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Djazaïr az-Zaaf wad-Dokha : L’Algérie malade de ses élites

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admin"SNP1975"

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Par Abdelhafid Larioui
Le 02 septembre 2010

Préambule

Cette note est inspirée par un échange sur le site de l’Institut Hoggar à propos de la qualité littéraire de l’œuvre d’un compatriote qui se livre depuis quelque temps à des essais poétiques et qui s’est vu critiqué d’une façon qui m’a paru excessive[1]. On lui a reproché notamment de ne pas avoir l’éloquence du poète Moufdi Zakaria, ce qui ferait de lui un intrus dans l’univers de la poésie. J’ai répondu à cette critique par ce petit mot :

« La poésie est l’art du vrai, c’est-à-dire cette parole véhiculant une vérité universelle qui va droit au cœur et fait vibrer cette corde sensible à l’intérieur de chacun de nous. A la limite, on s’en fiche des tournures de la langue. C’est du superflu. Quant aux ‘colonnes’ du défunt Moufdi Zakaria, leur puissance de pénétration de l’âme ne vient pas du fait qu’elles soient bien alignées, respectant la rime, mais du fait qu’elles expriment authentiquement une réalité partagée. La poésie est un don de soi, un souffle véhiculé par tout support de communication, comme la langue, et qui disparait dès qu’on y touche. C’est pour cela que le poète américain Robert Frost disait que la poésie, c’est ce qui est perdu lors d’une traduction. Au lieu de vous attaquer aux rares voix qui tentent d’exprimer dans une langue respectable la douleur des leurs, vous devriez critiquer les bataillons d’hommes de lettres (toutes langues confondues) et d’artistes (toutes expressions confondues) algériens qui ont passé les deux dernières décennies loin des préoccupations réelles de leur peuple. Résultat : l’Algérie vit une ‘khalidation’ de l’art et de la culture portant les empreintes de Cheb Khaled et de Cheïkha Khalida. »

Cet incident a remué en moi la tentation, depuis longtemps réprimée, de tenter une note sur l’élite algérienne, c’est-à-dire sur nous tous qui avons abandonné les champs artistique, intellectuel et politique et laissé un vide occupé avec le temps par des artistes désengagés, qui ont fini par n’avoir d’opinion sur rien, et dont Cheb Khaled a eu le mérite de résumer l’état par sa formule célèbre « comme il a dit lui », un vide occupé par des intellectuels et des politiques sans attaches avec le peuple, représentés par excellence par « une femme debout » qui s’est vite « couchée » pour des miettes de pouvoir, et qui veille depuis sur le paysage culturel algérien.

Quelques précisions nécessaires

Je dois au préalable apporter les quatre précisions suivantes.

Première précision : Cette note ne prétend pas traiter une question aussi importante de façon académique, en passant en revue, systématiquement, les postures intellectuelles et les positions politiques d’un échantillon statistiquement significatif et représentatif des élites algériennes durant au moins les vingt dernières années. Il s’agit tout simplement d’impressions empilées en observant les attitudes et les comportements, les discours et les actions, d’un certain nombre de personnalités algériennes. La note est donc forcément partielle et déséquilibrée. Ce manque de rigueur s’explique par le fait que l’auteur désire moins rédiger un essai étoffé sur le sujet que lancer un cri de colère qui reflète sa frustration de constater l’immobilisme permanent des élites algériennes alors que leur pays sombre à grande vitesse.

Deuxième précision : Tout le monde sait à quel point les élites au pouvoir, depuis l’indépendance, qu’elles soient militaires, politiques ou religieuses, ainsi que celles qui leur apportent soutien intellectuel et artistique, ont détruit l’Algérie sur tous les plans. Leurs crimes noirciraient des encyclopédies. Ce sont elles qui font obstacle, par la répression, la corruption et la compromission, à l’émergence d’une véritable élite algérienne soucieuse des intérêts de la nation. Mais je crois qu’il faut dépasser ce constat et explorer le rôle des élites qui se positionnent hors du pouvoir, voire en opposition avec lui.

J’ai beaucoup apprécié les propos récents d’Abdelkader Dehbi, sur le site Internet du Quotidien d’Algérie, suite au témoignage de Karim Moulaï sur l’implication du Département de renseignement et de sécurité (DRS) dans les crimes contre l’humanité perpétrés en Algérie dans les années 1990. En affirmant que les révélations de l’agent du DRS « ne constituent nullement un ‘scoop’ », et que depuis des années, les crimes de cette officine obscure « n’ont jamais fait l’ombre d’un doute, dans l’esprit d’une grande majorité de l’opinion publique, tant nationale qu’internationale », il a mis le doigt sur une triste réalité sociologique en Algérie, que Malek Bennabi appellerait « la prédisposition au despotisme », et a interpellé les élites de l’opposition de façon franche et pertinente : « Pour nous citoyens, qui nous targuons de faire partie de l’élite intellectuelle de ce pays, pourrions-nous affirmer sans mentir à nous-mêmes, que nous ne nous sentons pas envahis par un profond sentiment de honte, de continuer à supporter depuis tant d’années, d’être les spectateurs passifs, voire complices, d’une véritable mise à mort d’un pays et de mise à sac de ses ressources par un pouvoir politiquement illégitime, pénalement criminel, moralement corrompu et civiquement traître à la nation ? Qu’attendent tous les enfants dignes de l’Algérie, par-delà leurs sensibilités idéologiques et politiques, pour se rassembler en un immense élan de nationalisme, pour s’organiser et faire bloc autour d’un seul objectif : libérer le pays, par tous les moyens de lutte pacifique, du joug d’un pouvoir criminel, corrompu et anti national ? »[2]

Je trouve en effet regrettable que le DRS, en captant en permanence l’attention de beaucoup d’entre nous, nous rend aveugles à son anagramme sociologique, le SRD (syndrome de la résignation et la démission). Il s’agit de ce fléau aussi ravageur que le DRS qui se manifeste par la résignation du peuple et la démission de ses élites. DRS et SRD représentent, à mon avis, les deux facettes d’une même pièce, deux phénomènes entretenant un lien étroit de causalité. D’une part, pour survivre, le DRS favorise l’apparition et la propagation du SRD. La résignation du peuple est l’effet d’un traumatisme collectif provoqué par tant d’années de répression féroce : détentions, tortures, disparitions, massacres, etc. La démission des élites est un aveu d’impuissance devant ce qui est intériorisé par beaucoup d’entre elles comme une « toute-puissance » du DRS, une conséquence de la stratégie de ce dernier résumée dans le triptyque « répression-corruption-compromission ». D’autre part, le SRD offre les conditions idéales pour le développement et la consolidation du DRS et le renforcement de sa « toute-puissance » dans l’imaginaire collectif, vu que peu de gens osent la défier politiquement ou intellectuellement.

Troisième précision : Lorsque je critique telle ou telle élite cela ne signifie pas sa démonisation. Je crois profondément que chaque individu, aussi larges et profonds soient ses aspects sombres, dispose inévitablement de côtés lumineux. Je suis conscient que les hommes et les femmes ne sont ni anges de lumière, ni démons de feu. Ce sont des êtres humains créés de terre, avec toutes leurs complexité et diversité, qui ont leurs faiblesses, leurs circonstances, leurs égarements, et leurs déchéances, mais peuvent aussi avoir leur force et grandeur.

Quatrième précision : Je suis conscient du fait heureux qu’en Algérie, il existe encore des élites dignes et honorables, certes minoritaires, mais viscéralement attachées aux intérêts supérieurs de leur nation, risquant leurs biens, voire leur vie pour leur défense. Ces hommes et ces femmes ne sont pas concernés par les critiques formulées dans cette note.

Lesdites élites en Algérie

L’élite est cette classe privilégiée composée d’hommes et de femmes dotés d’un outil (savoir, expression artistique, capacité intellectuelle, sens commun notamment en politique) lui permettant d’analyser, de synthétiser, de prévoir, d’orienter, d’inspirer, de donner du sens, ou des pouvoirs exceptionnels, couplés à des responsabilités, de prendre des décisions aux impacts réels sur la société. On y inclut donc non seulement les sociologues et les politologues, mais également les théologiens, les scientifiques, les hommes et femmes de lettres et des arts, et même les militaires et les politiciens. Il s’agit, dans les pays démocratiques, d’une sélection favorisée par des capacités intellectuelles, des dons artistiques et des prédispositions politiques au-dessus de la moyenne de la population. Dans les dictatures monarchiques et militaires, cela relève parfois d’un hasard génétique ou du « fait du prince ».

On parle souvent d’élites intellectuelles et politiques, référant à la réflexion et à l’action politique respectivement.

Entre les positions extrêmes de l’élitisme et du populisme, il y a de l’espace pour une relation saine entre l’élite et la population, une dialectique permanente. D’une part, un peuple sans l’apport de son élite se réduit à une masse humaine inerte ou se mouvant sans boussole et sans éclairage. D’autre part, l’élite travaille sur une matière brute : des faits, des phénomènes de société, que seul le contact avec la population et son observation attentive peut fournir. Coupée de la population, toute œuvre de l’élite n’est à mon sens que spéculation et tâtonnement.

Qu’en est-il des élites en Algérie ?

Si l’on retrace le parcours des élites algériennes depuis près d’un siècle, leur qualité intrinsèque semble se dégrader de génération en génération, soit sur le plan de la valeur de la production artistique, intellectuelle et politique, soit sur le plan de l’intégrité morale, la probité intellectuelle et la droiture politique, soit sur le plan du rapport des élites avec le pouvoir, soit enfin sur le plan de leurs liens avec le peuple et leur capacité à prendre en charge efficacement ses préoccupations immédiates.

Prenons comme point de départ l’époque des années 1920 et la naissance du mouvement intellectuel et politique algérien avec la génération de l’émir Khaled et de Ali El-Hammami.

Une génération plus tard, vers les années 1940, Malek Bennabi élaborait déjà, minutieusement, sur les élites de l’époque, composées à ses yeux de « boulitiques » habitués aux bas compromis politiques et d’« intellectomanes » accrochés à leurs semelles.

A la génération suivante, c’est à Abdelaziz Khaldi de faire remarquer amèrement en 1968 qu’ « au moment où l’on nous invite à entrer dans une nouvelle ère culturelle, certains s’interrogent sur les causes de la “saharisation” dans ce domaine. Il y a belle lurette, en effet, que notre climat intellectuel s’est desséché et ne donne plus naissance qu’à de bien maigres récoltes. Pourtant le peuple a vu, il y a quelque vingt ans, éclore sous son ciel des œuvres qui ont marqué une étape dans notre combat national. Jadis l’écrivain exprimait le drame de son pays parce qu’il le vivait lui-même. Aujourd’hui l’intelligentsia algérienne étale son moi, son appétit professionnel, tout en portant son cœur en écharpe. Elle vit désespérément dans l’ère culturelle des autres. La littérature n’exprime plus que le divertissement du dilettante et parfois ses humeurs. L’ère nouvelle nous invite donc à des révisions déchirantes pour donner au peuple d’autres nourritures spirituelles. »[3]

Une génération plus tard, c’est-à-dire aux années 1980, il y avait l’espoir d’une renaissance intellectuelle et politique, due d’une part aux effets de la démocratisation de l’enseignement qui a permis au plus grand nombre de citoyens de toutes les couches sociales d’acquérir les outils leur permettant d’accéder à la connaissance, à l’art et à la chose publique, et d’autre part au vent de liberté et à l’amorce d’une démocratisation de la société. Cet élan a hélas été freiné brutalement par le coup d’Etat de janvier 1992 et par la répression qui s’en est suivie. La fine fleur de la société algérienne a été broyée, dispersée ou muselée par la machine de mort commandée par le cabinet noir de l’armée.

A la génération suivante, en 2007, c’est au tour d’Abdennour Ali-Yahia de faire un sombre constat de la situation : « Les intellectuels dans leur grande majorité ont renoncé à leur rôle de critiques et d’analystes rigoureux, pour servir de simples relais ou d’instruments du pouvoir. Leur silence sur les dérives opportunistes alors que la population refuse la voie de la résignation, de la démission et du fait accompli, prouve que l’histoire se fait sans eux et contre eux. Les situations personnelles engendrent des discours différents, selon qu’ils sont tenus en aparté et en public. Il faut écouter le peuple et non ses élites réelles ou supposées. »[4]

Ainsi, soixante-dix ans après les propos de Malek Bennabi, il semblerait qu’à notre génération, la plupart de nos politiques sont plus « boulitiques » que jamais, et beaucoup de nos intellectuels se comportent comme des « intellectomanes », voire des « intellect-tueurs », pas uniquement dans le sens usuel du terme, c’est-à-dire ceux qui ont appelé au meurtre de leurs concitoyens, mais dans un sens plus large, c’est-à-dire ceux qui sacrifient l’intellect pour se livrer à de bas compromis intellectuels.

Tentative d’une typologie des élites algériennes

Pour être nuancé, je dirais que les élites algériennes d’aujourd’hui peuvent être classées selon deux paramètres : leur rapport au pouvoir réel, c’est-à-dire au pouvoir militaire (soutien, indifférence ou opposition) et la motivation de leur positionnement (par conviction, par intérêt ou par peur). On obtient ainsi les neuf catégories suivantes :

a) « L’élite alliée » qui soutient le pouvoir militaire par conviction : Ceux qui, par idéologie, partagent les thèses du pouvoir militaire, et qui ont fait appel à lui pour mettre fin au processus démocratique.

b) « L’élite mercenaire » qui soutient le pouvoir militaire par intérêt : Ceux qui apportent leur soutien au pouvoir militaire, en échange de quelques avantages et privilèges.

c) « L’élite otage » qui soutient le pouvoir militaire par peur : Ceux qui sont forcés d’apporter leur soutien au pouvoir militaire, sous la menace et le chantage.

d) « L’élite aliénée » indifférente au pouvoir militaire par conviction : Ceux qui n’apportent pas leur caution au pouvoir militaire et n’affichent pas publiquement une réprobation qui pourrait bénéficier à la partie adverse au pouvoir et dont ils ont été victimes.

e) « L’élite affairiste » indifférente au pouvoir militaire par intérêt : Ceux qui ne se prononcent pas, car occupés à se faire une carrière et une bonne situation matérielle, souvent issus des couches défavorisées ayant subi si longtemps la privation matérielle.

f) « L’élite traumatisée » indifférente au pouvoir militaire par peur : Ceux qui se taisent après avoir subi les affres d’une répression (détention, torture, humiliation, etc.), ou en avoir entendu parler, ce qui leur a paralysé la langue et la main.

g) « L’élite de l’élite » qui s’oppose au pouvoir militaire par conviction : Ceux qui se font très rares.

h) « L’élite maître-chanteuse » qui s’oppose au pouvoir militaire par intérêt : Ceux qui simulent l’opposition pour avoir une chance d’être un jour courtisés par les services et d’avoir la possibilité d’offrir leur service. Et ça a marché pour beaucoup.

e) « L’élite travestie » qui s’oppose au pouvoir militaire par peur : Ceux qui simulent l’opposition craignant de perdre des privilèges (par exemple un statut de réfugié mal acquis). L’essentiel de cette catégorie se trouve en fait dans les rangs de la diaspora.

Il convient de noter que ces catégories ne sont pas étanches ; ce sont plutôt des compartiments pouvant communiquer les uns avec les autres. Ainsi, par une évolution personnelle ou par un concours de circonstances, on peut passer de l’une à l’autre. L’exemple de Bachir Boumaaza est éloquent pour montrer le possible va et vient entre, par exemple, « l’élite alliée », « l’élite mercenaire » et « l’élite affairiste ». La vie intellectuelle et politique de cet homme à l’itinéraire en zigzag peut se résumer en dix étapes :

1) 1945-1954 : L’engagement au mouvement national. Marqué par les massacres de mai 1945, auxquels il a assisté à l’âge de 18 ans dans sa ville natale Kherrata, il adhère au PPA-MTLD et accède à l’entourage proche de Messali Elhadj, en compagnie duquel il mènera campagne en France.

2) 1954-1962 : L’implication dans la guerre de libération. Il est parmi les premiers à rejoindre les rangs du FLN. Il contribua à la constitution de la Fédération de France et à la mise en place de son collectif d’avocats, sera incarcéré à Fresnes de 1958 d’où il s’évadera en 1961, franchira la frontière belge déguisé en curé, pour rejoindre l’Allemagne. Il est coauteur de « La Gangrène », paru en 1959 chez les Editions de Minuit.

3) 1962-1965 : Le soutien à Ahmed Benbella. Proche du zaïm, il cautionne le coup contre le GPRA. Il est nommé successivement commissaire national à l’Information et à la Propagande, député d’Annaba à la Constituante de septembre 1962, ministre du Travail et des Affaires sociales, ministre de l’Economique nationale. En 1964, il préside la Délégation algérienne aux négociations avec la France et dirige les débats au congrès du FLN. Il est ensuite élu membre du Comité Central et du Bureau Politique du parti, puis nommé ministre de l’Industrie et de l’Energie. Puis survint la rupture. Selon le commandant Azzedine, « Boumaza était l’homme du président, mais Ben Bella a voulu l’enlever de son poste et mettre à sa place Medeghri. Ce dernier a refusé tout en le faisant savoir à Bachir Boumaza. Ce dernier avait dit à Omar Oussedik : “Si jamais on m’apprend qu’il y a une embuscade montée contre Ben Bella, même si je suis dans le convoi, je ne l’avertirai pas au risque d’y laisser ma peau.” »[5]

4) 1965-1966 : Le soutien à Houari Boumediene. Se vengeant de Benbella, il cautionne le coup du colonel du 19 juin 1965 et devient membre du Conseil de la Révolution et ministre de l’information.

5) 1966-1979 : L’opposition à Houari Boumediene. En octobre 1966, pressentant une arrestation proche par Boumediene, qui le suspecterait de participation à un complot, il quitte clandestinement l’Algérie par les frontières tunisiennes, pour aller se réfugier en France, où il tenta de rassembler les rangs de l’opposition au régime de Boumediene (PRS de Boudiaf, FFS de Aït Ahmed, OCRA de Mohamed Lebjaoui). Il déclara à l’AFP : « Ce qu’il faut avant tout, c’est retrouver l’unité d’action de tous les mouvements d’opposition. Nous avons au moins un dénominateur commun, c’est la condamnation du régime issu du coup de force du 19 juin. Il faut donner au peuple la possibilité de s’exprimer librement. »[6]

6) 1979-1988 : La distance du pouvoir. Suite au décès de Boumediene le 27 décembre 1978, il rentre au pays, mais il prend ses distances du nouveau pouvoir. Il noue des relations d’amitiés avec Saddam Hussein et, selon le témoignage de son ami l’avocat Amar Bentoumi, écrira « un livre défendant la position de l’Irak dans la guerre fratricide opposant ce pays à l’Iran de Khomeini. Il s’installa à Lausanne où il ouvrit une imprimerie. »[7] Selon certains de ses proches, cette imprimerie lui aurait été offerte par Saddam Hussein.

7) 1989-1992 : L’action associative. Suite au tremblement social d’Octobre 1988 et l’ « ouverture démocratique » qui s’en est suivie, il ne se lance pas en politique, car, il dira : « Je me reconnais dans les partis qui existent et dans le FLN, mais dans aucun entièrement. »[8] En mai 1990, il constitue la Fondation du 8 Mai 1945.

1992-1997 : La distance des putschistes. Quelles que soient les positions publiques qu’il aurait prises suite au coup d’Etat du 11 janvier 1992, dans les cercles privés il était toujours critique envers les aventuriers de l’institution militaire. Je l’ai personnellement entendu en 1997, peu de temps avant que le général Zeroual ne sollicite ses services, et au moment où les massacres de populations faisaient des ravages, incriminer les généraux qui ont mené le pays au désastre.

9) 1998-2001 : Le soutien aux criminels contre l’humanité. Le 5 janvier 1998, il est désigné par Liamine Zeroual à la tête du Conseil de la nation. Pendant plus de trois ans, il ne ménagera alors plus aucun effort, en Algérie, dans les capitales arabes et en Europe, pour défendre l’armée et disculper les généraux, accusant les islamistes des pires atrocités. Il recevra entre autres, le panel d’information envoyé par l’ONU en juillet 1998 et présidé par l’ancien président portugais Mario Soares. A sa sortie de la réunion, il dira que : « les entretiens étaient positifs et francs. Ils ont permis de donner une image juste de la réalité algérienne […] le terrorisme est dépassé et l’Algérie est en train d’édifier une démocratie en dépit des difficultés actuelles. »[9] Deux ans plus tard, il affirmera qu’ « il était clair, dès le départ, que le terrorisme qui se nourrit de discours extrémistes, après que son masque idéologique soit tombé, demeurera – jusqu’à son éradication – nocif, comme il restera – comme il l’a toujours été – une vague sur laquelle surferont les adeptes du ‘‘qui tue qui ?’’ et les professionnels de l’acharnement sur l’Algérie et ses symboles. »[10]

10) 2001-2009 : L’amère déception. Dès la désignation en 1999 d’Abdelaziz Bouteflika par l’armée, à la place du général Zeroual évincé par ses pairs, la vie du président du Sénat allait s’avérer de plus en plus difficile. Mais il tiendra encore deux années sous un président avec lequel il avait des relations conflictuelles. Il sera prié de quitter son poste, mais il refuse, allant même jusqu’à saisir le Conseil constitutionnel sur la régularité du renouvellement du président du Conseil de la nation, oubliant peut-être que lui-même, n’avait pas été désigné dans le respect de la Constitution. En avril 2001, il sera forcé au départ manu militari et dans l’humiliation. Un autre membre du Sénat, Djamel Belhadj, a raconté en 2009 cet épisode tragique : « Leila Aslaoui a humilié le défunt Bachir Boumaza par son langage ordurier, tandis que, pour leur part, les deux généraux, Kamel Abderrahim et le général Hocine Benmaalem l’ont menacé lors d’une séance à huis clos […] Leila Aslaoui avait été la première à ouvrir les hostilités en quittant son siège et traitant M. Boumaza de tous les noms. Le général à la retraite Zine El Abidine Hachichi s’est également dirigé vers Boumaza animé des mêmes intentions. […] Rappelons que cette bataille verbale n’était que le reflet de l’âpre échange de propos que se livraient l’actuel président Bouteflika et M. Boumaza et qui s’était terminé par la démission de ce dernier du poste de président du sénat, après l’affaire de la mise en garde du conseil constitutionnel. »[11] Bachir Boumaza ne se relèvera jamais de cet affront. Il passera les neuf dernières années de sa vie dans l’isolement et l’amertume. Il décèdera à Lausanne oublié et méprisé de tous, le 6 novembre 2009, à l’âge de 82 ans.

Au moins, il aura eu le mérite de faire l’aveu de ses faiblesses : « Tout mon parcours montre bien que je ne suis pas un démocrate… Mais je fais cet effort sur moi-même ! »[12], aurait-il déclaré en mai 2000, en visite officielle à Paris.

L’élite politico-religieuse et le syndrome du « ZAAF »

L’observation de la scène algérienne des vingt dernières années conduit au constat amer que l’élite politico-religieuse souffre du syndrome du « ZAAF » (Zaïmisme-Autisme-Affairisme-Famillisme). Bien sûr, les quatre constituants du syndrome du « ZAAF » contribuent à des degrés divers chez les élites algériennes, il s’agit donc de décrire des tendances générales. Pour illustrer mon propos, je vais me contenter de prendre comme exemples de l’élite politico-religieuse les chefs de quatre formations politiques. Il s’agit des présidents du Front des Forces Socialistes (FFS), du Front Islamique du Salut (FIS), du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) et du Mouvement de la société pour la paix (MSP – ex HAMAS). Leur choix se justifie par le fait qu’ils représentent raisonnablement la classe politique algérienne. Deux sont d’orientation laïque et deux d’orientation islamique. Deux sont pilotés par le pouvoir et deux échappent en principe à son emprise, deux sont de la génération de la guerre de libération, deux sont de la génération de l’indépendance, enfin deux sont arabes et deux sont kabyles.

Le zaïmisme : C’est l’obsession du leadership que l’élite politico-religieuse algérienne partage avec les tenants du pouvoir qu’elle ne cesse de critiquer. Pour ceux portant en eux la fibre religieuse, le zaïmisme prend la forme du cheïkhisme par l’effet du qamis, de la barbe et de la rhétorique utilisée, même si la science religieuse n’est pas toujours leur fort. Le zaïm/cheïkh est celui qui réfléchit et agit pour les autres. C’est celui qui prend les décisions sans consulter personne, car se considérant omniscient, ce qui est relativement vrai, lorsque l’on connaît la constitution de sa cour/hachia soigneusement choisie par ses soins pour avoir le plein contrôle sur elle. La maitrise de ses courtisans lui permet de se maintenir aux commandes le plus longtemps possible, de préférence jusqu’à la mort. Je me rappelle l’adage algérien qui dit que le seul électeur qui a une voix qui compte lors des élections présidentielles en Algérie c’est l’archange Azrael. C’est aussi valable pour le poste de président de parti politique. Hocine Aït-Ahmed et Madani Abbassi sont des exemples éloquents qui ont pris tous les deux leur retraite, l’un à Lausanne depuis des décennies et l’autre à Doha depuis quelques années, sans jamais vouloir passer le relai. Ils ne manquent pas d’ailleurs de rappeler à l’occasion et avec fracas qu’ils sont toujours les « présidents » de leurs partis respectifs. De même que Saïd Saadi l’inamovible président du RCD depuis sa création. Quant à Mahfoud Nahnah, il n’a laissé son poste de président du MSP (ex HAMAS) que lorsqu’il en a été contraint par le Seigneur.

L’autisme : Les élites politiques algériennes sont souvent coupées des réalités sociologiques de leur peuple, pas seulement à cause de l’éloignement physique, comme c’est le cas d’Aït-Ahmed et de Abbassi, mais parfois aussi à cause de la distance culturelle qui les séparent. On l’a vu clairement à l’issue du premier tour des élections législatives de décembre 1991, lorsque Saïd Saadi a déclaré s’être « trompé de peuple ». Cette absence de contact avec la réalité vécue par la population enferme les élites politiques dans un univers abstrait qu’elles décrivent avec des mots creux et usés qui n’ont pas d’emprise sur la société. En outre, ces élites politiques font tout pour se maintenir prisonnières de cet univers virtuel, notamment en se fermant à tout conseil fut-il amical.

L’affairisme : Abdennour Ali-Yahia affirme souvent que « le pouvoir algérien contrôle la société par le flic et par le fric ». Il agit ainsi depuis l’indépendance, en neutralisant les concurrents potentiels – lorsqu’il ne les liquide pas – soit par les largesses et les privilèges, soit par la persécution et la répression. Ainsi, il a transformé de nombreuses élites algériennes en vulgaires trabendistes. Rares sont celles et ceux qui se déclarent opposants politiques et qui refusent les biens et avantages offerts par le pouvoir (villas, voitures de luxe, rentes et primes généreuses, etc.). Il est notoire en Algérie que lorsque Bouteflika a décidé il y a quelques années d’« arroser » à coups de milliards une certaine classe politique à la retraite, notamment les anciens présidents de la république, pratiquement le seul qui a refusé l’offre a été Liamine Zeroual. Il me parait clair que plus l’élite est issue de milieux modestes, plus elle s’engouffre dans les marécages du « tbaznis ». L’adage arabe qui recommande de n’élire aux fonctions publiques que « celui qui dispose d’une richesse de l’âme ou d’une richesse de la poche » a toute sa pertinence en Algérie. Lorsque l’élite est pauvre de l’âme et de la poche, elle confond servir et se servir. Bouguerra Soltani et ses acolytes, qui ont pourtant grandi dans les cercles d’éducation religieuse et ont pendant des années prêché la bonne parole, et qui sont aujourd’hui noyés jusqu’à la barbe dans des scandales de corruption, en sont de parfaits archétypes.

Le famillisme : Cela dépasse le népotisme qui indique un favoritisme à l’égard des proches. Il ne s’agit pas de privilèges, mais carrément de partage du pouvoir. C’est cette tendance fâcheuse à confondre les sphères publique et privée dans l’action politique. C’est une forme aigue de l’esprit de tribu, de clan, ou de aarch dans la gestion de la chose publique. Lorsque certains chefs de partis politiques, de tous bords, se laissent entourer – tout comme l’actuel président de la république – d’un cercle de parents qui deviennent vite des éléments influents au sein du parti ; quand leurs enfants deviennent, par la force des choses, à la fois conseillers politiques, managers, et agents de communication du parti, et sont perçus par la base, qui hélas cautionne de telles pratiques par son silence, comme les portes que tous les prédateurs et parasites politiques frappent afin d’obtenir des miettes d’un pouvoir même potentiel, cela indique qu’il s’agit d’une culture politique nationale qui dépasse les clivages idéologiques et la dualité pouvoir/opposition.

La compromission des « boulitiques »

S’il est admis chez les Algériens que certaines élites politico-religieuses comme les chefs du MSP et du RCD, se sont compromises directement en soutenant explicitement et avec force la politique criminelle des putschistes, la compromission indirecte (volontaire ou involontaire) d’autres élites classées dans le camp de l’opposition est moins visible, bien que plus pernicieuse, car plus subtile.

Ainsi, ceux qui ont suivi la crise algérienne se rappellent bien les campagnes de Mahfoud Nahnah en Europe et dans le monde arabe, au cours desquelles, muni d’albums-photos de crimes de droit commun préparés par le procureur militaire Belkacem Boukhari, il propageait, notamment dans les cercles des « Frères musulmans », l’idée que c’était les membres du FIS qui égorgeaient femmes et bébés, pour tenter ainsi de « blanchir » la hiérarchie militaire.

Au même moment, Hocine Aït-Ahmed sillonnait les chancelleries occidentales et les cercles de l’internationale socialiste pour propager sa thèse du « ni peste, ni choléra ». Il était d’ailleurs plus indulgent avec la « peste » (le pouvoir militaire) qu’avec le « choléra » (le mouvement islamique en général, et le FIS en particulier), et ne ménageait aucun effort pour démoniser ce mouvement et déshumaniser ses adhérents et sympathisants. Vraisemblablement l’opposition islamique était perçue par DalHo comme un adversaire plus redoutable que le « pouvoir militaire », avec lequel il a toujours gardé un canal de communication (un ami, officier très haut gradé) afin de toujours connaître avec précision où se situe la ligne rouge à ne jamais franchir ; c’est d’ailleurs le cas de la majorité des « hommes d’Etat » algériens, aujourd’hui « opposants », qui ont été mis à la retraite et/ou qui attendent leur tour « en réserve de la république ». C’est dans cet esprit qu’il faut expliquer la manifestation du 2 janvier 1992 lancée à Alger par Hocine Aït-Ahmed, qui ne pouvait pas ignorer, vu son sens politique aigu et considérant le contexte de l’époque, que son acte allait servir comme prétexte à l’armée pour fomenter le coup d’Etat. Il l’a quand-même osé, quitte à condamner le putsch par la suite.

Il y a plusieurs années, j’ai assisté à un colloque organisé à Zürich sur la crise algérienne. Aït-Ahmed était parmi les conférenciers invités. Nous étions des dizaines d’Algériens venus de France, d’Allemagne et d’autres pays européens pour écouter cette figure historique du mouvement national algérien. Il y avait aussi des participants européens. Quelle fut ma surprise d’entendre DalHo répondre à la question d’un journaliste qui l’interpellait sur son passé et son expérience sur l’usage de la violence politique, en affirmant qu’il n’avait pas pris le maquis en 1963 (fait bien documenté audio-visuellement dans les archives de l’INA français), qu’il n’avait par tiré une seule balle pendant la révolution, et qu’il ne faisait à cette époque que « vendre les salades du FLN ». Il est vrai qu’à cette époque où il construisait sa rhétorique en partie sur la critique de ce qu’il appelait « la violence islamiste », il n’avait pas intérêt à reconnaitre « une violence révolutionnaire » passée contre le colonialisme ou « une violence protestataire » postérieure contre l’armée des frontières, au risque de paraitre incohérent.

Sans légitimité, infréquentable, épuisé par une résistance imprévue qu’il n’arrivait pas à vaincre, le régime putschiste a trouvé en Mahfoud Nahnah et Hocine Aït-Ahmed « les deux béquilles islamique et laïque » qui lui ont permis d’activer et de réactiver des ressources au plan international. Un auteur algérien a écrit un jour : « Si dans l’Algérie des années 1990, Toufik, Lamari et consorts ont pratiqué l’éradication physique, Nahnah, Aït-Ahmed et consorts se sont livrés, eux, à une éradication symbolique, beaucoup plus dévastatrice. »

Un autre aspect de la compromission est le service énorme rendu au régime militaire par l’obstruction à la construction de véritables partis politiques d’opposition, forts, bien organisés et au fonctionnement démocratique. Les principaux partis représentatifs de la société algérienne (FFS et FIS) ont été réduits à des épaves politiques, des coquilles vidées de sens, des étiquettes usées par la faute de chefs souffrant du syndrome du ZAAF. Madani Abbassi et Hocine Aït-Ahmed portent une lourde responsabilité dans la déchéance de leurs partis, car ils ont constitué et constituent encore un obstacle objectif et réel à toute restructuration, rénovation et redynamisation de ces partis. En définitive, ils ne veulent pas d’une institution forte et organisée qui risquerait alors d’échapper à leur maitrise, quitte à faire de leur parti une épave à la dérive plutôt qu’un navire dont ils perdraient le contrôle.

Mais cette aubaine pour le régime militaire constituée par l’absence d’émergence d’un véritable instrument d’opposition dépasse le cadre intra-parti. La même attitude se manifeste au plan inter-parti, car chacun se prenant pour le seul interlocuteur du peuple, le seul « guide », le seul homme providentiel (ou femme providentielle) apte à sauver un peuple avec lequel il aurait un lien naturel exclusif, chacun lance sa propre initiative (moubadara, plateforme, charte, appel, manifeste, etc.). Et l’on se retrouve dans un paysage fragmenté, éparpillé, disloqué, avec des textes sans lendemain, qui se valent presque tous par ailleurs. Combien de fois Hocine Aït-Ahmed a été sollicité, y compris par ses proches amis, pour participer à des rencontres afin de lancer un front uni d’opposition au pouvoir regroupant les diverses tendances authentiquement engagées pour le changement réel en Algérie. Il a toujours refusé de s’associer à de telles entreprises et de s’asseoir avec ses frères et sœurs, alors qu’un simple coup de téléphone suffit à le convoquer à des milliers de kilomètres pour participer à des événements sans grande portée pour l’Algérie organisés par des occidentaux.

L’élite intello-artiste et le syndrome de la « DOKHA »

Par analogie avec ce qui vient d’être dit au sujet de l’élite politico-religieuse, je constate que l’élite intello-artiste est atteinte du syndrome de la « DOKHA » (Débilisme-Oisivisme-Khobsisme-Autisme), qui est d’ailleurs en partie lié au syndrome du « ZAAF ».

Le débilisme : Le zaïmisme du chef conduit nécessairement au débilisme des militants et sympathisants, privés du droit de participation à la prise de décision, voire même à la réflexion, puisque le zaïm le fait pour tous. Ainsi, lorsqu’on évoque, par exemple, devant des universitaires proches du MSP (ex Hamas), qui n’ont pas encore claqué la porte du parti, les incohérences et les forfaitures politiques de leur chef, défunt ou actuel, on obtient toujours la même réponse : « Il doit avoir un plan ». Lorsque le zaïm/cheikh décide soudainement de débarrasser son parti de la référence islamique, à commencer par le nom, emprunté au Hamas palestinien pour la baraka mais qui devenait gênant, et de changer de rhétorique pour ressembler à une colombe de paix, alors que durant les années 1980 il ne manquait pas d’occasion, notamment à l’étranger durant les rassemblements périodiques des « Frères musulmans », pour vanter les mérites des méthodes « fermes » de la révolution algérienne qui « égorgeait les traitres », en joignant le geste à la parole, l’élite qui gravite autour de lui trouve ce revirement tout à fait normal, car « le cheïkh, lui il sait ».

L’oisivisme : Lorsque l’oisiveté intellectuelle et artistique devient un mode de vie au sein de l’élite intello-artiste, la communauté censée être la plus dynamique dans la société, on ose alors parler d’oisivisme. Le défunt Mouloud Qassem Naït-Belqassem comparait publiquement les universitaires algériens à une poule qui pond un seul œuf et devient stérile, l’œuf faisant référence au diplôme ou à la thèse préparée pour accéder au rang envié d’universitaire. Ce fut aussi le propos de Malek Bennabi, de nombreuses années auparavant, lorsqu’il écrivait dans un article publié par République Algérienne : « En réalité, le lecteur en Algérie est souvent un homme du peuple et non de l’élite. Car l’élite chez nous ne sent pas le besoin de lire une fois qu’elle quitte les bancs de l’université. Son travail intellectuel s’interrompt – pour des raisons sociologiques et psychologiques héritées – lorsqu’elle reçoit le diplôme, c’est-à-dire au moment où l’élite, dans les autres pays, commence le véritable travail intellectuel. »[13]

La vacuité intellectuelle et artistique dans laquelle vit aujourd’hui l’élite intello-artiste est au premier chef l’œuvre du pouvoir qui ne survit que par la diffusion à grande échelle de l’ignorance autour de lui. Cependant, pour être équitable, cette oisiveté n’est pas uniquement due à la politique officielle, mais a aussi des racines culturelles consolidées par la sédimentation de plusieurs siècles de décadence, des facteurs historiques que Bennabi avait qualifié de « raisons sociologiques et psychologiques héritées » et qu’il serait trop long de développer ici.

Le volume insignifiant de la production intellectuelle et artistique algérienne autour de la crise qui secoue le pays depuis 1992 est significatif. Ce qui s’est passé en Algérie les vingt dernières années, la détresse humaine, la douleur, la misère, le chagrin, l’injustice, les drames sociaux, tout cela aurait inspiré dans d’autres pays des centaines de romanciers, poètes et autres essayistes. Mais, en Algérie, à part quelques productions commandées par le pouvoir ou encouragées par certains cercles parisiens, pour donner l’assise intellectuelle et artistique à la doctrine de l’éradication, c’est quasiment le désert en librairie et sur scène.

L’apathie que vit l’Algérie en ce moment s’accompagne d’une nostalgie de l’ancien. Sur le plan artistique, il n’y a qu’à regarder la chaine de télévision nationale et compter les nombre de films, de spectacles et de chansons des années 60 et 70 qui passent chaque semaine. On a l’impression que cette chaine ne survivrait pas sans les archives. D’ailleurs, nos intellectuels ne se comportent-ils pas de la même manière en misant sur certains de nos ainés septuagénaires, voire octogénaires, qui ont commencé le combat national pendant les années 40, pour résoudre les problèmes de l’Algérie d’aujourd’hui ?

Le khobsisme : Il s’agit d’un mode de vie où la probité est sacrifiée soit sur l’autel de la précarité et de la subsistance, soit sous l’irrésistible attraction des avantages et privilèges qu’offre le pouvoir en contrepartie de services rendus. Dans le premier cas le khobsiste est un citoyen qui passe tout son temps, et peut être amené à faire des compromis contre son gré, afin d’assurer el-khobza à sa famille. Dans le second cas, il s’agit d’un opportuniste qui monnaye de plein gré ses capacités intellectuelles ou talents artistiques contre des acquis qui ne relèvent pas des besoins fondamentaux (prestige, notoriété, luxe, fortune, etc.).

L’autisme : L’élite intello-artiste partage avec l’élite politico-religieuse l’autisme qui prend souvent la forme d’une distance culturelle la séparant du peuple, et cela est valable aussi bien des élites occidentalisées que celles orientalisées. Certes, la composante la plus active de l’élite intello-artiste est celle, minoritaire, dont la boussole culturelle est orientée vers l’Occident, et vers la France en particulier, alors que la composante orientalisée, majoritaire, reste néanmoins inefficace. Il s’agit d’un fait sociologique noté par le passé par plusieurs observateurs et qu’on peut mesurer facilement aujourd’hui en faisant l’inventaire des œuvres scientifiques, littéraires et artistiques produites en Algérie cette dernière décennie. Dans les deux cas cependant, la production intellectuelle et l’expression artistique est en déphasage total avec les préoccupations et les questions prioritaires de la société. L’élite intello-artiste, coupée de son milieu naturel, se trouve alors dans la situation absurde où elle rit lorsque son peuple est en deuil, ou pleure lorsque son peuple est en fête.

Le fantasme de l’intello providentiel

Parallèlement à la compromission des élites politico-religieuses, celle des élites intello-artistes peut également être directe ou indirecte, volontaire ou involontaire. Elle peut se manifester dans tous les secteurs (médias, fonction publique, art et culture, etc.) soit pour le compte de l’élite politico-religieuse compromise, soit en free-lance. Si le régime militaire a bénéficié de « deux béquilles islamique et laïque » pour se mouvoir, il a aussi trouvé une armée d’universitaires, d’intellectuels et d’artistes acceptant d’être « ses yeux, ses oreilles et sa langue ». Sans leur servilité, il n’aurait pas pu survivre.

Les élites intello-artistes partagent parfois avec les élites politico-religieuses si ce n’est le zaïmisme, une propension au zaïmisme. Il s’agit d’une posture qui consiste à se voir et se considérer comme une femme ou un homme providentiel, celle ou celui chargé de la mission de sauver le peuple, en se passant de la participation d’autres citoyens. Si les élites politico-religieuses zaïmistes prennent leurs modèles dans les figures de Mousavi Khomeini et Nelson Mandela, les élites intello-artistes zaïmistes adoptent Lech Walesa et Vaclav Havel comme idoles, s’imaginant que ces leaders ont agi seuls et ignorant les contextes historiques et sociologiques ainsi que la force organisationnelle derrière ces symboles.

D’ailleurs, pour disposer d’« alibis démocratiques », le pouvoir n’hésite pas à accorder une marge de liberté considérable à telle ou telle personnalité pour exprimer les critiques les plus acerbes à son encontre, en Algérie ou à l’étranger, lors d’un rassemblement, dans une mosquée, sur une chaine de télévision, sur les colonne d’un journal ou sur un site Internet. Il le fait car il sait que cela ne dépassera pas le stade de la protestation individuelle. Il a la certitude, fondée sur l’observation minutieuse de ces personnalités, qu’elles peuvent avoir autant d’adeptes qu’elles désirent, elles ne pourront jamais – faute de capacité d’organisation – les rassembler pour en faire une force qui menacerait son existence. Mais s’il soupçonne quelqu’un de la moindre tentative de penser à la constitution d’une force organisée, alors sa répression la plus féroce s’abat immédiatement sur cette personne. L’armée doit rester, selon l’expression de Bouteflika, « l’unique force organisée en Algérie ».

Ceux qui succombent au fantasme de l’intello providentiel tombent forcément dans le travers du culte de leur propre personne et de l’auto-idolâtrie. Ils regardent alors la société à travers un miroir déformant qui renvoie un reflet enflé de soi. Ils n’écrivent plus ni ne parlent à l’adresse du peuple mais dans le seul but de savourer à l’envi l’écho de leurs propres propos. Déconnectés de leur société, ils se rassemblent telle une secte dans des groupes de discussion, des forums d’échange, pour répéter à l’ennui les mêmes formules, finissant par devenir, sans en être conscient, d’effroyables dissipateurs d’énergie intellectuelle au service du pouvoir militaire, voire même encouragés par ses soins. Ils remplissent ainsi la même fonction que les émeutes sporadiques, dissipatrices d’énergie populaire et soupapes de sécurité pour le régime.

Le vent du changement sera l’œuvre de la jeunesse

Après ce diagnostic sombre de l’état des élites algériennes, quel est le pronostic pour demain ? Est-il aussi obscur ? Ma réponse est non. Les choses changent en Algérie. Mais le changement ne sera l’œuvre ni de la génération de la révolution ni de celle de l’indépendance. Une élite nouvelle apparait sur la scène publique et se fait entendre. Il s’agit de la génération des 25-35 ans. Ceux qui vivent réellement et profondément l’Algérie d’aujourd’hui, non celle d’hier ou d’avant-hier. Ceux qui parlent le langage du peuple et qui sont en phase avec la société. Ceux qui sont libérés des prisons idéologiques de nos générations et qui voient les Algériens, tous les Algériens, des concitoyens de pleine humanité. Ceux-là sont les plus immunisés contre les syndromes du « ZAAF » et de la « DOKHA ». On les voit déjà à l’avant-garde des luttes syndicales et des combats pour les droits de l’homme. On est fier de les entendre s’exprimer librement et avec dignité sur les blogs de plus en plus nombreux. C’est leur action d’aujourd’hui – qui peut paraitre encore balbutiante – qui dessinera les contours de l’Algérie libre de demain. Au lieu de toujours attendre l’initiative venir de leurs ainés pour sauver l’Algérie, les quadras et les quinquas d’aujourd’hui feraient mieux de se tourner vers l’avenir, de s’accrocher à cette locomotive propulsée par du sang neuf, et d’accompagner ces jeunes qui occupent petit à petit le terrain et se préparent à la relève. Ce serait, à mon avis, un geste salutaire qui leur évitera d’entrer par la petite porte au cimetière de l’histoire.

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1. http://www.hoggar.org/index.php?option=com_content&task=view&id=1044&Itemid=64
2. http://www.lequotidienalgerie.org/2010/07/31/massacre-de-beni-messous-1997-l%E2%80%99ordre-venait-du-general-toufik/
3. Abdelaziz Khaldi. Révolution africaine No 276 du 3-9 juin 1968. Texte reproduit dans le livre de NourEddine Khendoudi. Abdelaziz Khaldi : une conscience algérienne. Dar El Othmania. Alger 2009.
4. Abdennour Ali-Yahia. La Dignité humaine. Editions Inas. Alger 2007.
5. Mohand Aziri. L’infatigable militant. El Watan du 7 novembre 2009.
6. Mohand Aziri. Op. cit.
7. Amar Bentoumi, Une vie riche en militantisme au service de la cause nationale : Témoignage sur Bachir Boumaza, La Tribune du 10 novembre 2009.
8. Mohand Aziri. Op. cit.
9. Journal des informations de la Télévision algérienne pendant le séjour du panel en Algérie
10. Younes Hamidouche, Députés et sénateurs soutiennent l’ANP, La Tribune du 4 mars 2001.
11. Le sénateur Djamel Belhadj raconte les ultimes assauts subis par le défunt. El Khabar, version française du 11 novembre 2009.
12. Mohand Aziri. Op. cit.
13. Malek Bennabi. Ecris avec ta conscience. République Algérienne du 4 juin 1954. Le texte original n’étant pas disponible, ce passage est retraduit au français à partir d’une traduction arabe

http://www.hoggar.org/index.php?option=com_content&task=view&id=1161&Itemid=64

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Les élites face à la crise

 

Djazaïr az-Zaaf wad-Dokha : L’Algérie malade de ses élites 14306510

 

Définition des élites

 

 

Par : Ahmed Benbitour






Ahmed Benbitour, ancien Chef du gouvernement, propose aux lecteurs de Liberté une réflexion en cinq parties et qui paraitra chaque jeudi en page 2. La réflexion porte sur les élites et la crise multidimensionnelle de l’Algérie. Il est vrai que le sujet du rôle des intellectuels, durant la période d’après-62, est devenu presque un tabou par ceux-là mêmes qui ont géré et gèrent le pays sans oser aller jusqu’à prendre les rênes du pouvoir. Cette absence de relais a abouti aux événements du 5 Octobre 88 qui, à son tour, a plongé le pays dans une situation qui ne fait que s’aggraver. Le débat est ouvert. Vos réactions seront les bienvenues à l’adresse e-mail suivante : abrousliberté@gmail.com
Outoudert ABROUS




Définition des élites




Je vous propose un sujet de débat autour du rôle que peuvent jouer les élites dans la résolution de la crise multidimensionnelle que vit notre pays.
à cette occasion, je suggère une lecture inédite, tout à fait nouvelle, de quelques évènements qui ont marqué le déclenchement de la guerre de Libération nationale. Il s’agit du lancement du Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), de la création du Front de Libération nationale (FLN) et du déclenchement de la Révolution armée le 1er Novembre 1954.
C’est une lecture que je fais aujourd’hui afin d’en tirer quelques leçons pour nous aider à aller de l’avant dans la recherche de solutions à la situation de blocage des institutions et de la panne des réformes. Je ne dis pas que c’est une lecture qui a été faite par les acteurs en 1954, mais c’est une lecture qu’on peut s’autoriser pour des fins d’analyse.
Alors, je vous invite à participer activement au débat pour sauver la nation algérienne.
J’ouvre ce premier sujet de débat pour répondre à la question suivante : comment constituer des élites qui peuvent être capables de jouer un rôle de premier plan dans la résolution de la crise que vit l’Algérie, aujourd’hui ?
Commençons par la définition des concepts d’élites et de crise.
Par élites, il faut entendre : un groupe de gens dans une société, qui sont puissants et qui ont beaucoup d’influence parce qu’ils possèdent richesses et/ou savoir.
Donc, lorsque nous parlons d’élites, nous parlons de groupe de gens, pas d’individus dispersés ; de société, pas d’un désert ; de puissance et d’influence, pas de gens marginalisés ; de richesse et de savoir, pas d’individus dépourvus de moyens intellectuels et matériels.
Comme dans les sociétés normalement constituées, la richesse et le savoir sont les chemins les plus rapides d’accès au pouvoir, nous constatons un abus de langage en qualifiant les tenants du pouvoir, d’élites. Il se trouve que dans beaucoup de pays en développement, l’Algérie notamment, c’est le pouvoir qui mène à la richesse et non le contraire. Alors que les gens de savoir sont totalement exclus de celui-ci.
Cette définition permet de tracer clairement la feuille de route de départ pour constituer des élites, qui voudraient contribuer à la résolution de la crise :
1- se réunir en groupes et penser institutions pour créer des alliances stratégiques ;
2- mener un travail d’éducation citoyenne pour disposer d’une société à l’écoute et non “prêcher dans un désert” ;
3- construire des capacités de puissance et d’influence par une image d’intégrité sans faille et la démonstration convaincante ;
4- réunir les moyens intellectuels et matériels pour soutenir la mobilisation nécessaire à la résolution de la crise.
Dans la deuxième chronique, je vous proposerai la définition de la crise. En attendant échangez entre vous sur le rôle des élites dans la résolution de la crise.  à jeudi prochain




 




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DANS UN MONDE EN CRISE
Être intellectuel algérien
04 Novembre 2010 - Page : 15
Lu 299 fois Djazaïr az-Zaaf wad-Dokha : L’Algérie malade de ses élites TP101104-04
Tout intellectuel algérien, quelle que soit sa lecture, ne peut que se ressourcer au Message fondateur du 1er Novembre 1954.
Au pays de Novembre, l’intellectuel rêve de liberté, de démocratie, d’émancipation, de progrès, sans perdre son âme. Tel est l’Algérien, par-delà la diversité d’opinions.
La glorieuse Révolution de Novembre a libéré le territoire et tout le monde attend que celle du citoyen atteigne un point de non-retour. Le contexte mondial ne favorise pas la réalisation plénière de nos rêves. D’où l’importance de ne pas rêver, coupé du réel. La démocratie et l’indépendance ne sont pas qu’un slogan destiné à faire croire aux peuples qu’ils prennent leurs décisions. Certes, l’avenir révolutionnaire est passé, mais il n’indique aucun renoncement aux changements et encore moins à l’exigence de justice et de savoir. Gardons en mémoire la bravoure de nos ainés libérateurs.
Il faut prendre la mesure de l’avenir comme «révolution», pour faire renaitre, de façon agissante et inspirée, le désir et les pratiques d’émancipation. Tout intellectuel algérien, quelle que soit sa lecture, ne peut que se ressourcer au Message fondateur du 1er Novembre 1954. La Révolution est une venue au monde d’une nation, plus encore, l’Algérie, terre d’un peuple forgé par le courage, ne fait pas exception. Rien ne serait plus indigne, en termes de fidélité, que d’ignorer les acquis et les difficultés qui ont eu lieu pour affronter la marche du temps. D’autant que toutes les promesses de l’indépendance ne se sont pas réalisées.

Conjugaison entre authenticité et modernité
La situation mérite toute l’attention des intellectuels, des créateurs et des chercheurs soucieux d’intérêt général. Crise au vu du faible niveau culturel, de l’incivisme, de la situation des intellectuels, de la fuite des cerveaux, de la crise des valeurs, de l’état de l’éducation. Dans le monde, les messages et les images qui assaillent les peuples sont ceux du cynisme et de la course à la richesse à tout prix, qui saccagent les structures mentales, les cultures et les identités. C’est un des traits des incompétences et du libéralisme sauvage que de produire de la révolte anarchique et de la croissance spéculative, une pandémie de misère et de déchéance. L’Algérie, pays de la culture de la résistance, peut contribuer à éclore une voie digne de l’élévation de la condition humaine.
Partout dans le monde, c’est aujourd’hui plus qu’un risque, de voir opposer à cette modernité déviée de son sens de progrès pour tous, une réaction d’un côté obscurantiste et rétrograde et de l’autre de la perversion et de l’immoralité. C’est le ressentiment contre la modernité pervertie et les régimes corrompus qui sont une des sources des extrémismes, de la haine du progrès et de l’authenticité, de la culture, des sciences et des révolutions.
La réaction rétrograde s’exprime dans une mystification univoque d’un passé présenté comme sans ombres, qui oublie ou tient pour négligeables les progrès scientifiques actuels, de l’instruction, de l’information, des connaissances, de la santé publique, du transport et aussi de la liberté - même si le bénéfice de tous ces acquis est injustement distribué. Si bien qu’au plan mondial, les inégalités, l’avantage et le progrès des uns, poussent au désespoir et à la désolation, les autres. Le projet de se replier sur la religion mal interprétée et si superficiellement vécue, ou sur le national chauvin, face aux injustices et aux misères du monde, est aussi chimérique que de vouloir l’individu sans le commun, le coeur sans la raison, le passé sans le futur.
Puisqu’il faut écarter l’hypothèse du pseudo-retour, et puisque la situation de notre époque est intenable - cynisme et immoralité moderniste face au fanatisme- il faut un autre tracé commun de l’avenir. L’Algérie en est capable. Le projet d’une telle pensée est inscrit dans l’Appel du 1er Novembre. Certes le ni-ni n’a pas, dans la politique, de bons antécédents. Les troisièmes voies ont illustré des impasses: impuissances des réformistes, mystifiantes synthèses de choix contraires, bricolages aspirant à tout avoir ensemble, et tout éviter: capitalisme et communisme, autorité et liberté, alliance et indépendance.
Pourtant, le double refus est légitime: de la modernité pervertie et du passé sclérosé, du libéralisme sauvage et du socialisme paralysant, du monde hégémonique et des replis. Avec méfiance et vigilance, le travail de l’intellectuel, attaché à la hauteur de vue, recherche un chemin d’avenir, celui de l’attachement à la patrie, à la symbiose, la synthèse qui n’est jamais donnée d’avance, entre authenticité et modernité, entre progrès et morale, entre origine et devenir, entre discipline et responsabilité.
L’intellectuel attentif sait que l’Algérien peut faire des miracles et reste attaché à une autre vue de l’avenir, qui récuse les deux fantasmes tragiques, l’extrémisme politico-religieux et la marchandisation du monde, tous deux deshumanisants. Dès qu’il s’agit d’inventer une autre voie, entre le passéisme fermé et le désastre du Marché Monde, marchons prudemment, en alerte. Nous ne devons rien céder sur l’essentiel. Lier les différents versants de la vie est non négociable: liberté et engagement, démocratie et responsabilité, valeurs spécifiques et universalité, politique et éthique, unité et pluralité, souveraineté nationale et mondialité.
En tant qu’Algérien, notre histoire, les problèmes du présent et les appels de l’avenir, exigent de nous une réponse juste. On ne peut se permettre ni d’abandonner, de se laisser à la lassitude, au mutisme, à l’immobilisme, ni de s’engouffrer dans la voie de l’activisme qui confond vitesse et précipitation et que n’agrée pas notre conscience. Malgré la complexité de la tâche, la mesure est la marque de la crédibilité.

Nation apaisée
L’intellectuel se doit de s’inspirer de normes crédibles et d’une mémoire vivante. L’intellectuel algérien ne fait pas exception, il se sent encore plus concerné par le devenir collectif, car l’Algérie, depuis près de deux siècles, a souffert. Elle a subi le martyre durant les 132 ans de la nuit coloniale, puis, malgré des acquis, déçue par 40 ans de système unique, ensuite plus d’une décennie de terrorisme et l’affaiblissement des liens sociaux, le tout marqué par le réveil de clivages stériles. L’intellectuel doit sans cesse se rappeler les martyrs, s’incliner en leur mémoire, éveiller les consciences, sans syncrétisme, ni relativisme aider à l’unité, au rassemblement et à la formation d’une Nation apaisée, traversée par le souffle de l’être commun. Tout en favorisant le sens du dialogue face à ce qui peut entraver les libertés, la diversité, les singularités et les individualités. Refuser les divisions belliqueuses et infondées, et favoriser la diversité et l’articulation entre des valeurs multiples, tel est l’enjeu. Notre pays, de par son histoire et sa géographie et surtout ses ressources humaines, peut être un pays-phare. Il est au carrefour des cultures et se veut, de par son patrimoine, communauté médiane, qui lie islamité, arabité et amazighité, sans oublier ses autres dimensions méditerranéenne, africaine, et son universalité.
L’action permanente est de tenter de traduire les aspirations du peuple, lui redonner de l’espérance et de la joie qui lui manquent tant. Recréer des espaces de convivialité est une priorité. Assumer la vocation d’intellectuel, comme trait d’union critique constructive, entre les citoyens et les pouvoirs, aux côtés du respect de la loi et de ceux, sans distinction, qui subissent oubli et marginalisation. Il s’agit de comprendre la sagesse, la colère et les silences de ceux qui n’ont pas la parole, de dénoncer les formes de fermeture et de mépris et d’énoncer des horizons d’espérances. Les problèmes du monde sont d’abord des problèmes moraux. Par le travail et la libération des énergies, nous ne pouvons que rejoindre le rang des pays émergents et reconstituer les classes moyennes.

Le vivre-ensemble
L’intellectuel algérien, sur le fond, s’interroge sur le devenir de la société qui est malade et qui souffre. Elle a des difficultés à s’impliquer et à assumer les transformations. La nation, la collectivité aujourd’hui est une réalité à reconstruire. Il ne suffit pas de rechercher la bonne gouvernance. La situation d’épuisement de notre sombre époque, le gap qui sépare de plus en plus les pays développés et les autres, à l’exception d’une dizaine d’émergents, les nihilismes, la «désignification», les tentatives d’ingérence, les dysfonctionnements appellent à une vision stratégique. Il faut tenter d’énoncer du «sens» et de former un citoyen responsable, c’est-à-dire avant tout, cultivé, pour forger une société du savoir. C’est l’arme par excellence.
Sur les plans éthique et politique, l’intellectuel algérien tente d’avoir des positions objectives et courageuses face au besoin d’un Etat de droit, d’une société instruite et à un rapprochement entre les peuples mutuellement bénéfique. L’Algérien doit tenter de bâtir inlassablement ces projets. La collectivité politique cohérente, juste et ouverte, semble difficile à réaliser. Pourtant, il ne faut pas renoncer. L’homme est né libre et partout il est dans les fers, disaient Ibn Khaldoun et Rousseau, chacun à sa manière, faisant allusion aux limites et entraves produites par la société-communauté et la lutte pour le pouvoir. Pourtant, tout le monde - et le philosophe en particulier - sait que la vie est impossible sans l’Etat qui érige une société civilisée. La modernité se fonde sur l’idée d’autonomie du sujet, du citoyen, de l’individu, allié à l’être commun, c’est indissociable.
L’intellectuel algérien dans notre sombre époque tente de comprendre les séismes politiques internes et internationaux, de se hisser à la hauteur de ce qui est requis, de rester en phase avec le réel, de reposer la question avec prudence et réalisme, de retracer un mouvement qui ne relève de la pensée que parce que d’abord, il appartient à l’existence. Il faut s’impliquer sereinement, faire montre d’une audace et d’un esprit critique stimulants, car les questions, comme celle du rapport entre la société et l’Etat et le droit à participer à la vie publique, ne sont ni simples ni épuisées. Sans le respect des institutions, il est impossible de progresser, sans la participation du citoyen non plus.
Pour assumer, il faut être en accord avec sa conscience et sa volonté libres. Aujourd’hui, dans le contexte de l’autoritarisme incompétent, de la mondialisation hégémonique, de la techno-science, du libéralisme, des archaïsmes religieux, et des démagogies, cela est plus facile à dire qu’à faire. D’où l’importance de débattre et relire nos sources.
La possibilité de la nation éveillée, du peuple éclairé, en Algérie comme ailleurs, n’est pas donnée d’avance, mais c’est l’alpha et l’oméga. Le débat nous invite à rechercher une nouvelle civilisation du «vivre-ensemble», pour notre patrie, non coupée du mouvement du temps, sans imaginer revenir à des formes anciennes de communauté, ou céder, par lassitude, aux individualismes et à la rupture des liens sociaux.
Vivre en solitaire égoïste, en exilé dans son propre pays, non concerné par la communauté, est voué à l’échec, chacun mourant lâchement, tout seul, à petit feu. Il s’agit, aujourd’hui, de se tourner vers l’avenir, de prendre la parole, de rassembler, de reconstituer une société équilibrée, consciente de ses devoirs et de ses droits.
L’Algérie, «belle et rebelle», trait d’Union entre le Nord et le Sud, l’Orient et l’Occident, malgré des dérives et déceptions, est capable de symbioses nouvelles et de prodiges. Il faut la force de la passion du pays, il n’y a rien de plus beau. Sans cette passion, l’intellectuel aurait déjà renoncé.
Nul être conscient ne peut renoncer à ce qui nous met au monde: la patrie. Par cet attachement incomparable, il est possible de sortir des incertitudes.

(*) Philosophe
intellectuels@yahoo.fr
Mustapha CHÉRIF (*)
http://www.lexpressiondz.com/article/8/2010-11-04/82457.html

http://www.marocainsdalgerie.net

slimane

slimane

L’Algérie, «belle et rebelle», trait d’Union entre le Nord et le Sud, l’Orient et l’Occident...Nul être conscient ne peut renoncer à ce qui nous met au monde: la patrie....!!!

Philosophe éclairé , Mustapha Chérif représente le côté stable de l'ALGERIEN en possession de tous ses moyens intellectuels pour le combat vers l'avenir du pays ....!

Et cette remùarque ne regarde que les Algériens qui savent reconnaître les hommes précieux de leur patrie !!!

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