Dans le temps, pour aller d’Oran à Tlemcen, on traversait de pittoresques villages aux toitures rouges. La route serpentait au milieu d’opulents vergers et de généreux vignobles donnant les meilleurs crus de l’Ouest. Cependant, ce matin, on ne passera pas par l’ancienne voie ! Une nouvelle autoroute contourne la grande Sebkha d’Oran par le Nord, s’enfonçant dans une terre clémente mais qui n’arrive toujours pas à retrouver sa fertilité d’antan.
D’ailleurs, beaucoup de citoyens de la région disent que l’agriculture a nettement dépéri depuis le départ de la main-d’œuvre marocaine, chassée en 1975 par le gouvernement algérien, à la suite de la marche verte et de l’occupation du Sahara occidental par le Maroc. En fait, beaucoup de ces travailleurs, ainsi que, parfois, leurs parents, étaient nés ici. Bien que n’ayant pas obtenu la nationalité algérienne, parce que c’était difficile de l’avoir ou tout simplement parce qu’ils n’avaient pas pensé à la demander, ces travailleurs, ainsi que d’autres, propriétaires, commerçants, etc. se considéraient comme des Algériens d’origine marocaine. La majorité d’entre eux n’avait jamais visité le royaume chérifien. Ils étaient parfaitement intégrés à la société algérienne et n’avaient jamais pensé qu’il viendrait un jour où on les chasserait de ce pays qu’ils considéraient comme le leur. Jusqu’à aujourd’hui, beaucoup de ces exilés continuent de porter, dans leur chair, les traces de ce terrible moment où ils ont été arrachés, par la force, à leur terre natale, quittant leurs maisons, leurs quartiers, leurs écoles et ces villes qu’ils ont tant aimées. Si je parle de cet épisode douloureux, c’est parce que, en décembre 1975, je me trouvais du côté de Maghnia et, alors que personne ne me demandait de le faire, j’avais commis un papier odieux sur ces départs tragiques, en insistant sur le fait que ces familles voyageaient dans des…cars climatisés ! Ce qui ne change rien à mes convictions de l’époque. Le socialisme est le seul système en mesure de protéger les plus démunis et d’offrir leur revanche aux damnés de la terre. Les martyrs ne sont pas morts pour que les uns se pavanent dans un luxe outrancier alors que la majorité ploie sous le poids écrasant de la pauvreté et de l’exploitation ! Aujourd’hui même, je continue de croire que les options de l’époque auraient pu nous mener à la construction d’une nation puissante et prospère, avec un niveau de vie qui n’aurait rien à voir avec la réalité amère de l’Algérien de 2008. Mais, la chasse aux frères marocains restera une tache noire dans l’œuvre de Boumediene. J’ai eu récemment l’occasion de demander pardon à ces exilés et ils ont été très nombreux à me répondre en me disant qu’ils m’avaient disculpé et que la meilleure manière de reconstruire l’avenir sur des bases nouvelles était de reconnaître ces erreurs et de permettre à ces familles de retrouver leurs villes et leurs familles divisées par la tragédie (*). Je ne sais pas ce qu’en pensent aujourd’hui les responsables algériens, mais il me semble improbable qu’ils s’engagent dans cette voie qui est celle de la lucidité et de l’espoir, la meilleure manière de se réconcilier avec ces enfants d’Algérie auxquels on a volé passé et convictions. Beaucoup d’entre eux avaient tant donné à la lutte de Libération nationale ! Bien sûr, il s’en trouvera toujours des lecteurs qui me répondront que les autorités marocaines ont parfois fait pire avec les Algériens. Mais, dans le cas que j’ai cité, il s’agissait de Marocains sur le papier seulement. C’étaient aussi des Algériens de cœur et d’adoption et on n’avait pas le droit de les chasser d’une manière aussi brutale (et même s’il s’agissait de Marocains venus du Maroc, la chose ne serait pas justifiée). D’autant plus qu’à l’époque, face à une monarchie qui appauvrissait et terrorisait son peuple, nous levions l’étendard du Maghreb des peuples, de la Révolution et de la promotion de l’homme ! Ces idées qui se bousculaient dans ma tête, m’avaient fait oublier le charme du voyage. Dommage, car après Aïn Témouchent, que nous laissons à notre droite, le climat se dégrade rapidement et aux gouttelettes éparses de tout à l’heure, succèdent brume et pluies violentes. Nous montons vers le plateau de Tlemcen. Revoilà Bensekrane, Remchi et tant d’autres localités que nous avions sillonnées jadis en long et en large, été comme hiver, et où, à chaque fois, nous avions fait le plein de connaissances. Rencontres fraternelles autour d’un plateau où trônait, impérial, le couscous au mouton suivi d’un bon verre de ce thé savoureux que l’on sert à la marocaine, c’est-à-dire très léger mais fortement aromatisé. Nous approchons de Tlemcen et je constate, avec plaisir, les grands changements apportés à la région. Un aérodrome moderne a vu le jour avec une piste qui peut recevoir les gros avions, un pôle universitaire de grande importance, à portée régionale, a été érigé dans la commune de Mansourah et les nouveaux quartiers poussent comme des champignons. Le réseau routier extra-muros et intra-muros est impressionnant. Sur le plan industriel, il faut rappeler que Tlemcen était promue dans les années soixante-dix au rang de capitale de l’électronique. Son mégaprojet de fabrication de téléphones et d’appareils assimilés a longtemps donné à la région les allures de ruche fourmillante de vie. Et puisque, de nos jours, nous sommes submergés de gadgets bricolés en Chine, ces appareils téléphoniques, entre autres, qui se détériorent au bout de quelques mois, rappelons à tous les oublieux la qualité et la solidité de ces téléphones tlemcéniens conseillés par tous les connaisseurs (le fameux Satai, notamment). La capitale des Zyanides était aussi connue pour son immense usine de soierie naturelle, projet faisant partie d’un vaste plan agroindustriel intégré qui avait permis d’introduire, pour la première fois en Algérie, la culture du ver à soie à grande échelle ! Cette industrie publique et performante, œuvre de cadres et d’ouvriers aux retraites dérisoires aujourd’hui, était orientée vers la satisfaction des besoins locaux avec des objectifs clairs pour l’exportation. Cette option du «compter pour soi» a été brutalement stoppée en 1987 par la politique de la restructuration, avant d’être enterrée par l’ultralibéralisme. Les solutions de partenariat sont rarement profitables au pays. L’entreprise suédoise qui devait prendre en charge le complexe trouvait que l’Algérie «n’était pas fiable» et obligeait nos cadres à se déplacer en Tunisie pour les réunions du conseil d’administration. Pourquoi s’entêter à privatiser ou à brader nos grandes unités industrielles bien portantes ? La question mérite d’être posée à M. Temmar dont le sourire s’éclaire à chaque fois que les investisseurs font des promesses. Que vont-ils nous apporter concrètement ? Faire travailler les Algériens ? Ce n’est pas si sûr. Les Chinois pullulent et avec ces investisseurs du Golfe qui adorent l’exploitation des Indiens et des Pakistanais, la situation du marché du travail va empirer. Dans les monarchies du pétrodollar, et notamment aux Emirats, il n’y a aucun code de travail, ni droit syndical, ni salaire minimum, ni temps de travail légal, ni protection sociale, etc. Voilà ce qui fait plaisir à M. Temmar et à ses invités ! Pourtant, ces Algériens qu’on traite aujourd’hui de «bras cassés» avaient démontré leur formidable capacité au travail, leur rigueur et leur discipline à l’époque où ils étaient maîtres de l’outil de production. Et puisque nous sommes à Tlemcen, rappelons à ceux qui nous insultent du haut du pouvoir qu’une entreprise étrangère, la «Standart Electrica» avait calculé que le temps de fabrication du même appareil téléphonique était de 23 minutes en Espagne, alors qu’il n’était que de 17 minutes à Tlemcen ! Les produits de pacotille qui inondent nos marchés ne feront jamais oublier aux Algériens que le téléviseur ENIE de Bel-Abbès reste sans égal et que les cuisinières de l’ENIEM sont les plus solides ! Les moissonneuses Claas de Bel- Abbès sont les préférées des agriculteurs, ainsi que les tracteurs Deutz de Constantine ! Cette politique de bradage et de fermetures en série de nos usines, a porté un coup décisif aux ambitions légitimes de la Révolution algérienne dans le domaine industriel, après avoir perverti le rôle stratégique de l’agriculture, transformant les champs fertiles de jadis en terrains où règnent la pastèque et les cultures de seconde zone. Et si la facture alimentaire augmente vertigineusement d’année en année, ce n’est certainement pas la faute à Boumediene qui est mort voilà près de trente années !
(A suivre)
Farah journaliste (soir d'Algerie)
(*) : On raconte qu’un jeune homme, de retour du service national, n’avait pas retrouvé les siens… Personne, parmi les voisins, n’avait osé lui dire que ses parents avaient été chassés de leur domicile et emmenés de force au Maroc. Je n’oublierai jamais aussi le départ précipité de notre ami Houari, chef de la rubrique culturelle d’ El Chaâb. Il a été expulsé au mois de décembre 1975, comme tous les Marocains. C’était un opposant au roi et un socialiste convaincu. On ne sait pas ce qui lui est arrivé là-bas. J’ai honte pour mon pays et je crois qu’il viendra le jour où nous devrions rendre compte à l’histoire. Je pense même qu'il est temps de rouvrir ce dossier douloureux.
merci Lurchar 21
D’ailleurs, beaucoup de citoyens de la région disent que l’agriculture a nettement dépéri depuis le départ de la main-d’œuvre marocaine, chassée en 1975 par le gouvernement algérien, à la suite de la marche verte et de l’occupation du Sahara occidental par le Maroc. En fait, beaucoup de ces travailleurs, ainsi que, parfois, leurs parents, étaient nés ici. Bien que n’ayant pas obtenu la nationalité algérienne, parce que c’était difficile de l’avoir ou tout simplement parce qu’ils n’avaient pas pensé à la demander, ces travailleurs, ainsi que d’autres, propriétaires, commerçants, etc. se considéraient comme des Algériens d’origine marocaine. La majorité d’entre eux n’avait jamais visité le royaume chérifien. Ils étaient parfaitement intégrés à la société algérienne et n’avaient jamais pensé qu’il viendrait un jour où on les chasserait de ce pays qu’ils considéraient comme le leur. Jusqu’à aujourd’hui, beaucoup de ces exilés continuent de porter, dans leur chair, les traces de ce terrible moment où ils ont été arrachés, par la force, à leur terre natale, quittant leurs maisons, leurs quartiers, leurs écoles et ces villes qu’ils ont tant aimées. Si je parle de cet épisode douloureux, c’est parce que, en décembre 1975, je me trouvais du côté de Maghnia et, alors que personne ne me demandait de le faire, j’avais commis un papier odieux sur ces départs tragiques, en insistant sur le fait que ces familles voyageaient dans des…cars climatisés ! Ce qui ne change rien à mes convictions de l’époque. Le socialisme est le seul système en mesure de protéger les plus démunis et d’offrir leur revanche aux damnés de la terre. Les martyrs ne sont pas morts pour que les uns se pavanent dans un luxe outrancier alors que la majorité ploie sous le poids écrasant de la pauvreté et de l’exploitation ! Aujourd’hui même, je continue de croire que les options de l’époque auraient pu nous mener à la construction d’une nation puissante et prospère, avec un niveau de vie qui n’aurait rien à voir avec la réalité amère de l’Algérien de 2008. Mais, la chasse aux frères marocains restera une tache noire dans l’œuvre de Boumediene. J’ai eu récemment l’occasion de demander pardon à ces exilés et ils ont été très nombreux à me répondre en me disant qu’ils m’avaient disculpé et que la meilleure manière de reconstruire l’avenir sur des bases nouvelles était de reconnaître ces erreurs et de permettre à ces familles de retrouver leurs villes et leurs familles divisées par la tragédie (*). Je ne sais pas ce qu’en pensent aujourd’hui les responsables algériens, mais il me semble improbable qu’ils s’engagent dans cette voie qui est celle de la lucidité et de l’espoir, la meilleure manière de se réconcilier avec ces enfants d’Algérie auxquels on a volé passé et convictions. Beaucoup d’entre eux avaient tant donné à la lutte de Libération nationale ! Bien sûr, il s’en trouvera toujours des lecteurs qui me répondront que les autorités marocaines ont parfois fait pire avec les Algériens. Mais, dans le cas que j’ai cité, il s’agissait de Marocains sur le papier seulement. C’étaient aussi des Algériens de cœur et d’adoption et on n’avait pas le droit de les chasser d’une manière aussi brutale (et même s’il s’agissait de Marocains venus du Maroc, la chose ne serait pas justifiée). D’autant plus qu’à l’époque, face à une monarchie qui appauvrissait et terrorisait son peuple, nous levions l’étendard du Maghreb des peuples, de la Révolution et de la promotion de l’homme ! Ces idées qui se bousculaient dans ma tête, m’avaient fait oublier le charme du voyage. Dommage, car après Aïn Témouchent, que nous laissons à notre droite, le climat se dégrade rapidement et aux gouttelettes éparses de tout à l’heure, succèdent brume et pluies violentes. Nous montons vers le plateau de Tlemcen. Revoilà Bensekrane, Remchi et tant d’autres localités que nous avions sillonnées jadis en long et en large, été comme hiver, et où, à chaque fois, nous avions fait le plein de connaissances. Rencontres fraternelles autour d’un plateau où trônait, impérial, le couscous au mouton suivi d’un bon verre de ce thé savoureux que l’on sert à la marocaine, c’est-à-dire très léger mais fortement aromatisé. Nous approchons de Tlemcen et je constate, avec plaisir, les grands changements apportés à la région. Un aérodrome moderne a vu le jour avec une piste qui peut recevoir les gros avions, un pôle universitaire de grande importance, à portée régionale, a été érigé dans la commune de Mansourah et les nouveaux quartiers poussent comme des champignons. Le réseau routier extra-muros et intra-muros est impressionnant. Sur le plan industriel, il faut rappeler que Tlemcen était promue dans les années soixante-dix au rang de capitale de l’électronique. Son mégaprojet de fabrication de téléphones et d’appareils assimilés a longtemps donné à la région les allures de ruche fourmillante de vie. Et puisque, de nos jours, nous sommes submergés de gadgets bricolés en Chine, ces appareils téléphoniques, entre autres, qui se détériorent au bout de quelques mois, rappelons à tous les oublieux la qualité et la solidité de ces téléphones tlemcéniens conseillés par tous les connaisseurs (le fameux Satai, notamment). La capitale des Zyanides était aussi connue pour son immense usine de soierie naturelle, projet faisant partie d’un vaste plan agroindustriel intégré qui avait permis d’introduire, pour la première fois en Algérie, la culture du ver à soie à grande échelle ! Cette industrie publique et performante, œuvre de cadres et d’ouvriers aux retraites dérisoires aujourd’hui, était orientée vers la satisfaction des besoins locaux avec des objectifs clairs pour l’exportation. Cette option du «compter pour soi» a été brutalement stoppée en 1987 par la politique de la restructuration, avant d’être enterrée par l’ultralibéralisme. Les solutions de partenariat sont rarement profitables au pays. L’entreprise suédoise qui devait prendre en charge le complexe trouvait que l’Algérie «n’était pas fiable» et obligeait nos cadres à se déplacer en Tunisie pour les réunions du conseil d’administration. Pourquoi s’entêter à privatiser ou à brader nos grandes unités industrielles bien portantes ? La question mérite d’être posée à M. Temmar dont le sourire s’éclaire à chaque fois que les investisseurs font des promesses. Que vont-ils nous apporter concrètement ? Faire travailler les Algériens ? Ce n’est pas si sûr. Les Chinois pullulent et avec ces investisseurs du Golfe qui adorent l’exploitation des Indiens et des Pakistanais, la situation du marché du travail va empirer. Dans les monarchies du pétrodollar, et notamment aux Emirats, il n’y a aucun code de travail, ni droit syndical, ni salaire minimum, ni temps de travail légal, ni protection sociale, etc. Voilà ce qui fait plaisir à M. Temmar et à ses invités ! Pourtant, ces Algériens qu’on traite aujourd’hui de «bras cassés» avaient démontré leur formidable capacité au travail, leur rigueur et leur discipline à l’époque où ils étaient maîtres de l’outil de production. Et puisque nous sommes à Tlemcen, rappelons à ceux qui nous insultent du haut du pouvoir qu’une entreprise étrangère, la «Standart Electrica» avait calculé que le temps de fabrication du même appareil téléphonique était de 23 minutes en Espagne, alors qu’il n’était que de 17 minutes à Tlemcen ! Les produits de pacotille qui inondent nos marchés ne feront jamais oublier aux Algériens que le téléviseur ENIE de Bel-Abbès reste sans égal et que les cuisinières de l’ENIEM sont les plus solides ! Les moissonneuses Claas de Bel- Abbès sont les préférées des agriculteurs, ainsi que les tracteurs Deutz de Constantine ! Cette politique de bradage et de fermetures en série de nos usines, a porté un coup décisif aux ambitions légitimes de la Révolution algérienne dans le domaine industriel, après avoir perverti le rôle stratégique de l’agriculture, transformant les champs fertiles de jadis en terrains où règnent la pastèque et les cultures de seconde zone. Et si la facture alimentaire augmente vertigineusement d’année en année, ce n’est certainement pas la faute à Boumediene qui est mort voilà près de trente années !
(A suivre)
Farah journaliste (soir d'Algerie)
(*) : On raconte qu’un jeune homme, de retour du service national, n’avait pas retrouvé les siens… Personne, parmi les voisins, n’avait osé lui dire que ses parents avaient été chassés de leur domicile et emmenés de force au Maroc. Je n’oublierai jamais aussi le départ précipité de notre ami Houari, chef de la rubrique culturelle d’ El Chaâb. Il a été expulsé au mois de décembre 1975, comme tous les Marocains. C’était un opposant au roi et un socialiste convaincu. On ne sait pas ce qui lui est arrivé là-bas. J’ai honte pour mon pays et je crois qu’il viendra le jour où nous devrions rendre compte à l’histoire. Je pense même qu'il est temps de rouvrir ce dossier douloureux.
merci Lurchar 21
Dernière édition par Admin le Mar 8 Juil - 13:00, édité 1 fois