Elle s’appelle Nabou (diminutif du prénom Zainabou), elle a 23 ans, et elle est sénégalaise. Son histoire avec le Maroc remonte à 2005, lorsqu’un étudiant marocain à Dakar lui fit une proposition qui allait la séduire : elle l’accompagnerait à Casablanca où il lui trouverait un job : un rêve qu’elle avait longtemps caressé. Le travail ?
Nourrice dans une maison, chez un directeur de banque. L’étudiant, qui n’est autre que le fils du futur patron, lui paya alors un billet d’avion et lui promit un salaire de 600 DH par mois, nourrie et logée. La proposition lui sembla correcte. Il lui promit également d’entreprendre les démarches nécessaires pour régulariser sa situation une fois qu’elle serait au Maroc. Nabou était folle de joie : enfin la liberté, l’indépendance ! Et puis qui sait, se disait-elle, le Maroc est la porte de l’Europe, avec un peu de chance, elle pourrait, comme beaucoup de Subsahariens, tenter sa chance et partir en Espagne ou en France (50% des Sénégalais résidant en Espagne y ont émigré via le Maroc).
On ne peut que faire le rapprochement avec les pratiques de l’esclavage
La jeune femme ne savait pas que son séjour à Casablanca allait tourner au cauchemar, du moins pendant les six premiers mois. Chez la famille marocaine qui avait fait appel à elle par le truchement du fils étudiant, son travail n’allait pas consister à s’occuper, comme on le lui avait promis, de deux enfants mais de toute la famille, et en tant que femme de ménage. Si ce n’est de l’esclavage, le traitement qu’on lui réserve y ressemble beaucoup. Elle travaille comme une bête de somme : de six heures du matin à minuit passé. Elle fait tout le travail ménager et, horreur, la patronne lui confisque son passeport et lui interdit de sortir de la maison. Une véritable séquestration selon Nabou.
Et le salaire ? Et la régularisation de sa situation ? «Je n’ai jamais touché le moindre centime, aucune démarche n’a été faite pour avoir ma carte de séjour», répond-elle. Subissait-elle des sévices corporels ? «Non, mais on m’insultait et on me crachait dessus comme si j’étais moins qu’un être humain». A bout de patience, la séquestrée subtilisa un jour la clé de la maison, ramassa ses affaires et s’enfuit. Des voisins sénégalais qu’elle avait pu repérer l’accueillirent. Ensuite, l’Association des ressortissants sénégalais résidant au Maroc (ARSRM) intervient pour la faire embaucher chez des compatriotes, à 2 000 DH par mois, et exerça des pressions sur la famille marocaine pour qu’elle lui restitue son document de voyage. Nabou travaille actuellement chez des Français, touche un salaire de 2 500 DH. Elle partage un appartement et un loyer de 4 000 DH avec six colocataires, sénégalaises également, toutes employées de maison.
On croyait révolue l’époque où les Marocains fortunés, les notables des grandes villes notamment, engageaient chez eux des dada pour les servir jour et nuit comme les esclaves servaient leurs maîtres. Ce n’est pas sûr. En tout cas, au vu de l’histoire de Nabou avec cette famille marocaine, on ne peut manquer de faire le rapprochement. Cas isolé ? Les Sénégalaises recrutées comme domestiques ne connaissent heureusement pas toutes le même sort.
Ce qui est sûr, c’est que les Marocains sont de plus en plus nombreux à rechercher des femmes de ménage étrangères, avec une prédilection pour les Sénégalaises, en raison de la proximité géographique, mais aussi, pour les plus fortunés, pour les Asiatiques, notamment les Philippines. Pas d’agences de recrutement officielles, mais des filières informelles. Le bouche à oreille fonctionne à plein. Avec les Asiatiques, l’expérience n’a pas toujours été concluante. Ainsi, cette dame de la bourgeoisie se plaint d’une Philippine qu’elle avait fait venir en 2004, lui payant un billet d’avion à 12 000 DH, pour la voir se volatiliser au bout de trois mois. Elle la retrouvera à Meknès, quelques semaines plus tard, à travailler dans un salon de coiffure. Pour elle, «difficile d’avoir confiance en elles, une fois au Maroc avec un contrat de travail et une carte de séjour, elles cherchent ailleurs des boulots plus rentables, certaines se tournant carrément vers la prostitution.» Mais toutes les expériences ne se ressemblent pas et certaines familles ont réussi l’expérience avec leurs recrues asiatiques. C’est le cas de cet ancien ambassadeur marocain dans un pays du Golfe qui a ramené avec lui, en rentrant au pays, Baty, une Philippine qui avait travaillé chez lui pendant six ans. Avec elle, les choses se sont plutôt bien passées, la dame jouit de tous ses droits comme salariée domestique, et n’envisage pas le moins du monde à repartir chez elle, même pour les vacances.
On leur applique le même traitement qu’aux jeunes bonnes marocaines
Même avec les Sénégalaises, «ça ne passe pas toujours mal», reconnaît Abdou Souley Diop, président de l’ ARSRM, expert-comptable, lui-même fils d’un ex-ambassadeur du Sénégal à Rabat. Pour lui, ce n’est pas parce que Nabou est sénégalaise qu’elle a vécu le calvaire, mais parce que nombre de patrons traitent leurs «bonnes» marocaines de la même manière. «La seule différence, c’est que la jeune Marocaine a une famille qu’elle peut éventuellement faire intervenir, et n’a pas besoin de carte de séjour. La jeune Sénégalaise, en revanche, pour peu qu’elle n’ait pas son titre de séjour en règle, vit une situation intenable car elle est en permanence sous la menace d’une expulsion, et certains patrons en abusent.»
Peut-on mesurer l’ampleur du phénomène ? Il n’y a pas de statistiques concernant le nombre de ces domestiques employées au Maroc. Ni l’ambassade du Sénégal au Maroc ni l’ARSRM n’ont fait d’enquête pour les recenser, la raison d’être de cette dernière, explique son vice-président, Badou Ba, étant de venir en aide à l’ensemble des ressortissants sénégalais en situation difficile au Maroc. Il pourrait, selon lui, y avoir entre 250 et 300 employées de maison, âgées de 20 à 30 ans, entre Casablanca et Rabat. Du côté de la direction de l’emploi, impossible d’avoir la moindre information sur cette catégorie de travailleurs pour la simple raison qu’«il n’existe aucune loi réglementant le secteur. Et l’inspection du travail ne peut franchir le seuil des maisons pour savoir ce qui s’y passe. A fortiori pour les employées de maison étrangères». On sait toutefois qu’une loi sur les employés de maison (qui ne concerne pas uniquement les femmes de ménage mais aussi les jardiniers, les gardiens, etc.) est fin prête au Secrétariat général du gouvernement, mais elle ne mentionne pas le personnel de maison non marocain.
Pourquoi les Sénégalaises choisissent-t-elles de venir travailler au Maroc comme femmes de ménage ? Selon les responsables de l’ARSRM, il y a, bien sûr, la proximité géographique, les relations très anciennes de confiance entre les populations des deux pays, et le souci de ces femmes de se faire un peu d’argent (voir encadré). Et M. Diop de donner l’exemple de cette jeune Sénégalaise séquestrée chez ses patrons marocains mais qui préfère continuer à travailler chez eux pour un salaire mensuel de 700 DH plutôt que de rentrer à Dakar, sachant que cela lui permettra de ramasser un petit pécule.
Comment sont-elles parvenues au Maroc ? Certaines ont été recrutées par le biais d’un réseau, mais Badou Ba ne sait pas exactement comment les employeurs opèrent pour les faire venir puisqu’elles travaillent dans l’informel. Ce dont il est sûr, c’est que ces filles commencent à s’organiser, qu’elles se rencontrent le dimanche pour se concerter quant à leurs «revendications» et se raconter leurs vies.
Elles commencent à se rencontrer le dimanche et à s’organiser
M. Diop parle, lui, de trois catégories de femmes de ménage sénégalaises. Il y a d’abord celles que des étudiants marocains au Sénégal ramènent avec eux quand ils rentrent au pays pour les faire travailler dans leur famille. Autre phénomène : à partir des années 1990, il y a eu des retours de plus en plus importants de la troisième génération de Sénégalais avec un nom marocain, les Boughaleb, les Berrada, les Laraki, les Benjelloun... Il s’agit de quelques grandes familles longtemps installées au Sénégal, qui, en raison de difficultés professionnelles, ou après la retraite, préfèrent revenir au Maroc, ramenant avec elles ces femmes qui avaient longtemps travaillé pour elles. Les Sénégalaises de ce groupe sont, selon M. Diop, le plus souvent embauchées de façon régulière, avec une carte de séjour. Leur relation avec ces familles est forte, elles ont droit à un congé annuel qu’elles vont passer chez elles au Sénégal.
La troisième catégorie se recrute parmi les naufragées de l’immigration clandestine. A court de moyens, elles se mettent à la recherche de travail dans les maisons, et comme il y a une forte demande sur place, nombre de familles les recrutent. Aujourd’hui, des Marocains se mettent eux-mêmes en quête de filles à ramener du Sénégal, et des filières informelles se constituent. Et c’est dans ce dernier groupe qu’il y a souvent «des dérives malsaines», s’indigne Abdou Diop. On exploite la fragilité de ces filles non immatriculées auprès de leur consulat et ne disposant d’aucun titre de séjour. L’association a quotidiennement affaire à des filles en situation de détresse.
Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco
Nourrice dans une maison, chez un directeur de banque. L’étudiant, qui n’est autre que le fils du futur patron, lui paya alors un billet d’avion et lui promit un salaire de 600 DH par mois, nourrie et logée. La proposition lui sembla correcte. Il lui promit également d’entreprendre les démarches nécessaires pour régulariser sa situation une fois qu’elle serait au Maroc. Nabou était folle de joie : enfin la liberté, l’indépendance ! Et puis qui sait, se disait-elle, le Maroc est la porte de l’Europe, avec un peu de chance, elle pourrait, comme beaucoup de Subsahariens, tenter sa chance et partir en Espagne ou en France (50% des Sénégalais résidant en Espagne y ont émigré via le Maroc).
On ne peut que faire le rapprochement avec les pratiques de l’esclavage
La jeune femme ne savait pas que son séjour à Casablanca allait tourner au cauchemar, du moins pendant les six premiers mois. Chez la famille marocaine qui avait fait appel à elle par le truchement du fils étudiant, son travail n’allait pas consister à s’occuper, comme on le lui avait promis, de deux enfants mais de toute la famille, et en tant que femme de ménage. Si ce n’est de l’esclavage, le traitement qu’on lui réserve y ressemble beaucoup. Elle travaille comme une bête de somme : de six heures du matin à minuit passé. Elle fait tout le travail ménager et, horreur, la patronne lui confisque son passeport et lui interdit de sortir de la maison. Une véritable séquestration selon Nabou.
Et le salaire ? Et la régularisation de sa situation ? «Je n’ai jamais touché le moindre centime, aucune démarche n’a été faite pour avoir ma carte de séjour», répond-elle. Subissait-elle des sévices corporels ? «Non, mais on m’insultait et on me crachait dessus comme si j’étais moins qu’un être humain». A bout de patience, la séquestrée subtilisa un jour la clé de la maison, ramassa ses affaires et s’enfuit. Des voisins sénégalais qu’elle avait pu repérer l’accueillirent. Ensuite, l’Association des ressortissants sénégalais résidant au Maroc (ARSRM) intervient pour la faire embaucher chez des compatriotes, à 2 000 DH par mois, et exerça des pressions sur la famille marocaine pour qu’elle lui restitue son document de voyage. Nabou travaille actuellement chez des Français, touche un salaire de 2 500 DH. Elle partage un appartement et un loyer de 4 000 DH avec six colocataires, sénégalaises également, toutes employées de maison.
On croyait révolue l’époque où les Marocains fortunés, les notables des grandes villes notamment, engageaient chez eux des dada pour les servir jour et nuit comme les esclaves servaient leurs maîtres. Ce n’est pas sûr. En tout cas, au vu de l’histoire de Nabou avec cette famille marocaine, on ne peut manquer de faire le rapprochement. Cas isolé ? Les Sénégalaises recrutées comme domestiques ne connaissent heureusement pas toutes le même sort.
Ce qui est sûr, c’est que les Marocains sont de plus en plus nombreux à rechercher des femmes de ménage étrangères, avec une prédilection pour les Sénégalaises, en raison de la proximité géographique, mais aussi, pour les plus fortunés, pour les Asiatiques, notamment les Philippines. Pas d’agences de recrutement officielles, mais des filières informelles. Le bouche à oreille fonctionne à plein. Avec les Asiatiques, l’expérience n’a pas toujours été concluante. Ainsi, cette dame de la bourgeoisie se plaint d’une Philippine qu’elle avait fait venir en 2004, lui payant un billet d’avion à 12 000 DH, pour la voir se volatiliser au bout de trois mois. Elle la retrouvera à Meknès, quelques semaines plus tard, à travailler dans un salon de coiffure. Pour elle, «difficile d’avoir confiance en elles, une fois au Maroc avec un contrat de travail et une carte de séjour, elles cherchent ailleurs des boulots plus rentables, certaines se tournant carrément vers la prostitution.» Mais toutes les expériences ne se ressemblent pas et certaines familles ont réussi l’expérience avec leurs recrues asiatiques. C’est le cas de cet ancien ambassadeur marocain dans un pays du Golfe qui a ramené avec lui, en rentrant au pays, Baty, une Philippine qui avait travaillé chez lui pendant six ans. Avec elle, les choses se sont plutôt bien passées, la dame jouit de tous ses droits comme salariée domestique, et n’envisage pas le moins du monde à repartir chez elle, même pour les vacances.
On leur applique le même traitement qu’aux jeunes bonnes marocaines
Même avec les Sénégalaises, «ça ne passe pas toujours mal», reconnaît Abdou Souley Diop, président de l’ ARSRM, expert-comptable, lui-même fils d’un ex-ambassadeur du Sénégal à Rabat. Pour lui, ce n’est pas parce que Nabou est sénégalaise qu’elle a vécu le calvaire, mais parce que nombre de patrons traitent leurs «bonnes» marocaines de la même manière. «La seule différence, c’est que la jeune Marocaine a une famille qu’elle peut éventuellement faire intervenir, et n’a pas besoin de carte de séjour. La jeune Sénégalaise, en revanche, pour peu qu’elle n’ait pas son titre de séjour en règle, vit une situation intenable car elle est en permanence sous la menace d’une expulsion, et certains patrons en abusent.»
Peut-on mesurer l’ampleur du phénomène ? Il n’y a pas de statistiques concernant le nombre de ces domestiques employées au Maroc. Ni l’ambassade du Sénégal au Maroc ni l’ARSRM n’ont fait d’enquête pour les recenser, la raison d’être de cette dernière, explique son vice-président, Badou Ba, étant de venir en aide à l’ensemble des ressortissants sénégalais en situation difficile au Maroc. Il pourrait, selon lui, y avoir entre 250 et 300 employées de maison, âgées de 20 à 30 ans, entre Casablanca et Rabat. Du côté de la direction de l’emploi, impossible d’avoir la moindre information sur cette catégorie de travailleurs pour la simple raison qu’«il n’existe aucune loi réglementant le secteur. Et l’inspection du travail ne peut franchir le seuil des maisons pour savoir ce qui s’y passe. A fortiori pour les employées de maison étrangères». On sait toutefois qu’une loi sur les employés de maison (qui ne concerne pas uniquement les femmes de ménage mais aussi les jardiniers, les gardiens, etc.) est fin prête au Secrétariat général du gouvernement, mais elle ne mentionne pas le personnel de maison non marocain.
Pourquoi les Sénégalaises choisissent-t-elles de venir travailler au Maroc comme femmes de ménage ? Selon les responsables de l’ARSRM, il y a, bien sûr, la proximité géographique, les relations très anciennes de confiance entre les populations des deux pays, et le souci de ces femmes de se faire un peu d’argent (voir encadré). Et M. Diop de donner l’exemple de cette jeune Sénégalaise séquestrée chez ses patrons marocains mais qui préfère continuer à travailler chez eux pour un salaire mensuel de 700 DH plutôt que de rentrer à Dakar, sachant que cela lui permettra de ramasser un petit pécule.
Comment sont-elles parvenues au Maroc ? Certaines ont été recrutées par le biais d’un réseau, mais Badou Ba ne sait pas exactement comment les employeurs opèrent pour les faire venir puisqu’elles travaillent dans l’informel. Ce dont il est sûr, c’est que ces filles commencent à s’organiser, qu’elles se rencontrent le dimanche pour se concerter quant à leurs «revendications» et se raconter leurs vies.
Elles commencent à se rencontrer le dimanche et à s’organiser
M. Diop parle, lui, de trois catégories de femmes de ménage sénégalaises. Il y a d’abord celles que des étudiants marocains au Sénégal ramènent avec eux quand ils rentrent au pays pour les faire travailler dans leur famille. Autre phénomène : à partir des années 1990, il y a eu des retours de plus en plus importants de la troisième génération de Sénégalais avec un nom marocain, les Boughaleb, les Berrada, les Laraki, les Benjelloun... Il s’agit de quelques grandes familles longtemps installées au Sénégal, qui, en raison de difficultés professionnelles, ou après la retraite, préfèrent revenir au Maroc, ramenant avec elles ces femmes qui avaient longtemps travaillé pour elles. Les Sénégalaises de ce groupe sont, selon M. Diop, le plus souvent embauchées de façon régulière, avec une carte de séjour. Leur relation avec ces familles est forte, elles ont droit à un congé annuel qu’elles vont passer chez elles au Sénégal.
La troisième catégorie se recrute parmi les naufragées de l’immigration clandestine. A court de moyens, elles se mettent à la recherche de travail dans les maisons, et comme il y a une forte demande sur place, nombre de familles les recrutent. Aujourd’hui, des Marocains se mettent eux-mêmes en quête de filles à ramener du Sénégal, et des filières informelles se constituent. Et c’est dans ce dernier groupe qu’il y a souvent «des dérives malsaines», s’indigne Abdou Diop. On exploite la fragilité de ces filles non immatriculées auprès de leur consulat et ne disposant d’aucun titre de séjour. L’association a quotidiennement affaire à des filles en situation de détresse.
Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco