Mission. Petites confidences entre amis
Les sénateurs français qui étaient en mission au royaume, en septembre dernier, viennent de rendre leur copie. Un rapport édifiant.
Le “groupe d’amitié France-Maroc” du Sénat français s’est rendu en mission dans le royaume du 13 au 18 septembre 2010. Huit sénateurs et sénatrices, toutes tendances politiques confondues, étaient du voyage. Leur rapport vient d’être rendu public sous le titre “Maroc : l'ère du changement”. Ils n’auront pas regretté d’avoir fait le déplacement, à en croire les révélations qu’il contient. Elles sont pour le moins fracassantes. C’est en tout cas le sentiment que leur ont donné leurs hôtes qui se sont aimablement offerts à les instruire. Rien que des officiels, bien sûr, car les représentants de la société civile non seulement ne connaissent rien à la réalité profonde du pays, mais manient une langue de bois à laquelle les oreilles des sénateurs français n’ont jamais pu s’accoutumer. Tout autre fut en revanche, on s’en doute, la langue de vérité dans laquelle les officiels ont exposé les ambitieux programmes de réformes élaborés depuis que le Maroc est entré - voici plus de dix ans - dans l’“ère du changement”. Certes, quelques problèmes demeurent. Et, puisque entre amis on ne se cache rien, surtout entre la pastilla et le méchoui, certains ministres n’ont pas craint de mettre les pieds dans le plat et de livrer de véritables scoops. C’est ainsi, découvre-t-on dans le rapport, qu’Amina Benkhadra, ministre de l’Energie, de l’Eau et de l’Environnement, a indiqué que “l’eau était un grand défi pour le Maroc eu égard au climat marocain et à l'accroissement des besoins.” Qui s’en serait douté, à moins d’être dans le secret des cabinets ministériels ? Que la transparence soit de mise s’agissant d’eau, rien de plus naturel, dira-t-on. Mais que penser de cette autre confidence, tombée des lèvres de Mohamed Saâd Hassar, secrétaire d'État à l’Intérieur ? Lequel a souligné que “le respect des droits de l'homme était essentiel puisque c'est un chantier royal”. Faut-il en conclure que s’il n’avait pas été “royal”, ledit chantier serait dépourvu de tout intérêt et ne mobiliserait personne au Maroc ? Gardons pour la bonne bouche cette cerise sur le gâteau : le Premier ministre, Abbas El Fassi, s’est félicité de “la liberté totale de la presse au Maroc, qui permet d'aborder sans tabou tous les sujets”. Texto. Aura-t-il ajouté que si les rares journaux indépendants encore vivants se risquaient à aborder certains thèmes, la justice se chargerait de les faire taire ? Là-dessus nos sénateurs sont moins loquaces. On est amis ou on ne l’est pas.
Ruth Grosrichard, correspondance de Paris
TelQuel