totalement différente, car ce que l'on sait des hydrocarbures algériens, ce que l'on en a vu ou ce que l'on en voit ne constituent que la partie visible de l'iceberg. On ne peut que constater, plus d'un demi-siècle plus tard, que le bonheur de ce peuple lui a été volé par ses dirigeants, que le pays est devenu un enfer, tandis que le sort de millions d'Algériens n'est que malvie et souffrances, voire sang et larmes. Pourquoi ce don du ciel qui aurait dû causer joie et bonheur est-il devenu source de tels malheurs ? L'argument souvent invoqué est qu'il existerait une « malédiction pétrolière ». Auquel cas il n'y aurait rien d'autre à faire, pour y mettre fin, que d'attendre le tarissement de tous les gisements pétroliers ou que l'on cesse de les exploiter.
Mais à vrai dire, l'Algérie est malade de ses dirigeants, pas de son pétrole. Ces dirigeants despotiques se sont emparés du pouvoir par la force des armes au lendemain de l'indépendance, un pouvoir que des successeurs corrompus ne veulent toujours pas remettre, à la fin de la première décennie du xxie siècle, entre les mains de son propriétaire légitime, le peuple, et qui ont fait des hydrocarbures leur bien personnel. C'est pourquoi l'Algérie n'est aujourd'hui ni démocratique ni populaire et de moins en moins une république, contrairement à ce que proclame le nom officiel du pays. La véritable malédiction est dans le système de gouvernance instauré par ces dirigeants, qui attribue tout le pouvoir à un homme et à un quarteron de généraux. Elle est dans le mode de transmission de ce pouvoir au sein d'un seul et unique clan qui prétend être une « famille révolutionnaire ». Elle est également dans la façon dont sont gérés les hydrocarbures au profit de cette seule caste. Pourquoi en est-il ainsi ? Comment en est-on arrivé là ? Je tâcherai d'expliquer tout au long de cette histoire secrète comment les ressources pétrolières ont attisé ces dérives despotiques.
C'est parce que j'ai été présent, dès 1964 et pendant près d'une vingtaine d'années, au c?ur même de l'outil pétrolier de l'Algérie, la Sonatrach, ou en détachement auprès de certaines de ses ramifications à l'étranger, et que j'ai continué ensuite à baigner jusqu'à ce jour dans un environnement pétrolier, que je me devais de relater la saga de l'or noir de mon pays. Je me devais aussi de raconter comment la poignée de jeunes cadres qui étions présents au début de cette saga en a écrit les plus belles pages, comment nous avons monté, pièce par pièce, cet instrument du développement économique du pays qu'est la compagnie nationale des hydrocarbures et comment nous avons arraché l'autre indépendance, économique celle-là, lors des nationalisations du 24 février 1971.
Cette longue bataille, nous l'avons menée face à des armadas d'experts internationaux, au prix de lourds sacrifices et au nom de cet avenir meilleur pour notre peuple que lui promettaient ses dirigeants. Je dois cependant admettre que nous ne nous étions pas rendus compte que certains d'entre eux étaient déjà en train de s'en mettre plein les poches et de tisser les mailles des réseaux qui allaient leur permettre de s'approprier le pouvoir et les richesses du pays. Au fil du temps, ces hommes qui ont prétendu avoir combattu le colonialisme par idéal patriotique, pour que le peuple vive libre et heureux, qui se sont décrits comme les défenseurs de la veuve et de l'orphelin, sont devenus les nouveaux colons, les Machiavel qui aujourd'hui règnent sur un pays en totale déliquescence, dans lequel ils ont fait de la vie de leurs concitoyens un enfer, mais qui demeure pour eux un pays de cocagne.
Il est certain que si le pétrole n'avait pas été découvert en pleine guerre de libération, celle-ci aurait duré moins longtemps. Comme on le verra, la France a en effet multiplié les efforts - militaires et politiques - afin de reculer le plus possible l'inéluctable indépendance, dans la perspective de garder le contrôle des hydrocarbures algériens (ce qu'elle réussira d'ailleurs en partie, lors des accords d'Évian marquant la fin de la guerre en mars 1962). Le règlement politique qui a tardé à venir a permis à trois chefs militaires, ceux que l'on a appelés les « trois B » (Lakhdar Ben Tobbal, Abdelhafid Boussouf et Krim Belkacem), de prendre en 1958 la direction des opérations de la révolution algérienne. Ils ont été suivis plus tard par un quatrième B (Houari Boumediene), qui a instauré à l'indépendance un régime dictatorial - qui prévaut jusqu'à ce jour -, avant que Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika n'entament l'?uvre de destruction du pays.
Rente pétrolière et corruption


Plus de cinquante ans après l'indépendance, le peuple algérien dépend toujours pour sa survie à 98 % de la vente des hydrocarbures. Au point que, depuis les années 1980, la vie politique du pays est largement déterminée par les fluctuations de leurs prix sur le marché international. Quand ces prix augmentèrent en 1980, le régime stoppa net tout investissement et se mit à importer tout et n'importe quoi, y compris le superflu, aux seules fins d'asseoir sa popularité. En 1988, la chute des prix a débouché sur des émeutes, brisées au prix de la mort de 500 personnes, fauchées par les balles du pouvoir. A contrario, quand les prix du pétrole atteignirent des sommets à 150 dollars le baril durant les années 2006-2007, le régime se mit à rêver de bâtir la plus grande mosquée du monde musulman après celles de La Mecque et de Médine, toujours dans le but de renforcer son pouvoir en s'attirant les bonnes grâces d'une frange de la population, mais aussi de réaliser un édifice plus grandiose que la mosquée érigée à Casablanca par le roi Hassan II.
Le pétrole a aussi permis à l'État algérien de peser durablement sur la scène politique internationale. Son image de « leader du tiers monde » dans les années 1960 est devenue plus tard un paravent hypocrite pour ses propriétaires, les généraux à la tête de l'armée et de la police politique, la Sécurité militaire : ils ont utilisé en sous-main les milliards de dollars des hydrocarbures afin d'acheter le silence des grandes puissances mondiales sur leurs dérives antidémocratiques.
J'essaierai également d'expliciter comment, derrière les discours grandiloquents de lutte contre la corruption, des pots-de-vin exorbitants puisés dans la manne pétrolière sont allés progressivement garnir les comptes bancaires des hommes du régime. Afin de perpétuer leur pouvoir en faisant main basse sur le pétrole et le gaz, surtout depuis les années 1980, ils se sont acharnés à faire de la véritable ressource intarissable de l'Algérie, ses hommes et ses femmes, une populace malléable et corvéable à merci. À empêcher les compétences de s'affirmer, à entraver le désir des citoyens de s'épanouir, à briser les ressorts de la société à s'émanciper, car pour eux un peuple majeur était un peuple dangereux. Ne pouvaient alors prospérer dans ces conditions que les incompétents ou les yes men, ce qui a contribué à enfoncer encore un peu plus l'Algérie.
Pire, quand les généraux se sont affichés (presque) au grand jour avec leur coup d'État de janvier 1992, ils ont fait le choix de la guerre civile pour prévenir le « péril islamiste » : ils ont assassiné ou laisser assassiner une grande partie des 200 000 morts enregistrés depuis, aux fins d'assouvir leur soif de pouvoir et d'opérer une razzia sur les hydrocarbures. Tout en prétendant n'être mus que par le désir de préserver la démocratie, une démocratie qui n'a jamais existé en Algérie, aujourd'hui encore moins que par le passé.
J'expliquerai également comment les hommes qui ont présidé aux destinées du pays ont marqué chacun à sa manière les étapes de sa descente aux enfers. Ainsi, Houari Boumediene lui a inoculé, à compter de l'été 1962, le virus du pouvoir personnel, son coup d'État du 19 juin 1965 étant venu simplement confirmer une situation préexistante. Son despotisme a cependant eu des retombées positives. Les revenus des hydrocarbures ont servi à améliorer le niveau de vie des citoyens, à mettre le savoir à la portée de tous, à fournir du travail à un grand nombre de jeunes, à établir une certaine équité au sein de la population et à fournir une couverture sociale même aux plus démunis. L'option socialiste qu'il a imposée à l'économie n'était probablement pas la meilleure pour la développer ; elle correspondait néanmoins aux v?ux de la majorité et représentait à l'époque le choix de plus de la moitié des habitants de la planète.
Je raconterai comment, tout en continuant d'exercer le même pouvoir personnel que son prédécesseur, Chadli Bendjedid a favorisé la propagation d'une autre gangrène dans le pays, la corruption. Sa famille, sa belle-famille, son entourage immédiat et d'autres cercles au-delà ont détourné une part importante de la rente pétrolière à leur profit personnel. En refusant d'assumer les tâches qui relevaient normalement de la fonction présidentielle, il a permis à la police politique, la redoutable Sécurité militaire, de prendre la totalité du pouvoir (on dit en Algérie que tous les pays possèdent leurs services secrets, mais que les services secrets algériens possèdent un pays). Ses réformes à la hussarde, du secteur pétrolier notamment, ont également contribué à la déliquescence de l'État.
Je relaterai aussi comment, depuis l'arrivée à la tête de l'État en 1999 d'Abdelaziz Bouteflika, simple président de façade, on a assisté à une extension généralisée de la corruption. Au-delà des clans du pouvoir, au-delà des membres de sa propre famille, plusieurs couches de la société ont été contaminées, à la manière de métastases cancéreuses se propageant à travers un corps humain, au point d'entraîner un changement complet des mentalités. Il est aujourd'hui ancré dans les esprits - chez la jeunesse en particulier - que seuls l'entregent et les pots-de-vin permettent de régler les questions de la vie quotidienne, qu'il s'agisse de la réussite à un concours, de l'obtention d'un diplôme ou de la délivrance d'un simple document administratif. Le régime instauré par les tuteurs de Bouteflika a également franchi un pas dans la destruction des valeurs morales du peuple algérien, que d'autres avant eux avaient un tant soit peu préservées. Aux fins d'assouvir leur soif de pouvoir, ils ont foulé aux pieds les intérêts suprêmes du pays, leur action la plus emblématique ayant été la promulgation, en 2005, d'une loi sur les hydrocarbures qui plaçait les richesses du sous-sol sous contrôle étranger. Durant cette période, certains chefs militaires sont allés jusqu'à commettre, pour un pot-de-vin, des actes d'espionnage pour le compte d'une puissance étrangère.
La très spéciale « maladie hollandaise » de l'Algérie


L'Algérie de 2010 est doublement malade. La rapine à laquelle se sont livrés - et continuent de se livrer - les hommes du pouvoir est venue aggraver la « maladie pétrolière » qu'elle avait contractée auparavant. En 1956, au moment des découvertes ? En 1962, lors de la confiscation du pouvoir par l'armée ? En 1979, quand la police politique s'est accaparée de la totalité du pouvoir ? On peut en discuter, mais cette maladie de l'économie en rappelle en tout cas une autre, le Dutch Disease. Selon les économistes qui ont forgé ce concept, les causes de cette « maladie hollandaise » sont d'ordinaire directement liées à l'irruption d'une richesse unique et subite, tel que le pétrole dans le cas de l'Algérie. Elle fut révélée dans les années 1960 par les conséquences nuisibles sur l'économie des Pays-Bas provoquées par les grandes découvertes de gaz de la province de Groningue et de la mer du Nord : l'accroissement des recettes d'exportation permises par le gaz a causé le renchérissement du florin, nuisant ainsi à la compétitivité des autres exportations du pays.
La variante algérienne de la « maladie hollandaise » est à la fois plus « primitive » et plus sophistiquée, puisqu'elle n'a même pas permis qu'existent des industries exportatrices, alors que cet échec de ses dirigeants les a conduits à fabriquer une économie presque entièrement dépendante des hydrocarbures, mais qui « tient » aussi par une assez habile gestion clientéliste de la rente pétrolière.
L'Algérie pouvait-elle échapper à ce mal ? Certainement, si elle avait eu des dirigeants plus honnêtes, plus soucieux des intérêts de la nation que des leurs propres, plus habiles dans l'établissement de programmes de développement du pays que dans le calcul des commissions à toucher sur telle ou telle affaire, des dirigeants plus désireux d'assurer l'avenir de tous les enfants algériens que celui des leurs uniquement. Les exemples de la Norvège et du Koweït, qui ont été touchés par ce syndrome et qui ont pu s'en sortir moyennant la création de fonds souverains dans lesquels ils ont placé leurs excédents financiers, sont là pour prouver que cela n'était pas impossible.
L'Algérie pourra-t-elle en guérir ? Quelle solution trouvera-t-elle pour s'en débarrasser ? En 2010, voilà déjà quinze à vingt ans, voire plus, que les hommes en charge de sa destinée, tous issus du même moule et du même système, parlent de l'après-pétrole, sans pour autant préparer le pays à affronter cette perspective cauchemardesque. Le lecteur se rendra certainement compte, après avoir découvert les secrets de cette histoire pétrolière, que l'Algérie est effectivement beaucoup plus malade de ses dirigeants que de son pétrole.


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Conclusion
La démocratie, seul remède à la « maladie hollandaise » de l'Algérie


Cette « histoire secrète » du pétrole algérien, commencée dans l'effervescence des premières découvertes françaises puis dans l'enthousiasme des jeunes ingénieurs de l'Algérie indépendante, se referme donc sur le constat amer d'un pays profondément gangrené par les dégâts de cette « maladie hollandaise », ce Dutch Disease que j'évoquais en introduction. Ce n'est cependant pas la fin de l'histoire, car le pétrole et le gaz algériens sont toujours présents et le seront encore durant quelques décennies. Et si le système de gouvernance que le pays a connu jusqu'à ce jour continue à prévaloir à l'avenir - pas avec les mêmes hommes bien entendu, mais avec leurs clones -, alors son état de santé se détériorera plus encore et le peuple sera toujours plus malheureux. Et pourtant, s'il y avait des degrés dans le malheur, on pourrait dire que l'Algérie a presque atteint le sommet de l'échelle. Mais quelles souffrances peut encore endurer ce peuple ? Qu'y a-t-il de plus horrible qu'une guerre civile qui a déjà coûté la vie à 200 000 de ses enfants ?
Les manifestations de désespoir que l'on enregistre depuis les années 2000 montrent hélas que l'on est encore loin du summum de l'horreur. Les jeunes Algériens ont bien compris que les richesses en hydrocarbures de leur pays ne leur appartiennent pas, ne servent pas à faire leur bonheur, que dis-je, ne permettent pas leur survie. Et ils ne rêvent que d'une chose : fuir vers l'étranger. Y compris en se jetant à la mer, sur une embarcation de fortune, avec une mort quasi-certaine au bout du voyage. Ces jeunes disent : « Je partirai n'importe où, mais je ne resterai pas ici. Mieux vaut être mangé par les poissons de la Méditerranée que par les vers de la terre d'Algérie. » Quelle pensée horrible ! Dans quel gouffre de désespoir doivent se trouver ces hommes qui, à l'âge de 20 ou 25 ans, envisagent avec une telle froideur de mettre ainsi fin à leurs jours ?
Et comment réagit le pouvoir face à ces tentatives de suicides collectifs ? Il jette en prison ces boat people d'un genre nouveau, qui se sont donné le nom très expressif de « harragas », ceux qui ont tout brûlé autour d'eux, passé, présent et avenir. Ceux qui ont perdu tout sentiment de tendresse ou d'amour, toute humanité vis-à-vis de leurs parents, leurs frères, leurs s?urs, leurs voisins ou leurs amis. Les quelques maigres biens qu'ils possèdent ne représentent plus rien pour eux, leur vie n'a plus de sens à leurs yeux. Après avoir poussé une grande partie de l'intelligentsia du pays vers l'exode, le pouvoir des Larbi Belkheir, Smaïn Lamari, Tewfik Médiène, Khaled Nezzar, Abdelaziz Bouteflika et consorts en est arrivé à faire de la majorité des jeunes Algériens des zombies, alors que, si rien ne change, les deux ou trois prochaines générations de leurs propres enfants se pavaneront dans la richesse et le luxe.
Tous ceux qui gardent encore quelque espoir sont bien convaincus que ce niveau d'injustice et d'horreur ne peut perdurer, qu'il faudra bien que les choses changent un jour. Ah ! Le changement. Voilà le mot qu'il ne faut surtout pas prononcer dans l'Algérie de 2010. Quand on évoque la possibilité de changement, que répondent les hommes au pouvoir ? Qu'il n'y a personne pour les remplacer. C'est là encore un des succès de ce régime machiavélique, puisqu'il a réussi à amener une part importante de la population à en être convaincue.
Et de fait, dans le système de cooptation actuel, il n'y a vraiment personne pour prendre la relève. Parce que cette cooptation se limite à puiser les candidats aux postes de très hautes responsabilités dans le même vivier, dont ils ont épuisé toutes les disponibilités, un vivier mis en place voici plus de cinquante ans. Pratiquement à la même date que la découverte du pétrole. Il n'y a personne, parce que pour les hommes du système, un demi-siècle plus tard, eux seuls peuvent accéder au pouvoir.
Abdelaziz Bouteflika en est le symbole frappant. Il était là au début de l'histoire, il y est encore aujourd'hui. Il avait tout juste 25 ans quand il a occupé le poste de ministre de la Jeunesse et des Sports dans le premier gouvernement de l'Algérie indépendante, il en a 73 en 2010. Son cas n'est pas unique, il en est ainsi de tous ceux qui détiennent les vraies rênes du pouvoir. Il faudra pourtant bien que cette « génération de novembre », qui prétend détenir une certaine « légitimité » en raison de sa participation à la guerre de libération, cède la place aux générations montantes. D'autant que cette « légitimité » dite révolutionnaire, elle l'a en vérité confisquée dès les premiers instants qui ont suivi l'indépendance et qu'elle l'a ensuite transformée en tutelle, qu'elle voudrait ad vitam aeternam, sur un peuple qu'elle juge mineur.
C'est pourquoi l'Algérie, où plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, est dirigée en 2010 par des septuagénaires. À titre de comparaison, depuis 1962, année de l'indépendance de l'Algérie, les États-Unis ont changé dix fois de président, des présidents qui étaient tous jeunes lors de leur accession à la magistrature suprême. De même, l'URSS avec ses dirigeants grabataires a cessé d'exister ; les nouveaux dirigeants russes, les Poutine, Medvedev et autres sont des hommes jeunes. L'Allemagne ou l'Argentine sont dirigées par des femmes qui n'étaient que des fillettes en 1962.
Il est grand temps que les septuagénaires au sommet de la pyramide du pouvoir en Algérie rentrent à la maison, comme n'a cessé de le proclamer Abdelaziz Bouteflika lui-même au début de son premier mandat. Ils se rendront compte alors que, contrairement à ce qu'ils affirment, il existe en Algérie des hommes jeunes et compétents, en mesure de prendre en mains les destinées de leur pays. Mais ce n'est qu'à partir du moment où la parole sera redonnée au peuple, où il lui sera permis de choisir librement ses dirigeants lors d'élections sans fraude, réellement propres et honnêtes - car la véritable légitimité s'acquiert par les urnes -, que le pétrole redeviendra ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être, un bienfait. Seule la démocratie pourra guérir l'Algérie de son Dutch Disease.


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Table des matières


Introduction 5

L’Algérie, un pays malade de ses dirigeants 5
Richesses volées, peuple piétiné 5
Rente pétrolière et corruption 7
La très spéciale « maladie hollandaise » de l’Algérie 10

1956-1962 : guerre et pétrole 12
Hassi-Messaoud 1956 : et le pétrole jaillit… 12
1957 : les premiers barils de pétrole algérien arrivent en France 14
Le Sahara doit rester français 15
La création en 1957 de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) 20
Le code pétrolier saharien de 1958 : un piège redoutable pour l’Algérie indépendante 24

1962-1964, le parcours initiatique des pétroliers algériens 27
Le coup d’État de l’été 1962 27
Le lourd héritage des accords d’Évian 28
L’Organisme saharien, une institution de transition 32
La découverte d’un univers impitoyable 34
Mise en place d’une administration 36
Les difficiles premiers pas des pétroliers algériens 39
L’affaire Trapal et la création de la Sonatrach 41
Belaïd Abdesselam et les débuts de la Sonatrach 45
1964, les défis du premier noyau de la Sonatrach 48

1965 : l’entrée en scène de la Sonatrach 52
Le coup d’État du 19 juin 1965 et le « mystère Boumediene » 52
Boumediene, dictateur et bâtisseur 54
L’accord algéro-français du 29 juillet 1965 sur l’exploitation du pétrole et du gaz algériens 57
Premiers travaux d’exploration de la Sonatrach 61
La question du gaz 63
La veillée d’armes 66

1966 : l’apprentissage 70
Un démarrage laborieux 70
Un nouveau président à la tête de la Sonatrach 71
Premiers forages algéro-français, premières frictions 74
La difficile collaboration algéro-française 77
Boumediene joue la carte soviétique 79
Les Soviétiques débarquent à Alger 82

1966-1968 : tensions franco-algériennes 85
Le gaz dans la relation France-Algérie : pomme d’amour ou pomme de discorde ? 85
L’accord gazier franco-algérien de mai 1967 87
La Sonatrach, vitrine du régime 91
Juin 1967 : la guerre des Six-Jours et les premières nationalisations 93
Un retournement de situation spectaculaire 95

1968 : entrée dans les zones de turbulences 99
Le commerce extérieur, monopole de l’État : bonjour les dégâts ! 99
Opération « Extinction des bougies » 102
Bras de fer autour de Zarzaïtine 105
Français et Soviétiques face à face 107
Difficiles négociations algéro-soviétiques 111
Le pétrole ne connaît pas de frontières : tensions algéro-tunisiennes 114

1969-1970 : le tournant américain 118
Le contrat Sonatrach/El Paso Natural Gas de 1969 118
Le lobby pétrolier algérien aux États-Unis 122
Messaoud Zéghar, représentant personnel de Boumediene 124
Lune de miel algéro-américaine 126

1969-1970 : les années de braise 130
Les lendemains de la guerre des Six-Jours 130
1970 : l’OPEP prend les choses en mains 133
Janvier 1971 : la contre-offensive des compagnies pétrolières occidentales 136
Négociations algéro-françaises, acte I 140
Négociations algéro-françaises, acte II 142

Février 1971 : « Porter la révolution dans le secteur des hydrocarbures… » 148
Février 1971 : la nationalisation du pétrole et du gaz 148
Les responsables de la Sonatrach sur la brèche 150
Un impressionnant degré d’impréparation 153
Hésitations françaises 155
Le programme d’action du 1er mars 1971 157
Couper le cordon ombilical de la CFP(A) avec Neuilly ? 162

1971 : la bataille du pétrole franco-algérienne 166
Les escarmouches de mars 1971 166
Il n’y a plus rien à négocier ! 170
Les mesures de rétorsion françaises 174
La CFP quitte l’Algérie 178
1er mai 1971 : baptême du feu à Hassi-Messaoud 180
« Les torchères brûlent toujours dans le ciel de Hassi-Messaoud »

1972 : la sortie du tunnel 188
La fin des hostilités 188
Percée américaine 191
19 juin 1971 : la fête du régime 192
Avril 1972 : nouveau démarrage pour la Sonatrach 196
Un enfantement dans la douleur 198

1973 : la grande tourmente 202
La guerre du Viêt-nam et les bouleversements de la scène pétrolière mondiale 202
La guerre israélo-arabe d’octobre 1973 206
Tourmentes à l’algérienne 211
Boom pétrolier en Algérie, premier grand scandale de corruption 214

1974-1978 : l’Algérie et le nouvel ordre mondial 219
Le pétrole au cœur des relations internationales 219
Duel à distance Alger-Washington 221
La Sonatrach à l’international 226
De Charybde en Scylla, les derniers grands projets de l’ère Boumediene 229

Le grand bouleversement de 1979 234
La mort prématurée de Houari Boumediene 234
Chadli Bendjedid, l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé 236
Premiers règlements de comptes 239
Ouragan sur le secteur pétrolier 242
Où l’on reparle du contrat de vente de gaz à El Paso 245

1979-1983 : le double visage du régime Chadli 250
La face visible du nouveau pouvoir : populisme et laisser-faire 250
Le deuxième choc pétrolier : manne pétrolière et débâcle économique 252
La face cachée du système : l’emprise de Belkheir et de Messaâdia 255
La corruption au sommet de l’État : l’affaire du gazoduc sous-marin Algérie-Italie 259
La Françalgérie à l’œuvre : le contrat de vente de gaz Sonatrach-GDF de 1982 263

1984-1991 : le retour des multinationales pétrolières 268
Règlements de comptes dans l’armée 268
Le tournant de la répression sanglante des émeutes d’octobre 1988 271
Propagation de la corruption et avènement de l’islamisme politique 273
La réforme pétrolière de 1986 275
Le retour de Ghozali aux affaires et la nouvelle loi sur les hydrocarbures de 1991 278
Le coup d’État de janvier 1992 281

1992-1998 : la guerre civile des généraux « janviéristes » 284
L’arrivée au pouvoir du général Liamine Zéroual 284
La lutte des clans et la victoire des « janviéristes » 286
La bataille pour le contrôle des hydrocarbures 289

1999-2001 : l’Algérie bascule dans le camp américain 293
Avril 1999 : le rêve d’Abdelaziz Bouteflika devient réalité 293
Chakib Khelil, un « Américain » au ministère de l’Énergie et des Mines 296
La politique pétrolière américaine sous George W. Bush 299
L’incroyable feuilleton de la nouvelle loi algérienne sur les hydrocarbures (2001-2005) 302
Les attentats du 11 Septembre, divine surprise pour les généraux 306

L’Algérie, pays de cocagne… pour les corrompus 311
Brown & Root-Condor, une entreprise algéro-américaine au cœur des réseaux de corruption 311
2006 : l’« affaire BRC » et la base secrète américaine dans le Sahara 314
Le rapport de l’IGF et ses conséquences 317
Les amis du président (I) : les surprises de l’affaire Orascom 320
Les amis du président (II) : Lavalin, Saipem et tutti quanti 323
La Sonatrach, un grand corps malade 326
Conclusion 331
La démocratie, seul remède à la « maladie hollandaise » de l’Algérie 331
Index 334
Table 335


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