Wikileaks :Le regard clinique des diplomates yankees sur les économies du Maghreb
Comment les diplomates américains voient les économies du Maghreb et les pratiques en usage dans les différents pays ? Les câbles qui sortent, avec une grande lenteur, du tuyau de Wikileaks sont déjà édifiants. Aucun des pays maghrébins ne sort indemne de ce regard clinique, pas même les bons élèves du FMI.
Le regard des fonctionnaires américains du département d’Etat, sous réserve de la mise en ligne d’autres télégrammes diplomatiques, apparait distancié et dénué d’appréciations « idéologiques » ou dogmatiques. Les inclinations stratégiques des Etats-Unis sont connues mais ni le poids des anciennes alliances ni l’arrogance des diplomates impériaux ne transparait dans les dépêches livrées à l’opinion mondiale par Wikileaks. Les informations transmises à la « centrale » de Washington révèlent un regard critique sur une réalité maghrébine que les hommes et les femmes du service diplomatique des Etats-Unis observent en professionnels. Sans acrimonie mais sans aménité, les principales données sont énoncées clairement permettant ainsi au lecteur distant d’avoir une vision opératoire de la réalité des pays concernés.
Les câbles économiques émanent des ambassades à Alger, Tunis et du Consulat Général à Casablanca. Pour l’instant, seuls des mémorandums détaillés sur l’économie du Maroc et de la Tunisie sont disponibles. L’économie algérienne n’est évoquée que dans un paragraphe d’un rapport de préparation de la visite à Alger d’un Secrétaire d’Etat adjoint.
Il est donc difficile à ce stade d’établir une synthèse comparative du regard américain sur les économies du Maghreb. Ce qui ressort néanmoins est que l’examen critique des dysfonctionnements de la gouvernance économique au Maroc et en Tunisie a peu à voir avec la critique de fonds que subit l’administration économique algérienne.
La corruption, fléau du Maghreb, existe dans les trois pays concernés sous des formes différentes mais avec des conséquences qui sont loin d’être anodines. Toutefois au Maroc et en Tunisie cette « peste » de la gouvernance s’inscrit dans une dynamique de croissance.
Algérie : un manque de vision
L’efficacité des économies de ces deux pays est une réalité soutenue par les acteurs locaux et étrangers alors qu’en Algérie on a le sentiment d’une panne durable imputable à l’absence caractérisée de politique économique et d’un vide programmatique préoccupant.
Le « manque de vision » déploré par Robert Ford, ambassadeur à Alger jusqu’en juin 2009, fait que le pays n’offre aucune lisibilité ni aucune visibilité de ses options économiques. L’absence de vision se traduit par le seul recours à l’injection de dizaines de milliards de dollars dans la réalisation d’infrastructures sans orientation stratégique claire.
L’Algérie donne le sentiment au diplomate américain de n’avoir pas opté pour une insertion positive dans l’économie mondiale, ni choisi de revenir au contrat sociopolitique des années 60 et 70. Le non-choix et le néant analytique est l’expression algérienne de la transition bloquée dans un interrègne morbide remarquablement formulé par le philosophe Antonio Gramsi « quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître », souvent cité par de nombreux observateurs algériens, notamment des amis de ce site, lorsqu’il s’agit de débattre de l’interminable crise algérienne.
Tunisie : le spectre d’une économie de la corruption
La Tunisie et le Maroc n’en sont plus à ce stade, probablement grâce à l’absence d’une rente massive à même d’anesthésier la nécessaire stimulation des forces productives. L’Ambassadeur Godec à Tunis, le Consul général Millard et le fonctionnaire Greene à Casablanca ne se sont pas retrouvés dans un carrefour de non-choix. Les économies de ces deux pays alignent des performances honorables, mêmes si elles restent en deçà de ce qu’elles devraient être, pour résorber les retards énormes et offrir à leurs jeunesses des perspectives concrètes.
Les observations des diplomates américains sont, sur la base des câbles « économiques » mis en ligne, par l’impact de la corruption des élites de pouvoir sur des sociétés caractérisées par de profonds déséquilibres entre les nantis et les majorités de déshérités. Pour les américains, le spectre d’une « économie de la corruption » menace la Tunisie et risque de remettre en cause une évolution jusqu’ici plutôt satisfaisante. Dans un câble daté du 23 juin 2008, l’ambassadeur Godec aujourd’hui responsable du contre-terrorisme au Département d’Etat, décrit un paysage défiguré par un phénomène susceptible de porter un très grave préjudice au pays.
L’ambassadeur n’hésite pas à nuancer très fortement la portée des succès économiques du pays, n’hésitant pas à conclure que « S’agissant du discours d’un miracle économique tunisien et de toutes les statistiques positives, le fait que les investisseurs tunisiens aient opéré des choix clairs (Ils font profil bas et investissent très prudemment. NDLR) est un indicateur éloquent. ».
Maroc : la drogue rapporte 13 milliards $ par an
Au Maroc, la corruption au sommet de l’Etat est un élément habituel d’une réalité économique où les revenus de la drogue jouent un rôle colossal dans l’économie notamment à Casablanca, poumon économique du royaume. Dans son mémorandum plutôt positif, « Sources de richesse à Casablanca : Internes, Externes, Illicites » du 23 mai 2008, le Consulat Général cite un rapport de l’International Narcotics Control Strategy «le commerce de drogue du Maroc (principalement vers l’Europe) rapporte 13 milliards de dollars par an, soit plus du double des revenus du tourisme en 2007. »
Tout aussi gravement dans un autre câble du 11 décembre 2009, portant sur la corruption dans le secteur de l’immobilier, le Consul Général Millard cite nommément le Roi et deux de ses plus proches collaborateurs comme des acteurs de premier plan dans un système de prélèvements illicites parfaitement structuré. Le consul général, citant un de ses interlocuteurs, écrit que la corruption s’est « institutionnalisée » sous Mohamed VI et aurait pris des proportions encore plus importantes que durant le règne d’Hassan II.
Une lumière crue sur les «amis »
Les rapports concluent tant pour le Maroc que pour la Tunisie que la corruption menace à terme la stabilité politique en rendant encore plus insupportables les fractures sociales. Il n’y a malheureusement aucune raison de penser que l’Algérie échappe à cette pathologie et à ses conséquences. Sans révéler rien de fondamentalement nouveau, les documents mis en ligne par Wikileaks projettent une lumière crue sur les réalités maghrébines.
Les américains, on en a la confirmation, savent précisément qui ils soutiennent et à qui ils ont affaire. Leurs déclarations d’amitié et leurs appréciations officielles généralement très flatteuses sur les pays du Maghreb prennent une saveur toute particulière quand elles sont mises en regard avec ce que produisent leurs diplomates.
maghrebinfo.
Comment les diplomates américains voient les économies du Maghreb et les pratiques en usage dans les différents pays ? Les câbles qui sortent, avec une grande lenteur, du tuyau de Wikileaks sont déjà édifiants. Aucun des pays maghrébins ne sort indemne de ce regard clinique, pas même les bons élèves du FMI.
Le regard des fonctionnaires américains du département d’Etat, sous réserve de la mise en ligne d’autres télégrammes diplomatiques, apparait distancié et dénué d’appréciations « idéologiques » ou dogmatiques. Les inclinations stratégiques des Etats-Unis sont connues mais ni le poids des anciennes alliances ni l’arrogance des diplomates impériaux ne transparait dans les dépêches livrées à l’opinion mondiale par Wikileaks. Les informations transmises à la « centrale » de Washington révèlent un regard critique sur une réalité maghrébine que les hommes et les femmes du service diplomatique des Etats-Unis observent en professionnels. Sans acrimonie mais sans aménité, les principales données sont énoncées clairement permettant ainsi au lecteur distant d’avoir une vision opératoire de la réalité des pays concernés.
Les câbles économiques émanent des ambassades à Alger, Tunis et du Consulat Général à Casablanca. Pour l’instant, seuls des mémorandums détaillés sur l’économie du Maroc et de la Tunisie sont disponibles. L’économie algérienne n’est évoquée que dans un paragraphe d’un rapport de préparation de la visite à Alger d’un Secrétaire d’Etat adjoint.
Il est donc difficile à ce stade d’établir une synthèse comparative du regard américain sur les économies du Maghreb. Ce qui ressort néanmoins est que l’examen critique des dysfonctionnements de la gouvernance économique au Maroc et en Tunisie a peu à voir avec la critique de fonds que subit l’administration économique algérienne.
La corruption, fléau du Maghreb, existe dans les trois pays concernés sous des formes différentes mais avec des conséquences qui sont loin d’être anodines. Toutefois au Maroc et en Tunisie cette « peste » de la gouvernance s’inscrit dans une dynamique de croissance.
Algérie : un manque de vision
L’efficacité des économies de ces deux pays est une réalité soutenue par les acteurs locaux et étrangers alors qu’en Algérie on a le sentiment d’une panne durable imputable à l’absence caractérisée de politique économique et d’un vide programmatique préoccupant.
Le « manque de vision » déploré par Robert Ford, ambassadeur à Alger jusqu’en juin 2009, fait que le pays n’offre aucune lisibilité ni aucune visibilité de ses options économiques. L’absence de vision se traduit par le seul recours à l’injection de dizaines de milliards de dollars dans la réalisation d’infrastructures sans orientation stratégique claire.
L’Algérie donne le sentiment au diplomate américain de n’avoir pas opté pour une insertion positive dans l’économie mondiale, ni choisi de revenir au contrat sociopolitique des années 60 et 70. Le non-choix et le néant analytique est l’expression algérienne de la transition bloquée dans un interrègne morbide remarquablement formulé par le philosophe Antonio Gramsi « quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître », souvent cité par de nombreux observateurs algériens, notamment des amis de ce site, lorsqu’il s’agit de débattre de l’interminable crise algérienne.
Tunisie : le spectre d’une économie de la corruption
La Tunisie et le Maroc n’en sont plus à ce stade, probablement grâce à l’absence d’une rente massive à même d’anesthésier la nécessaire stimulation des forces productives. L’Ambassadeur Godec à Tunis, le Consul général Millard et le fonctionnaire Greene à Casablanca ne se sont pas retrouvés dans un carrefour de non-choix. Les économies de ces deux pays alignent des performances honorables, mêmes si elles restent en deçà de ce qu’elles devraient être, pour résorber les retards énormes et offrir à leurs jeunesses des perspectives concrètes.
Les observations des diplomates américains sont, sur la base des câbles « économiques » mis en ligne, par l’impact de la corruption des élites de pouvoir sur des sociétés caractérisées par de profonds déséquilibres entre les nantis et les majorités de déshérités. Pour les américains, le spectre d’une « économie de la corruption » menace la Tunisie et risque de remettre en cause une évolution jusqu’ici plutôt satisfaisante. Dans un câble daté du 23 juin 2008, l’ambassadeur Godec aujourd’hui responsable du contre-terrorisme au Département d’Etat, décrit un paysage défiguré par un phénomène susceptible de porter un très grave préjudice au pays.
L’ambassadeur n’hésite pas à nuancer très fortement la portée des succès économiques du pays, n’hésitant pas à conclure que « S’agissant du discours d’un miracle économique tunisien et de toutes les statistiques positives, le fait que les investisseurs tunisiens aient opéré des choix clairs (Ils font profil bas et investissent très prudemment. NDLR) est un indicateur éloquent. ».
Maroc : la drogue rapporte 13 milliards $ par an
Au Maroc, la corruption au sommet de l’Etat est un élément habituel d’une réalité économique où les revenus de la drogue jouent un rôle colossal dans l’économie notamment à Casablanca, poumon économique du royaume. Dans son mémorandum plutôt positif, « Sources de richesse à Casablanca : Internes, Externes, Illicites » du 23 mai 2008, le Consulat Général cite un rapport de l’International Narcotics Control Strategy «le commerce de drogue du Maroc (principalement vers l’Europe) rapporte 13 milliards de dollars par an, soit plus du double des revenus du tourisme en 2007. »
Tout aussi gravement dans un autre câble du 11 décembre 2009, portant sur la corruption dans le secteur de l’immobilier, le Consul Général Millard cite nommément le Roi et deux de ses plus proches collaborateurs comme des acteurs de premier plan dans un système de prélèvements illicites parfaitement structuré. Le consul général, citant un de ses interlocuteurs, écrit que la corruption s’est « institutionnalisée » sous Mohamed VI et aurait pris des proportions encore plus importantes que durant le règne d’Hassan II.
Une lumière crue sur les «amis »
Les rapports concluent tant pour le Maroc que pour la Tunisie que la corruption menace à terme la stabilité politique en rendant encore plus insupportables les fractures sociales. Il n’y a malheureusement aucune raison de penser que l’Algérie échappe à cette pathologie et à ses conséquences. Sans révéler rien de fondamentalement nouveau, les documents mis en ligne par Wikileaks projettent une lumière crue sur les réalités maghrébines.
Les américains, on en a la confirmation, savent précisément qui ils soutiennent et à qui ils ont affaire. Leurs déclarations d’amitié et leurs appréciations officielles généralement très flatteuses sur les pays du Maghreb prennent une saveur toute particulière quand elles sont mises en regard avec ce que produisent leurs diplomates.
maghrebinfo.
Dernière édition par Atavisme le Jeu 16 Déc - 0:19, édité 2 fois