Driss Basri. La seconde mort de Hassan II
(DR)
Driss Basri aurait-il existé sans Hassan II ? Certainement, mais sa carrière aurait sans doute ressemblé à celles de tant de policiers anonymes. Pendant plus de 30 ans, Hassan II a modelé un super ministre de l'Intérieur et l'a (sur)utilisé pour asseoir son régime. Les deux hommes se sont aimés, menti, manipulés, mais ont-ils été amis, intimes ou simplement souverain et sujet ? Retour sur une relation complexe, intense et viscérale.
Détrompons-nous : l'histoire extraordinaire de Hassan II et de son plus fidèle serviteur a commencé tôt, très tôt. “En Avril 1961, quelques
semaines après son intronisation, Hassan II a reçu Mohamed Oufkir qui lui a présenté la première promotion de ses commissaires. Cette dernière portait d'ailleurs le nom de Hassan II, et le jeune Driss Basri, 23 ans à l'époque, en était le major. C'était déjà un signe”, se remémore cet homme qui a bien connu le Basri première mouture, celui qui a fait ses classes au sein de la Sûreté nationale. L'époque, le début des années 1960, est celle où le Maroc, fraîchement indépendant, prenait nettement les traits d'un Etat policier, sous la conduite d'un Hassan II craignant pour son trône. Une aubaine pour le jeune commissaire originaire de la Chaouia, que l'un de ses anciens maîtres d'école à Settat qualifie “d'élève modèle, studieux, intelligent, mais pas plus doué que la moyenne”. Driss Basri voulait en découdre avec l'opposition, et il n'allait pas tarder à être servi. En 1963, la police traque les instigateurs d'un complot en préparation contre le monarque. Plusieurs personnes sont alors recherchées, essentiellement des cadres de l'UNFP, le parti de Mehdi Ben Barka. “Un jour, la police arrête un individu à Rabat et l'emmène au poste. Driss Basri, alors commissaire des Renseignements Généraux, était de garde. Il reconnaît immédiatement l'inconnu qu'on vient de lui présenter : Mohamed Fqih Basri, le chef de file supposé du complot !”.
Driss Basri ne rate pas l’opportunité. Il “monte” voir celui que l'on appelle alors le patron, Mohamed Oufkir, directeur de la Sûreté nationale. L'arrestation de Fqih Basri portera ainsi, pour toujours, la signature - quelque peu accidentelle - du jeune commissaire. Celui-ci se fait un nom, et se rapproche d'Oufkir avec lequel le contact est désormais direct. Et comme il a eu, dans la foulée, la bonne idée d'épouser la nièce de Haddaoui, bras droit d'Oufkir, plus rien ne semble pouvoir l'arrêter dans son ascension vers les sommets.
Promu numéro 1 des RG à Rabat, Basri rédige des rapports de synthèse à tour de bras pour Oufkir, qui les remet à son tour au roi Hassan II, que l'on sait friand de ce genre de lecture. Le commissaire scrute à longueur de journée toute l'activité politico-syndicale de la capitale, voire du royaume. Il prend des épaules. En plus, comme si une bonne étoile veillait sur sa destinée, la chance lui repasse les plats quand, au début des années 1970, il va chercher le “patron” pour lui remettre un énième rapport de synthèse. “Oufkir était en conclave avec des officiers de l'armée (ndlr : nous sommes alors à la veille des deux coups d’Etat militaires qui ont failli renverser Hassan II), et n'avait pas envie de recevoir Basri”, révèle notre source. Résultat : Oufkir éconduit poliment Basri, qu'il invite à contacter directement le Palais. “Le général, qui a pris le temps de prévenir le roi de l'arrivée du jeune commissaire, a rendu un service inestimable à Basri”. On devine la suite. Le commissaire réalise son rêve secret : rencontrer directement Hassan II. Il lui remet les précieux documents en prenant soin de lui rappeler en substance : “Majesté, les rapports confidentiels sont de moi !”
Et voilà commen, après avoir séduit successivement Oufkir et Haddaoui, Basri tape dans l'œil du maître du pays, Hassan II, au cœur d'une période trouble où les ennemis de la monarchie sont à chercher aussi bien dans les rangs de l'opposition que parmi les gradés de l'armée ou les hommes du sérail.
Ne dites pas “Al Malik”, dites “Sidna” !
Basri n'est pas seulement un opportuniste plus rusé que la moyenne. C'est aussi un grand travailleur, capable d'adopter les réflexes d'un policier avisé. Le jour du putsch de Skhirat, en 1971, il a ainsi l'idée, et alors que l'issue des évènements (entre rétablissement de la monarchie et victoire des putschistes) est encore incertaine, de saboter les émetteurs de la RTM, occupée par les insurgés. Personne n'est surpris quand, au lendemain de la tentative de putsch, Hassan II bat le rappel du jeune commissaire et choisit de le reverser dans une activité politique. Basri intègre ainsi le ministère de l'Intérieur, d'abord en tant que directeur des affaires politiques, ensuite en tant que chef de cabinet du ministre, puis secrétaire d'Etat, pour finir ministre de l'Intérieur en 1979. “Basri s'est comporté en ministre de l'Intérieur avant de l'être”, résume notre source. C'est d'autant plus vrai que, en parallèle à sa mission à l'Intérieur, Hassan II, sans doute en souvenir des rapports méticuleux de l'ancien commissaire des RG, choisit de remettre à Basri les clés de la DST (Direction de la surveillance du territoire) dès sa création en 1973.
Driss Basri traverse la décennie des années 1970 sur un tapis volant. Il est partout, et d'abord à côté de son patron, le seul : son roi. La proximité entre les deux hommes est telle qu'il n'était pas rare de voir Hassan II se retourner, au moment d'une séance de photos de groupe, pour demander : “Il est où, Basri ?”.
Si Driss, comme on commence à l'appeler, multiplie les preuves de sa déférence. “à la maison, il interdisait à toute la famille de prononcer le mot Malik (roi). Il fallait dire Sidna, ou Al Malik Nassarahou Allah (le roi, Dieu le glorifie). Toute autre formule était sévèrement réprimandée”. Le ministre pousse le luxe jusqu'à se vanter auprès de son entourage d'être “parmi les très rares à embrasser la main de Sidna avant de se retirer à reculons, sans jamais lui tourner le dos”. Difficile de douter de la sincérité du bonhomme, quand on sait que, dès le concours d'entrée à la police, il avait décroché des notes phénoménales dans la matière pompeusement intitulée “Fidélité au régime”.
Plus royaliste que le roi, Basri reçoit, un jour, la visite inopinée de Hassan II dans sa villa de la route des Zaërs à Rabat. “Il était trois heures du matin. Basri, incrédule, mal réveillé, a failli trébucher en descendant les marches. Il n'en croyait pas ses yeux quand il a retrouvé, assis dans un fauteuil dans l'un des salons, Hassan II. Depuis ce jour, Basri a décrété que ce fauteuil devait être ‘scellé’ et entouré d'un cordon de sécurité. Plus personne n'a jamais pu s’y installer. Interdit !”.
Le ministre a sacralisé le fauteuil du roi, mais aussi ses mots, ses gestes. Et ses opinions. “Un jour, Basri a reçu un diplomate marocain pour le féliciter de son travail. Quelques minutes plus tard, à l'issue d'une conversation téléphonique avec Hassan II, il est revenu vers le diplomate pour le blâmer devant tout le monde, sans autre forme d'explication. Tout le monde a compris que ce n'était pas Basri qui parlait, mais le roi”. La réalité du Maroc ressemble bien à une caricature : quand Hassan II aime quelque chose, Basri aussi et, par ricochet, le pays entier ! “Il suffisait de ne pas aimer le golf pour passer, ou presque, pour un opposant de Sa Majesté !”, plaisante à peine un ancien de l'UNFP.
Ça ne plaira pas à Sa Majesté !
Jusqu'au début des années 1980, Driss Basri n'a pas vraiment le temps de gérer ses propres affaires, partagé entre son volume de travail impressionnant et sa passion pour Hassan II. “Il pensait en permanence à son roi. Il pouvait prendre un objet, ou prononcer une phrase, et dire après coup : ça, ça ne plaira pas à Sidna !”. De son côté et même si, depuis la deuxième tentative de coup d'Etat de 1972, Hassan II a éclaté ses services de renseignements et multiplié le nombre de ses collaborateurs de façon à tout contrôler, il a réussi à faire de Basri, qui avait toujours ses dossiers sous le bras, son serviteur le plus sollicité. “Quand Basri était chez lui, Hassan II pouvait parfaitement passer le récupérer et l'emmener pour une partie de golf ou une simple discussion en voiture”. La proximité de Basri était si envahissante que l'un des conseillers de Hassan II s'en est, un jour, ouvert au roi. “Majesté, remarqua-t-il avec beaucoup de précaution, la logistique de vos déplacements à Marrakech est parfois alourdie par vos fréquentes escales à Settat. Sont-elles toujours nécessaires ?”. Hassan II, qui a compris le sens de la question, eut cette réponse : “Pourquoi, vous êtes vous aussi jaloux de Si Driss ?”.
Le roi fait confiance à “son” Si Driss. Il l'aime bien et (parfois) il le démontre. “Un jour, Hassan II est arrivé inopinément, pour le plaisir, dans l'une des résidences de Basri, à Benslimane. Il savait que sa famille était là, mais pas lui. C'était la veille du ramadan et le roi a dit, en s'adressant à la famille, qui était plongée dans la préparation des petits gâteaux : et moi, alors, je n'ai pas droit à ma petite part ?”.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Driss Basri n'a jamais été l'ami de Hassan II. “Il lui faisait confiance et l'estimait, parfois même, dans ses moments de détente, il s'amusait de sa présence. Mais il ne l'a jamais considéré comme un ami, privilège qu'il accordait à d'autres parmi ses collaborateurs (les Guédira, Driss Slaoui, etc.)”. Question de pedigree modeste (le père Basri était mokhazni et gardien de prison) ou, plus simplement, de feeling, de “goût” ? Nul ne le sait. “Un jour, Hassan II a eu, à l'adresse de Basri, cette phrase lourde de sens : un flic restera toujours un flic !”. Le flic Basri, en l'occurrence, a gravi tous les échelons, au point de devenir le numéro deux du régime. Mais cela ne lui suffisait pas… “Au fond de lui, il aurait aimé être premier ministre, ne serait-ce que pour un jour, même si son pouvoir aurait été probablement moindre”. Parce que Si Driss, tout puissant qu'il était, n'a jamais été qu'un ministre de l'Intérieur, qui plus est, dans un pays policier. Et il est probable que la primature aurait représenté, à ses yeux, un stade de reconnaissance suprême.
Sahara, mon amour !
Rétrospectivement, c'est bien à la mort d’Ahmed Dlimi, en 1983, que Basri a franchi le dernier jalon qui le séparait encore du maître : “Il n'avait plus de compte à rendre à personne, sinon à Hassan II, qu'il idolâtrait. Son heure était enfin venue”. L'ancien policier hérite alors définitivement d'un dossier aussi lourd qu'épineux : le Sahara. Hassan II mise, à l'époque et devant l'enlisement du conflit armé, sur la récupération politique et sociale des populations de la zone Sud. Avec Basri aux manettes, il a trouvé son homme. “Depuis le début des années 70, Driss Basri a gardé un œil sur ce qui se tramait au Sahara. Grâce à la DST, il a placé ses éléments partout et disposé, rapidement, de rapports complets sur les notables et les activistes de la région. C'est en partie ce qui lui a permis d'ouvrir le bal des négociations avec le Polisario en 1982, à Lisbonne”. Le puissant ministre se tue à la tâche et, exercice classique, alimente le monarque en rapports politiques exhaustifs et en potins sahraouis croustillants.
(DR)
Driss Basri aurait-il existé sans Hassan II ? Certainement, mais sa carrière aurait sans doute ressemblé à celles de tant de policiers anonymes. Pendant plus de 30 ans, Hassan II a modelé un super ministre de l'Intérieur et l'a (sur)utilisé pour asseoir son régime. Les deux hommes se sont aimés, menti, manipulés, mais ont-ils été amis, intimes ou simplement souverain et sujet ? Retour sur une relation complexe, intense et viscérale.
Détrompons-nous : l'histoire extraordinaire de Hassan II et de son plus fidèle serviteur a commencé tôt, très tôt. “En Avril 1961, quelques
semaines après son intronisation, Hassan II a reçu Mohamed Oufkir qui lui a présenté la première promotion de ses commissaires. Cette dernière portait d'ailleurs le nom de Hassan II, et le jeune Driss Basri, 23 ans à l'époque, en était le major. C'était déjà un signe”, se remémore cet homme qui a bien connu le Basri première mouture, celui qui a fait ses classes au sein de la Sûreté nationale. L'époque, le début des années 1960, est celle où le Maroc, fraîchement indépendant, prenait nettement les traits d'un Etat policier, sous la conduite d'un Hassan II craignant pour son trône. Une aubaine pour le jeune commissaire originaire de la Chaouia, que l'un de ses anciens maîtres d'école à Settat qualifie “d'élève modèle, studieux, intelligent, mais pas plus doué que la moyenne”. Driss Basri voulait en découdre avec l'opposition, et il n'allait pas tarder à être servi. En 1963, la police traque les instigateurs d'un complot en préparation contre le monarque. Plusieurs personnes sont alors recherchées, essentiellement des cadres de l'UNFP, le parti de Mehdi Ben Barka. “Un jour, la police arrête un individu à Rabat et l'emmène au poste. Driss Basri, alors commissaire des Renseignements Généraux, était de garde. Il reconnaît immédiatement l'inconnu qu'on vient de lui présenter : Mohamed Fqih Basri, le chef de file supposé du complot !”.
Driss Basri ne rate pas l’opportunité. Il “monte” voir celui que l'on appelle alors le patron, Mohamed Oufkir, directeur de la Sûreté nationale. L'arrestation de Fqih Basri portera ainsi, pour toujours, la signature - quelque peu accidentelle - du jeune commissaire. Celui-ci se fait un nom, et se rapproche d'Oufkir avec lequel le contact est désormais direct. Et comme il a eu, dans la foulée, la bonne idée d'épouser la nièce de Haddaoui, bras droit d'Oufkir, plus rien ne semble pouvoir l'arrêter dans son ascension vers les sommets.
Promu numéro 1 des RG à Rabat, Basri rédige des rapports de synthèse à tour de bras pour Oufkir, qui les remet à son tour au roi Hassan II, que l'on sait friand de ce genre de lecture. Le commissaire scrute à longueur de journée toute l'activité politico-syndicale de la capitale, voire du royaume. Il prend des épaules. En plus, comme si une bonne étoile veillait sur sa destinée, la chance lui repasse les plats quand, au début des années 1970, il va chercher le “patron” pour lui remettre un énième rapport de synthèse. “Oufkir était en conclave avec des officiers de l'armée (ndlr : nous sommes alors à la veille des deux coups d’Etat militaires qui ont failli renverser Hassan II), et n'avait pas envie de recevoir Basri”, révèle notre source. Résultat : Oufkir éconduit poliment Basri, qu'il invite à contacter directement le Palais. “Le général, qui a pris le temps de prévenir le roi de l'arrivée du jeune commissaire, a rendu un service inestimable à Basri”. On devine la suite. Le commissaire réalise son rêve secret : rencontrer directement Hassan II. Il lui remet les précieux documents en prenant soin de lui rappeler en substance : “Majesté, les rapports confidentiels sont de moi !”
Et voilà commen, après avoir séduit successivement Oufkir et Haddaoui, Basri tape dans l'œil du maître du pays, Hassan II, au cœur d'une période trouble où les ennemis de la monarchie sont à chercher aussi bien dans les rangs de l'opposition que parmi les gradés de l'armée ou les hommes du sérail.
Ne dites pas “Al Malik”, dites “Sidna” !
Basri n'est pas seulement un opportuniste plus rusé que la moyenne. C'est aussi un grand travailleur, capable d'adopter les réflexes d'un policier avisé. Le jour du putsch de Skhirat, en 1971, il a ainsi l'idée, et alors que l'issue des évènements (entre rétablissement de la monarchie et victoire des putschistes) est encore incertaine, de saboter les émetteurs de la RTM, occupée par les insurgés. Personne n'est surpris quand, au lendemain de la tentative de putsch, Hassan II bat le rappel du jeune commissaire et choisit de le reverser dans une activité politique. Basri intègre ainsi le ministère de l'Intérieur, d'abord en tant que directeur des affaires politiques, ensuite en tant que chef de cabinet du ministre, puis secrétaire d'Etat, pour finir ministre de l'Intérieur en 1979. “Basri s'est comporté en ministre de l'Intérieur avant de l'être”, résume notre source. C'est d'autant plus vrai que, en parallèle à sa mission à l'Intérieur, Hassan II, sans doute en souvenir des rapports méticuleux de l'ancien commissaire des RG, choisit de remettre à Basri les clés de la DST (Direction de la surveillance du territoire) dès sa création en 1973.
Driss Basri traverse la décennie des années 1970 sur un tapis volant. Il est partout, et d'abord à côté de son patron, le seul : son roi. La proximité entre les deux hommes est telle qu'il n'était pas rare de voir Hassan II se retourner, au moment d'une séance de photos de groupe, pour demander : “Il est où, Basri ?”.
Si Driss, comme on commence à l'appeler, multiplie les preuves de sa déférence. “à la maison, il interdisait à toute la famille de prononcer le mot Malik (roi). Il fallait dire Sidna, ou Al Malik Nassarahou Allah (le roi, Dieu le glorifie). Toute autre formule était sévèrement réprimandée”. Le ministre pousse le luxe jusqu'à se vanter auprès de son entourage d'être “parmi les très rares à embrasser la main de Sidna avant de se retirer à reculons, sans jamais lui tourner le dos”. Difficile de douter de la sincérité du bonhomme, quand on sait que, dès le concours d'entrée à la police, il avait décroché des notes phénoménales dans la matière pompeusement intitulée “Fidélité au régime”.
Plus royaliste que le roi, Basri reçoit, un jour, la visite inopinée de Hassan II dans sa villa de la route des Zaërs à Rabat. “Il était trois heures du matin. Basri, incrédule, mal réveillé, a failli trébucher en descendant les marches. Il n'en croyait pas ses yeux quand il a retrouvé, assis dans un fauteuil dans l'un des salons, Hassan II. Depuis ce jour, Basri a décrété que ce fauteuil devait être ‘scellé’ et entouré d'un cordon de sécurité. Plus personne n'a jamais pu s’y installer. Interdit !”.
Le ministre a sacralisé le fauteuil du roi, mais aussi ses mots, ses gestes. Et ses opinions. “Un jour, Basri a reçu un diplomate marocain pour le féliciter de son travail. Quelques minutes plus tard, à l'issue d'une conversation téléphonique avec Hassan II, il est revenu vers le diplomate pour le blâmer devant tout le monde, sans autre forme d'explication. Tout le monde a compris que ce n'était pas Basri qui parlait, mais le roi”. La réalité du Maroc ressemble bien à une caricature : quand Hassan II aime quelque chose, Basri aussi et, par ricochet, le pays entier ! “Il suffisait de ne pas aimer le golf pour passer, ou presque, pour un opposant de Sa Majesté !”, plaisante à peine un ancien de l'UNFP.
Ça ne plaira pas à Sa Majesté !
Jusqu'au début des années 1980, Driss Basri n'a pas vraiment le temps de gérer ses propres affaires, partagé entre son volume de travail impressionnant et sa passion pour Hassan II. “Il pensait en permanence à son roi. Il pouvait prendre un objet, ou prononcer une phrase, et dire après coup : ça, ça ne plaira pas à Sidna !”. De son côté et même si, depuis la deuxième tentative de coup d'Etat de 1972, Hassan II a éclaté ses services de renseignements et multiplié le nombre de ses collaborateurs de façon à tout contrôler, il a réussi à faire de Basri, qui avait toujours ses dossiers sous le bras, son serviteur le plus sollicité. “Quand Basri était chez lui, Hassan II pouvait parfaitement passer le récupérer et l'emmener pour une partie de golf ou une simple discussion en voiture”. La proximité de Basri était si envahissante que l'un des conseillers de Hassan II s'en est, un jour, ouvert au roi. “Majesté, remarqua-t-il avec beaucoup de précaution, la logistique de vos déplacements à Marrakech est parfois alourdie par vos fréquentes escales à Settat. Sont-elles toujours nécessaires ?”. Hassan II, qui a compris le sens de la question, eut cette réponse : “Pourquoi, vous êtes vous aussi jaloux de Si Driss ?”.
Le roi fait confiance à “son” Si Driss. Il l'aime bien et (parfois) il le démontre. “Un jour, Hassan II est arrivé inopinément, pour le plaisir, dans l'une des résidences de Basri, à Benslimane. Il savait que sa famille était là, mais pas lui. C'était la veille du ramadan et le roi a dit, en s'adressant à la famille, qui était plongée dans la préparation des petits gâteaux : et moi, alors, je n'ai pas droit à ma petite part ?”.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Driss Basri n'a jamais été l'ami de Hassan II. “Il lui faisait confiance et l'estimait, parfois même, dans ses moments de détente, il s'amusait de sa présence. Mais il ne l'a jamais considéré comme un ami, privilège qu'il accordait à d'autres parmi ses collaborateurs (les Guédira, Driss Slaoui, etc.)”. Question de pedigree modeste (le père Basri était mokhazni et gardien de prison) ou, plus simplement, de feeling, de “goût” ? Nul ne le sait. “Un jour, Hassan II a eu, à l'adresse de Basri, cette phrase lourde de sens : un flic restera toujours un flic !”. Le flic Basri, en l'occurrence, a gravi tous les échelons, au point de devenir le numéro deux du régime. Mais cela ne lui suffisait pas… “Au fond de lui, il aurait aimé être premier ministre, ne serait-ce que pour un jour, même si son pouvoir aurait été probablement moindre”. Parce que Si Driss, tout puissant qu'il était, n'a jamais été qu'un ministre de l'Intérieur, qui plus est, dans un pays policier. Et il est probable que la primature aurait représenté, à ses yeux, un stade de reconnaissance suprême.
Sahara, mon amour !
Rétrospectivement, c'est bien à la mort d’Ahmed Dlimi, en 1983, que Basri a franchi le dernier jalon qui le séparait encore du maître : “Il n'avait plus de compte à rendre à personne, sinon à Hassan II, qu'il idolâtrait. Son heure était enfin venue”. L'ancien policier hérite alors définitivement d'un dossier aussi lourd qu'épineux : le Sahara. Hassan II mise, à l'époque et devant l'enlisement du conflit armé, sur la récupération politique et sociale des populations de la zone Sud. Avec Basri aux manettes, il a trouvé son homme. “Depuis le début des années 70, Driss Basri a gardé un œil sur ce qui se tramait au Sahara. Grâce à la DST, il a placé ses éléments partout et disposé, rapidement, de rapports complets sur les notables et les activistes de la région. C'est en partie ce qui lui a permis d'ouvrir le bal des négociations avec le Polisario en 1982, à Lisbonne”. Le puissant ministre se tue à la tâche et, exercice classique, alimente le monarque en rapports politiques exhaustifs et en potins sahraouis croustillants.