Histoire du Sahara Marocain Je suis historien et je travaille à la manière de Braudel, sur la longue durée, sur les siècles du passé qui éclairent l'histoire présente et l'histoire future". Bernard Lugan qui a participé au colloque sur le dossier du Sahara tenu par le Concil foreign relations et l'American Moroccan institute dirigé par Mokhtar Ghambo, éclaire l'histoire du Maroc avec ses constances, et ses évolutions. Auteur de "L'histoire du Maroc" publié en 2000, originaire lui-même de Meknès où il est né, il explique pourquoi dans la longue durée, l'histoire explique les faits. Vous êtes connu comme étant un grand spécialiste de l'histoire de l'Afrique. Après la parution de "Histoire d'Afrique du Sud", "Histoire du Rwanda", "Histoire d'Egypte", vous publiez "Histoire du Maroc". Quel intérêt portez-vous au Maroc et pourquoi? Bernard Lugan: J'ai un lien affectif très fort avec le Maroc, puisque je suis né à Meknès plus précisément. Mais je suis aussi spécialiste de l'histoire d'Afrique Noire et je me suis rendu compte que tout l'ensemble sahélien sur lequel je travaille, était un ensemble rattaché par des bandes verticales au monde méditerranéen. Il y avait en fait deux ensembles de rattachement. L'Egypte avec la Vallée du Nil et à l'Ouest le Maroc avec le Sahara et les grandes pistes du commerce transaharien. En travaillant sur ces deux ensembles et sur une longue durée historique de douze siècles, j'ai réalisé que tout le monde ouest-africain était tourné vers la Méditerranée. Il était tourné vers le Cône du Détroit de Gibraltar puisqu'au XVème siècle, il était partie prenante dans les affaires de la Méditerranée occidentale. Al Andalous existait et le commerce transaharien franchissait le Détroit de Gibraltar et était ventilé vers la péninsule ibérique et une partie de l'Europe occidentale. Du Fleuve Sénégal jusqu'à Tolède, on avait un même ensemble autour du Maroc. Revenons si vous le voulez bien à ces bandes verticales qui relient le monde sahélien au monde méditerranéen et qui représentent pour beaucoup d'historiens et d'observateurs une clef qui permet de comprendre le dossier du Sahara. Comment s'exerçait l'influence de l'Etat marocain? Dans trois directions. Vers le Nord, durant sept siècles, le Maroc fut directement acteur dans la question d'Al Andalous, nom donné à l'Espagne musulmane. Au XVe siècle, une ligne d'influence partait de la Vallée du fleuve Sénégal au Sud, pour atteindre les Pyrénées au Nord. La deuxième direction, c'est vers l'Est. Aux XIe, XIIe et XIIIe siècles avec les Almoravides et les Almohades, le Maroc a dominé tout le Maghreb. La troisième direction, c'est le Sud, en direction de l'Ouest africain ou Bilad Al Sudan, la souveraineté marocaine est effective. Elle est illustrée par la levée de l'impôt et par la nomination d'autorités administratives, c'est-à-dire des caïds, des pachas et gouverneurs. D'autre part, la prière du vendredi est dite au nom du sultan du Maroc. Au début de notre entretien, vous précisiez que vous êtes historien, que vous travaillez sur la longue durée et non sur l'actualité immédiate. Quelle analyse, quelles constances retirez-vous de l'observation de cette domination du Maroc dans ce large espace? J'ai compris que cette longue durée était favorisée par un élément fondamental. Le seul Etat-Nation existant en Afrique du Nord, à l'exception de l'Egypte, c'est le Maroc. Tous les liens économiques, politiques, culturels, religieux qui se faisaient entre ce Nord sahélien du Lac Tchad à l'Atlantique et projetés jusqu'à la façade méditerranéenne, passaient obligatoirement par le Maroc. La seule permanence historique sur 12 siècles, c'est le Maroc. Et l'exemple que je prends pour illustrer cette réalité, c'est qu'en 987, Hugues Capet, le premier souverain capétien, monte sur le Trône de France. A cette date, le Maroc qui est né au VIIIe siècle de l'ère chrétienne, sous la dynastie des Idrissides, a déjà deux siècles d'existence. Venons-en au Sahara. Vous êtes ici à New York invité par le Council Foreign relations et l'American Moroccan Institute pour intervenir à un colloque consacré à ce dossier. Quel est le sens de votre intervention? J'ai été avant ce colloque invité par l'Université Columbia pour intervenir sur le génocide du Rwanda sur lequel j'ai écrit un ouvrage, car j'ai eu accès à toutes les archives du Tribunal pénal international. Je suis en même temps invité par l'Université Yale où enseigne Mokhtar Ghambo, fondateur de l'American Moroccan Institute (AMI) qui, avec le Council Foreign relations, un institut américain de renom, organise le colloque sur le Sahara. Je présente toute la partie du background historique du Sahara. Ce que je dis, c'est qu'avant la période coloniale, le Sahara a toujours été économiquement lié au Maroc. Très tôt, Sijilmassa fut la métropole de l'Ouest saharien et son influence est relayée par les marchés de Goulimine et de Tindouf. Le Maroc est le moteur commercial de tout l'Ouest saharien et le point d'écoulement des marchandises en provenance de l'Ouest africain échangées contre ses productions artisanales ou agricoles. Le Maroc étendait son rayonnement au-delà du Tagart et le long des pistes du Sahara depuis l'arc du cercle Agadir-Sijilmassa-Touat, englobant à la fois les villes du Nord du Maroc et les vallées des Fleuves Sénégal et Niger. Dans cette vaste région qui allait de Tanger à la Vallée du fleuve Sénégal, l'influence marocaine se manifestait par la circulation d'une monnaie unique et par un même système de poids et mesures. Les marchandises circulaient sans entraves douanières, car il s'agissait d'échanges internes pratiqués dans les limites d'un seul ensemble culturel et économique. C'est dans la seconde partie du XIXe siècle que le Maroc connut de graves événements politiques et vit le pouvoir royal s'affaiblir. Le pays est alors dépecé par la France et l'Espagne. Le Sahara n'échappe pas à ce mouvement. Ce qui nous fait penser que des pays comme la France et l'Espagne sont ceux qui connaissent le mieux les tenants et aboutissants historiques et politiques de ce dossier. Pourquoi l'Espagne s'est-elle tant intéressée au Sahara? A cause de ses potentialités halieutiques. Grâce aux eaux salines des Iles Canaries qui permettaient la conservation et l'exportation du poisson, l'Espagne a eu rapidement une position régionalement dominante. Dès le XVe siècle, les Espagnols furent attirés par le littoral. Leur premier établissement sur cette partie du littoral saharien date de 1476 quand Don Diego De Herrera, seigneur de Lanzarote aux Canaries fit édifier un fortin qu'il baptisa du nom de Santa Cruz de Mar Pequena qui fut détruit par la suite par le sultan El Wartassi en 1527. En 1860, la guerre hispano-marocaine se termine à l'avantage des Espagnols qui s'emparèrent de Tétouan et qui dans le traité de paix, firent insérer l'article n° 8 qui leur permit de mettre la main sur le Sahara. Il est notamment connu que la France a territorialement favorisé l'Algérie qui était à l'époque française aux dépens du Maroc. Vous avez beaucoup travaillé sur cette période de l'Histoire. Que pouvez-vous en dire? La France a donné à l'Algérie des territoires entiers aux dépens d'un Etat historique qui est le Maroc. La première amputation date des débuts de la présence française en Algérie. Le 14 août 1844, l'armée française avait remporté la bataille d'Isly. Le traité de Tanger fut signé le 16 septembre 1844 et le 18 mars 1845, le traité de Lalla Maghnia fixe théoriquement la frontière algéro-marocaine. Des parties au territoire marocain seront détachées à l'Algérie. La deuxième amputation territoriale du Maroc date de la fin du XIXe siècle quand la conquête de l'Algérie entraîne les troupes françaises vers le grand Sud à Saoura, Goumara, Touat, Tide Kelt, Timimoun. Tous ces territoires sont historiquement marocains. |
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