Auteur :
Riquelme10
Maroc/Algérie : La fermeture des frontières fête ses 13 ans
Cette année, la frontière fêtera 13 ans de fermeture
Être Algérien et habiter au Maroc ou Marocain expulsé d’Algérie, on ne s’en sort jamais. On vit avec. Mais comment ? Amale Samie a fait le tour des préjugés, des histoires et des sentiments qui partagent et rapprochent ces frères ennemis.
La finale de la Coupe du monde a connu la plus forte charge émotionnelle de tous les matchs, mais le match Maroc-Algérie, décrit par les journaux comme un "derby", a été un haut moment de passion. C’est qu’il y a un passif, avec nos frères, et l’idéal aurait été qu’il se règle chaque fois sur un terrain de football. D’autant plus que les brouilles et les orages reviennent régulièrement entre l’Algérie et le Maroc. Elles sont alimentées par des stéréotypes qui ont la peau dure. Au Maroc, on dit que les Soussis sont radins, les Fassis couards et les Oujdis, bornés et plus Algériens que Marocains, etc… Chez nos voisins, la tête de turc des Algérois, c’est l’Oranais (proche des frontières de Zouj Bghal) réputé vulgaire et même indécent quand il chante le raï. Il n’y a pas de quoi en faire un drame. Je t’aime, mais je ne tolère pas ta différence, voilà le sentiment complexe qui préside à nos rapports.
Cela prouve au moins qu’Algériens et Marocains constituent un couple tapageur… et vivant. Sinon, ce ne serait qu’indifférence polie. La preuve, pour le petit peuple marocain, "Tounsi" veut dire "péquenot" et à Tunis, "El Merroki" est le Croquemitaine. Avec l’Algérie, c’est tout autre chose. D’abord parce que nous partageons un espace culturel et mental commun, allant de Taza jusqu’à Oran. Ensuite parce que nos deux peuples ont vécu plus protégés des Carthaginois et des influences orientales par la forteresse montagneuse amazighe des Atlas, ce qui n’est pas le cas de la Tunisie. Nos rapports avec les Algériens sont passionnels parce que nous sommes trop semblables, c’est un cliché, mais y a-t-il une autre explication ?
Il y a d’abord les vicissitudes de l’histoire. On peut faire commencer les scènes de ménage en 1844. Les Marocains disent qu’à la funeste bataille d’Isly, "on s’est fait casser la gueule pour l’Émir Abdel Kader", les Algériens disent qu’on "les a laissés tomber". La guerre de libération algérienne commence en 1954, et les Marocains la soutiennent. Mais comme il y avait des factions au sein du FLN, les Marocains se sont retrouvés dans le clan militaire algérien de Houari Boumediene dit "le clan des Marocains", auquel appartient aussi Bouteflika. Il était fatal qu’on se retrouve impliqués dans des querelles où nous n’avions rien à faire. En 1963, l’irréparable est commis. Les frères se sont battus pendant 4 mois. Irréparable, voire. Une bagarre de 4 mois, il y a 40 ans, laisse des traces (70.000 Marocains résidant en Algérie sont expulsés) mais la génération qui a vécu ce drame a passé. Ces mauvais souvenirs expliquent en grande partie la sympathie de l’Algérie officielle pour le Polisario.
En 1975, le Maroc reprenait le Sahara et la brouille politique qui dure aujourd’hui encore a commencé cette année. Depuis, nous avons frôlé la rupture et la guerre à plusieurs reprises. Et ce dossier n’a pas fini d’envenimer les relations politiques entre les deux pays. C’est en 1979 qu’on retrouve le foot, l’Algérie écrase le Maroc par 5 à 1 à Casablanca. Le public, traumatisé, mais sportif, applaudissait les meilleurs. Une défaite salutaire, on lui devra l’équipe nationale de 1986. Voilà pourquoi les Marocains considèrent que l’affront est lavé depuis les 3 à 1 infligés à l’Algérie à Sfax. En 1994, des attentats sont commis à l’hôtel Atlas Asni à Marrakech. Il y a des Franco-Algériens dans le commando terroriste.
Le Maroc impose le visa d’entrée pour les Algériens qui ferment les frontières aussi sec. Et pour finir, lorsque les 6 gendarmes marocains occupent l’îlot Leila, l’Algérie publie un communiqué favorable à l’Espagne qui scandalise tous les Marocains. Plus que lorsque Bouteflika avait dit que le Maroc ne pouvait vendre que de la bimbeloterie et de la drogue, outrances dont écopent aussi les Algériens traités de flemmards, de fuyards, de traîtres et de chômeurs volontaires. Voilà. Le reste appartient aux peuples. Forte identité amazighe, similitude linguistique, contacts permanents depuis la nuit des temps, les deux pays ont même fait partie de l’Empire almohade. Mais si la fraternité est vivace, c’est surtout grâce aux familles mixtes.
L’espoir est dans le camp des jeunes. Nous avons été étonnés que Feriel, Algérienne casablancaise, 17 ans, renvoie tout ce monde dos-à-dos : "Les Marocains manquent de franchise et les Algériens sont bornés". Feriel a suivi la finale de la CAN dans une famille marocaine. Elle est venue avec son drapeau et un maillot de l’équipe algérienne. Elle a pleuré avec ses hôtes à la fin du match. "Il n’y a pas la moindre hésitation pour moi. Je suis pour le Maroc parce que c’est plus mon pays que la Tunisie". Kamal, 20 ans, un jeune homme intelligent et d’ordinaire caustique devient plus sérieux dès qu’on l’interroge sur tout ça. C’est qu’il a obtenu la nationalité marocaine depuis une semaine à peine. Il a le même discours que les autres Algériens sur la tiédeur des rapports avec la Tunisie.
"Avec les Marocains par contre, les rapports sont exacerbés. Malheureusement, j’entends trop souvent dire : 'chez toi, en Algérie, ils mangent même pas de viande, y'a rien à bouffer'… ou encore, 'chez toi, en Algérie, tu poses ton pied sur le tarmac de l’aéroport que t’es égorgé avant d’avoir compris'". C’est dur. Quand on lui fait remarquer que jusqu’en 1997 c’était un peu ça l’Algérie, il répond : "Oui, mais à chaque fois, la suite c’est : 'regarde chez nous, c’est stable, pas comme chez toi'. Chez moi, c’est ici, je me sens plus Marocain, ou plutôt plus Casablancais, qu’Algérien".
Pourquoi Kamal a-t-il pris la nationalité marocaine ? "Je suis né au Maroc, j’y ai vécu toute ma vie. Mais je suis toujours Algérien, c’est quelque chose que je dois cultiver en moi. Malheureusement, avec la fermeture des frontières, on ne peut même plus voir sa famille". Pour un Marocain qui a des attaches avec l’Algérie, il est jubilatoire de rencontrer l’archétype de tous les Algériens dans les blagues marocaines. Il est bougon, entêté et râleur professionnel. Son langage est émaillé de blasphèmes, de jurons et de mots salés, très salés.
L’une des meilleures, c’est celle de l’Algérien qui ne se résout pas à emprunter un cric à un pompiste alors qu’il a un pneu crevé. Ses hésitations le mettent dans une telle colère qu’il prend la courageuse résolution d’aller voir le pompiste, pour lui dire : "Ben, tu sais, ton cric, tu peux te le foutre où je pense !". Samir Benmalek, journaliste à Alger en est témoin (lire ci-contre), les Algériens n’ont pas peur des mots crus. Officiellement, on en arrive parfois à dire dans l’une ou l’autre capitale : "On ne choisit pas ses voisins". Il n’y a pas de phrase plus négative
Riquelme10
Maroc/Algérie : La fermeture des frontières fête ses 13 ans
Cette année, la frontière fêtera 13 ans de fermeture
Être Algérien et habiter au Maroc ou Marocain expulsé d’Algérie, on ne s’en sort jamais. On vit avec. Mais comment ? Amale Samie a fait le tour des préjugés, des histoires et des sentiments qui partagent et rapprochent ces frères ennemis.
La finale de la Coupe du monde a connu la plus forte charge émotionnelle de tous les matchs, mais le match Maroc-Algérie, décrit par les journaux comme un "derby", a été un haut moment de passion. C’est qu’il y a un passif, avec nos frères, et l’idéal aurait été qu’il se règle chaque fois sur un terrain de football. D’autant plus que les brouilles et les orages reviennent régulièrement entre l’Algérie et le Maroc. Elles sont alimentées par des stéréotypes qui ont la peau dure. Au Maroc, on dit que les Soussis sont radins, les Fassis couards et les Oujdis, bornés et plus Algériens que Marocains, etc… Chez nos voisins, la tête de turc des Algérois, c’est l’Oranais (proche des frontières de Zouj Bghal) réputé vulgaire et même indécent quand il chante le raï. Il n’y a pas de quoi en faire un drame. Je t’aime, mais je ne tolère pas ta différence, voilà le sentiment complexe qui préside à nos rapports.
Cela prouve au moins qu’Algériens et Marocains constituent un couple tapageur… et vivant. Sinon, ce ne serait qu’indifférence polie. La preuve, pour le petit peuple marocain, "Tounsi" veut dire "péquenot" et à Tunis, "El Merroki" est le Croquemitaine. Avec l’Algérie, c’est tout autre chose. D’abord parce que nous partageons un espace culturel et mental commun, allant de Taza jusqu’à Oran. Ensuite parce que nos deux peuples ont vécu plus protégés des Carthaginois et des influences orientales par la forteresse montagneuse amazighe des Atlas, ce qui n’est pas le cas de la Tunisie. Nos rapports avec les Algériens sont passionnels parce que nous sommes trop semblables, c’est un cliché, mais y a-t-il une autre explication ?
Il y a d’abord les vicissitudes de l’histoire. On peut faire commencer les scènes de ménage en 1844. Les Marocains disent qu’à la funeste bataille d’Isly, "on s’est fait casser la gueule pour l’Émir Abdel Kader", les Algériens disent qu’on "les a laissés tomber". La guerre de libération algérienne commence en 1954, et les Marocains la soutiennent. Mais comme il y avait des factions au sein du FLN, les Marocains se sont retrouvés dans le clan militaire algérien de Houari Boumediene dit "le clan des Marocains", auquel appartient aussi Bouteflika. Il était fatal qu’on se retrouve impliqués dans des querelles où nous n’avions rien à faire. En 1963, l’irréparable est commis. Les frères se sont battus pendant 4 mois. Irréparable, voire. Une bagarre de 4 mois, il y a 40 ans, laisse des traces (70.000 Marocains résidant en Algérie sont expulsés) mais la génération qui a vécu ce drame a passé. Ces mauvais souvenirs expliquent en grande partie la sympathie de l’Algérie officielle pour le Polisario.
En 1975, le Maroc reprenait le Sahara et la brouille politique qui dure aujourd’hui encore a commencé cette année. Depuis, nous avons frôlé la rupture et la guerre à plusieurs reprises. Et ce dossier n’a pas fini d’envenimer les relations politiques entre les deux pays. C’est en 1979 qu’on retrouve le foot, l’Algérie écrase le Maroc par 5 à 1 à Casablanca. Le public, traumatisé, mais sportif, applaudissait les meilleurs. Une défaite salutaire, on lui devra l’équipe nationale de 1986. Voilà pourquoi les Marocains considèrent que l’affront est lavé depuis les 3 à 1 infligés à l’Algérie à Sfax. En 1994, des attentats sont commis à l’hôtel Atlas Asni à Marrakech. Il y a des Franco-Algériens dans le commando terroriste.
Le Maroc impose le visa d’entrée pour les Algériens qui ferment les frontières aussi sec. Et pour finir, lorsque les 6 gendarmes marocains occupent l’îlot Leila, l’Algérie publie un communiqué favorable à l’Espagne qui scandalise tous les Marocains. Plus que lorsque Bouteflika avait dit que le Maroc ne pouvait vendre que de la bimbeloterie et de la drogue, outrances dont écopent aussi les Algériens traités de flemmards, de fuyards, de traîtres et de chômeurs volontaires. Voilà. Le reste appartient aux peuples. Forte identité amazighe, similitude linguistique, contacts permanents depuis la nuit des temps, les deux pays ont même fait partie de l’Empire almohade. Mais si la fraternité est vivace, c’est surtout grâce aux familles mixtes.
L’espoir est dans le camp des jeunes. Nous avons été étonnés que Feriel, Algérienne casablancaise, 17 ans, renvoie tout ce monde dos-à-dos : "Les Marocains manquent de franchise et les Algériens sont bornés". Feriel a suivi la finale de la CAN dans une famille marocaine. Elle est venue avec son drapeau et un maillot de l’équipe algérienne. Elle a pleuré avec ses hôtes à la fin du match. "Il n’y a pas la moindre hésitation pour moi. Je suis pour le Maroc parce que c’est plus mon pays que la Tunisie". Kamal, 20 ans, un jeune homme intelligent et d’ordinaire caustique devient plus sérieux dès qu’on l’interroge sur tout ça. C’est qu’il a obtenu la nationalité marocaine depuis une semaine à peine. Il a le même discours que les autres Algériens sur la tiédeur des rapports avec la Tunisie.
"Avec les Marocains par contre, les rapports sont exacerbés. Malheureusement, j’entends trop souvent dire : 'chez toi, en Algérie, ils mangent même pas de viande, y'a rien à bouffer'… ou encore, 'chez toi, en Algérie, tu poses ton pied sur le tarmac de l’aéroport que t’es égorgé avant d’avoir compris'". C’est dur. Quand on lui fait remarquer que jusqu’en 1997 c’était un peu ça l’Algérie, il répond : "Oui, mais à chaque fois, la suite c’est : 'regarde chez nous, c’est stable, pas comme chez toi'. Chez moi, c’est ici, je me sens plus Marocain, ou plutôt plus Casablancais, qu’Algérien".
Pourquoi Kamal a-t-il pris la nationalité marocaine ? "Je suis né au Maroc, j’y ai vécu toute ma vie. Mais je suis toujours Algérien, c’est quelque chose que je dois cultiver en moi. Malheureusement, avec la fermeture des frontières, on ne peut même plus voir sa famille". Pour un Marocain qui a des attaches avec l’Algérie, il est jubilatoire de rencontrer l’archétype de tous les Algériens dans les blagues marocaines. Il est bougon, entêté et râleur professionnel. Son langage est émaillé de blasphèmes, de jurons et de mots salés, très salés.
L’une des meilleures, c’est celle de l’Algérien qui ne se résout pas à emprunter un cric à un pompiste alors qu’il a un pneu crevé. Ses hésitations le mettent dans une telle colère qu’il prend la courageuse résolution d’aller voir le pompiste, pour lui dire : "Ben, tu sais, ton cric, tu peux te le foutre où je pense !". Samir Benmalek, journaliste à Alger en est témoin (lire ci-contre), les Algériens n’ont pas peur des mots crus. Officiellement, on en arrive parfois à dire dans l’une ou l’autre capitale : "On ne choisit pas ses voisins". Il n’y a pas de phrase plus négative