TERRORISME. Le GIA (Groupe islamique armé), qui allait donner naissance à la nébuleuse Al Qaïda au Maghreb était manipulé par le Département de Renseignement et de Sécurité (DRS) algérien, successeur de la Sécurité militaire (SM).
Cette histoire des sept otages –cinq Français, un Togolais et un Malgache– enlevés dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010 présente bien des ambiguïtés et des zones d’ombre. D’un côté, le discours convenu des chancelleries avec ses codes conventionnels que seuls les initiés peuvent comprendre, de l’autre, les réalités et les faits tels qu’en eux-mêmes. Tout le monde excelle dans cet exercice, sauf le président du Mali qui, lui, n’a pas hésité à mettre les pieds dans le plat.
Invité d’une émission de TV5-monde dont RFI et Le Monde sont partenaires, Amadou Toumani Touré a tenu à recadrer ce rapt.
Le Président Touré a ainsi précisé que le terrorisme «n’est pas un problème malien». Et d’expliquer que «le Mali se considère comme victime et otage».
Distribution des rôles
Il a fait état à cet égard des dimensions de la bande sahélo-saharienne, une zone hostile et incontrôlable dont la superficie équivaut à 20 fois celle de la France; de la circulation dans ce désert, à la fois, des trafiquants de cigarettes et de drogue alimentant l’Europe, des passeurs d’émigrés clandestins vers l’Europe et des salafistes qui viennent du Maghreb. «Aucune de ces menaces ne nous est destinée», a-t-il poursuivi. En termes à peine voilés, il a mis en cause l’Algérie, qui refoule pratiquement ses islamistes vers le Sahara malien: «Ceux qui nous accusent n’ont qu’à empêcher les salafistes de venir chez nous. Ces gens-là ne sont pas maliens. Ils sont venus du Maghreb. Nous n’avons rien à voir avec cette histoire. Depuis neuf siècles, notre Islam est ouvert et respectueux de la vie humaine».
Le management de la nuisance
Le Président Touré dit donc en termes publics et à haute voix ce que tous les responsables régionaux, européens et américains savent depuis des lustres.
Des spécialistes ont ainsi relevé in situ que les forces de l’Armée nationale populaire (ANP) algérienne laissaient volontiers “en paix” des bandes armées campant seulement à quelques lieux de leurs cantonnements dans les confins sahariens frontaliers du Mali et du Niger. Tout paraît se passer comme si une distribution des rôles avait été arrangée, Alger gardant la haute main tant sur l’ordre du jour opérationnel que sur sa dimension.
Comment expliquer cette situation du point de vue du régime de la junte des généraux de ce pays voisin? La mise en perspective historique de cette culture diplomatique encore tellement prégnante donne un éclairage significatif à cet égard. En d’autres termes, Alger continue à pratiquer l’optimisation de ce que l’on pourrait appeler le management de la nuisance.
Il s’agit de monter des opérations devant peser sur les opinions publiques et les dirigeants des pays ciblés pour les conduire à des inflexions allant au-devant des souhaits d’Alger.Sans remonter bien loin, on peut dater plusieurs illustrations de cette politique. A l’égard du Maroc, les faits incriminants sont trop connus pour que l’on s’y attarde, puisque même leurs acteurs les ont reconnus publiquement : l’aide apportée au courant subversif de l’UNFP (Union nationale des Forces populaires) au début des années soixante; la logistique fournie par l’ANP et la gendarmerie algérienne aux groupes marocains impliqués dans les événements de Moulay Bouazza en mars 1973,…
Leader autoproclamé
C’est aussi dans ce même registre qu’il faut évidemment inscrire la création du Front Polisario en 1973-74, d’abord par Tripoli puis par Alger, qui lui a offert depuis plus de trois décennies et demi le sanctuaire de Tindouf et ce, sur son propre territoire.
Sauf à préciser qu’elle a enrobé cette position de l’étiquette avantageuse et vendable du “principe de l’autodétermination”. On peut encore citer, pour ce qui est en particulier de l’Espagne, deux exemples participant de cette même démarche. Ainsi Antonio Cubillo, leader autoproclamé d’un Front de Libération canarien, a été accueilli, encadré et instrumentalisé contre le voisin ibérique.
L’ETA basque a également bénéficié, des années durant, sous des formes diverses, d’un traitement de même facture.
Crédo sécuritaire
En d’autres termes, de telles pratiques ne sont pas conjoncturelles mais bien consubstantielles à la nature et à la mise en œuvre de la diplomatie algérienne. Depuis les années quatre-vingt-dix, force est de relever qu’elles perdurent même si elles se sont insérées dans une lutte antiterroriste devenue au cœur de la vie politique algérienne et des menaces pesant sur le régime.
Il est établi que le GIA (Groupe islamique armé) était infiltré et manipulé par le Département de Renseignement et de Sécurité (DRS), successeur de la Sécurité militaire (SM). Le détournement de l’Airbus A300 d’Air France, le 24 décembre 1994, puis la campagne d’attentats en France (station RER Saint–Michel, TGV Paris-Lyon, ligne C du RER…) témoignent de l’exportation en France du terrorisme algérien.
Jean-Louis Bruguière, magistrat responsable des dossiers de lutte antiterroriste, et les services spécialisés du ministère français de l’Intérieur y voient la patte de Djamal Zitouni, alors chef du GIA. C’est ce même individu qui est mis en cause, quelques mois plus tard, dans l’enlèvement et l’assassinat des moines de Tibéhirine.
Il est établi aujourd’hui, à travers les éléments probants recueillis dans tous ces actes, que Djamel Zitouni était un instrument entre les mains du DRS algérien –le dossier instruit par un juge français saisi à ce sujet est plutôt accablant.
En organisant tous ces attentats sur le sol français, les généraux d’Alger ont voulu montrer de manière opérationnelle ce qu’ils pouvaient faire contre Paris. Ils entendaient ainsi pousser les autorités françaises à plus de “compréhension” à leur endroit au moment où la guerre civile chez eux avait pris une dimension particulière.
Dans l’espace sahélo-saharien aujourd’hui, c’est donc un “remake” auquel l’on assiste, sauf à préciser que dans l’intervalle est intervenu le 11 septembre 2001. Alger investit le nouveau champ stratégique antiterroriste engagé par les Etats Unis et s’y insère en soulignant qu’elle est confrontée à la même menace depuis une bonne dizaine d’années. Les ambiguïtés de Washington à propos du Front islamique du Salut (FIS) algérien devant être intégré dans le jeu politique sont levées tant il est vrai que le crédo sécuritaire antiterroriste s’impose en priorité. De même, le déficit démocratique du régime des généraux pâtit d’une relégation…
Posture antiterroriste
Dans notre région, le président Abdelaziz Bouteflika trouve dans ce nouveau créneau de la lutte antiterroriste une opportunité exceptionnelle pour valoriser la place et le rôle de l’Algérie. La création d’un foyer dans l’espace sahélien conduit Alger à renforcer ses liens avec Washington: dialogue avec l’OTAN, coopération militaire, installation d’une base secrète US dans le sud saharien, échange de renseignements… Alger entend rallier à ses vues les pays limitrophes (Mauritanie, Mali, Niger).
Un comité des chefs d’état-major réunissant les quatre pays est créé en 2009. Il a depuis des activités en veilleuse, mais il vient d’être réactivé ces jours-ci même à l’occasion du rapt des sept otages au Niger. Dans tout ce remue-ménage, le Maroc est écarté parce que l’Algérie ne veut pas partager les dividendes de sa posture antiterroriste.
Un passif de légitimité
L’investissement fait par les généraux dans ce champ-là sert de substitut au passif patent de leur légitimité politique et démocratique.
Ils sont considérés comme des interlocuteurs de premier plan dans la sécurité régionale tant par les Etats-Unis que par l’Europe et la France, ils pèsent de tout leur poids en particulier sur
Paris pour la pousser à des concessions et à des compromis sur des questions comme le Sahara marocain ou la normalisation des relations bilatérales, ils entretiennent ainsi un niveau d’intensité suffisant pour faire prévaloir leurs vues, et, au final, ils s’échinent encore à se présenter comme le seul rempart contre le terrorisme islamiste dont le DRS de Tewfik Mediene est un contributeur à géométrie variable suivant les conjonctures et les intérêts en jeu.
Le tropisme sécuritaire européen et américain s’arrête au seul champ de la perception d’un risque de “quaïdatisation” de l’espace sahélo-saharien, ce qui fait l’affaire de la junte d’Alger…
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Cette histoire des sept otages –cinq Français, un Togolais et un Malgache– enlevés dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010 présente bien des ambiguïtés et des zones d’ombre. D’un côté, le discours convenu des chancelleries avec ses codes conventionnels que seuls les initiés peuvent comprendre, de l’autre, les réalités et les faits tels qu’en eux-mêmes. Tout le monde excelle dans cet exercice, sauf le président du Mali qui, lui, n’a pas hésité à mettre les pieds dans le plat.
Invité d’une émission de TV5-monde dont RFI et Le Monde sont partenaires, Amadou Toumani Touré a tenu à recadrer ce rapt.
Le Président Touré a ainsi précisé que le terrorisme «n’est pas un problème malien». Et d’expliquer que «le Mali se considère comme victime et otage».
Distribution des rôles
Il a fait état à cet égard des dimensions de la bande sahélo-saharienne, une zone hostile et incontrôlable dont la superficie équivaut à 20 fois celle de la France; de la circulation dans ce désert, à la fois, des trafiquants de cigarettes et de drogue alimentant l’Europe, des passeurs d’émigrés clandestins vers l’Europe et des salafistes qui viennent du Maghreb. «Aucune de ces menaces ne nous est destinée», a-t-il poursuivi. En termes à peine voilés, il a mis en cause l’Algérie, qui refoule pratiquement ses islamistes vers le Sahara malien: «Ceux qui nous accusent n’ont qu’à empêcher les salafistes de venir chez nous. Ces gens-là ne sont pas maliens. Ils sont venus du Maghreb. Nous n’avons rien à voir avec cette histoire. Depuis neuf siècles, notre Islam est ouvert et respectueux de la vie humaine».
Le management de la nuisance
Le Président Touré dit donc en termes publics et à haute voix ce que tous les responsables régionaux, européens et américains savent depuis des lustres.
Des spécialistes ont ainsi relevé in situ que les forces de l’Armée nationale populaire (ANP) algérienne laissaient volontiers “en paix” des bandes armées campant seulement à quelques lieux de leurs cantonnements dans les confins sahariens frontaliers du Mali et du Niger. Tout paraît se passer comme si une distribution des rôles avait été arrangée, Alger gardant la haute main tant sur l’ordre du jour opérationnel que sur sa dimension.
Comment expliquer cette situation du point de vue du régime de la junte des généraux de ce pays voisin? La mise en perspective historique de cette culture diplomatique encore tellement prégnante donne un éclairage significatif à cet égard. En d’autres termes, Alger continue à pratiquer l’optimisation de ce que l’on pourrait appeler le management de la nuisance.
Il s’agit de monter des opérations devant peser sur les opinions publiques et les dirigeants des pays ciblés pour les conduire à des inflexions allant au-devant des souhaits d’Alger.Sans remonter bien loin, on peut dater plusieurs illustrations de cette politique. A l’égard du Maroc, les faits incriminants sont trop connus pour que l’on s’y attarde, puisque même leurs acteurs les ont reconnus publiquement : l’aide apportée au courant subversif de l’UNFP (Union nationale des Forces populaires) au début des années soixante; la logistique fournie par l’ANP et la gendarmerie algérienne aux groupes marocains impliqués dans les événements de Moulay Bouazza en mars 1973,…
Leader autoproclamé
C’est aussi dans ce même registre qu’il faut évidemment inscrire la création du Front Polisario en 1973-74, d’abord par Tripoli puis par Alger, qui lui a offert depuis plus de trois décennies et demi le sanctuaire de Tindouf et ce, sur son propre territoire.
Sauf à préciser qu’elle a enrobé cette position de l’étiquette avantageuse et vendable du “principe de l’autodétermination”. On peut encore citer, pour ce qui est en particulier de l’Espagne, deux exemples participant de cette même démarche. Ainsi Antonio Cubillo, leader autoproclamé d’un Front de Libération canarien, a été accueilli, encadré et instrumentalisé contre le voisin ibérique.
L’ETA basque a également bénéficié, des années durant, sous des formes diverses, d’un traitement de même facture.
Crédo sécuritaire
En d’autres termes, de telles pratiques ne sont pas conjoncturelles mais bien consubstantielles à la nature et à la mise en œuvre de la diplomatie algérienne. Depuis les années quatre-vingt-dix, force est de relever qu’elles perdurent même si elles se sont insérées dans une lutte antiterroriste devenue au cœur de la vie politique algérienne et des menaces pesant sur le régime.
Il est établi que le GIA (Groupe islamique armé) était infiltré et manipulé par le Département de Renseignement et de Sécurité (DRS), successeur de la Sécurité militaire (SM). Le détournement de l’Airbus A300 d’Air France, le 24 décembre 1994, puis la campagne d’attentats en France (station RER Saint–Michel, TGV Paris-Lyon, ligne C du RER…) témoignent de l’exportation en France du terrorisme algérien.
Jean-Louis Bruguière, magistrat responsable des dossiers de lutte antiterroriste, et les services spécialisés du ministère français de l’Intérieur y voient la patte de Djamal Zitouni, alors chef du GIA. C’est ce même individu qui est mis en cause, quelques mois plus tard, dans l’enlèvement et l’assassinat des moines de Tibéhirine.
Il est établi aujourd’hui, à travers les éléments probants recueillis dans tous ces actes, que Djamel Zitouni était un instrument entre les mains du DRS algérien –le dossier instruit par un juge français saisi à ce sujet est plutôt accablant.
En organisant tous ces attentats sur le sol français, les généraux d’Alger ont voulu montrer de manière opérationnelle ce qu’ils pouvaient faire contre Paris. Ils entendaient ainsi pousser les autorités françaises à plus de “compréhension” à leur endroit au moment où la guerre civile chez eux avait pris une dimension particulière.
Dans l’espace sahélo-saharien aujourd’hui, c’est donc un “remake” auquel l’on assiste, sauf à préciser que dans l’intervalle est intervenu le 11 septembre 2001. Alger investit le nouveau champ stratégique antiterroriste engagé par les Etats Unis et s’y insère en soulignant qu’elle est confrontée à la même menace depuis une bonne dizaine d’années. Les ambiguïtés de Washington à propos du Front islamique du Salut (FIS) algérien devant être intégré dans le jeu politique sont levées tant il est vrai que le crédo sécuritaire antiterroriste s’impose en priorité. De même, le déficit démocratique du régime des généraux pâtit d’une relégation…
Posture antiterroriste
Dans notre région, le président Abdelaziz Bouteflika trouve dans ce nouveau créneau de la lutte antiterroriste une opportunité exceptionnelle pour valoriser la place et le rôle de l’Algérie. La création d’un foyer dans l’espace sahélien conduit Alger à renforcer ses liens avec Washington: dialogue avec l’OTAN, coopération militaire, installation d’une base secrète US dans le sud saharien, échange de renseignements… Alger entend rallier à ses vues les pays limitrophes (Mauritanie, Mali, Niger).
Un comité des chefs d’état-major réunissant les quatre pays est créé en 2009. Il a depuis des activités en veilleuse, mais il vient d’être réactivé ces jours-ci même à l’occasion du rapt des sept otages au Niger. Dans tout ce remue-ménage, le Maroc est écarté parce que l’Algérie ne veut pas partager les dividendes de sa posture antiterroriste.
Un passif de légitimité
L’investissement fait par les généraux dans ce champ-là sert de substitut au passif patent de leur légitimité politique et démocratique.
Ils sont considérés comme des interlocuteurs de premier plan dans la sécurité régionale tant par les Etats-Unis que par l’Europe et la France, ils pèsent de tout leur poids en particulier sur
Paris pour la pousser à des concessions et à des compromis sur des questions comme le Sahara marocain ou la normalisation des relations bilatérales, ils entretiennent ainsi un niveau d’intensité suffisant pour faire prévaloir leurs vues, et, au final, ils s’échinent encore à se présenter comme le seul rempart contre le terrorisme islamiste dont le DRS de Tewfik Mediene est un contributeur à géométrie variable suivant les conjonctures et les intérêts en jeu.
Le tropisme sécuritaire européen et américain s’arrête au seul champ de la perception d’un risque de “quaïdatisation” de l’espace sahélo-saharien, ce qui fait l’affaire de la junte d’Alger…
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