Mais il est un autre assassinat politique que l'on ne saurait oublier. Il s'agit de celui de Kinânah b. al-Rabî, un juif important de Khaybar. Chez lui était censé se trouver le trésor des banû al-Nadîr, la tribu juive chassée de Médine. L'envoyé d'Allah lui demanda où était ce trésor. Kinânah refusait de répondre. Après avoir trouvé une partie du trésor des Juifs, le prophète demanda à Kinânah où se trouvait le reste. Mais ce dernier refusa de l'indiquer. L'Envoyé d'Allah ordonna alors à Al-Zubayr de le torturer : « Al-Zubayr se mit à brûler avec un briquet sa poitrine, jusqu'à ce que Kinânah fût sur le point de mourir. Puis l'Envoyé d'Allah le livra à Muhammad b. Masiamah ; celui-ci lui coupa le cou, pour venger son frère Mahmûd b. Masiamah. » C'est la femme de Kinânah, Safiyya, que le Prophète prit comme épouse. Il n'eut pas la patience d'attendre le retour à Médine pour consommer le mariage. Un partisan de Mahomet, resté toute la nuit de noces a veiller, avec son épée, près de leur tente, dira au Prophète : « Je craignais la réaction de cette femme à ton égard. C'est une femme dont tu as tué le père, le mari et le peuple. » L'assassinat politique n'est pas sans troubler des musulmans contemporains comme Philippe Aziz, écrivain et journaliste de l'hebdomadaire Le Point (De son vrai nom Azîz Mahjoub, d'une famille tunisienne pieuse, qui a écrit Mahomet, le glaive, l'amour et la foi. Editions Ramsay, 1997.) qui parle de l'assassinat de Kaab Ibn Ashraf.
Salah Stétié, déjà cité, dans son livre sur Mahomet (Aux Editions Pygmalion, en l'an 2000.), a choisi, lui, d'occulter totalement tous les assassinats politiques commis à Médine. Son objectif est de présenter un Islam acceptable pour la mentalité occidentale. Roger Caratini, dans son Mahomet, parle bien du meurtre politique (p. 409). L'auteur de la fameuse Encyclopédie Bordas ne pouvait passer sous silence ce que toutes les biographies du prophète de l'époque abbasside relatent sans aucune gêne. Mais il sait qu'il écrit pour les Occidentaux et cet auteur du Génie de l'Islamisme (Aux Éditions Michel Lafon, 1996.), paraît justifier ce meurtre politique. « A ceux de nos lecteurs que ce récit scandaliserait il est à peine besoin de rappeler... qu'en Gaule depuis la mort de Clovis, en 511, le meurtre politique fleurissait chez les Francs au rythme de plusieurs assassinats par an ! La différence fondamentale entre ces actions sanglantes est importante. Le meurtre mérovingien est une sorte de meurtre successoral, par lequel on écarte un prétendant ou un rival. Le meurtre musulman est stratégique. » En d'autres termes pour Caratini, ce n'est pas Kaab Ibn Ashraf que condamne Mahomet, « c'est un rouage important du système, en l'occurrence un agent de communication et de propagande ». La mort de Kaab fit du bruit, raconte Caratini, et Muhammad ben Masiama l'exécuteur des hautes oeuvres se vanta d'avoir semé la terreur parmi les Juifs de Médine. Le prophète proclama devant ses fidèles :
« tuez tout juif qui tombera en votre pouvoir. »
Dans son livre sur Mahomet (Mahomet, aux Editions du Seuil, 1961), Rodinson parle des assassinats politiques. Ainsi au retour de Badr la rancune du Prophète se déchaîna contre deux prisonniers mecquois qui avaient dirigé contre lui des attaques intellectuelles. Ils s'étaient informés à des sources juives et iraniennes, lui avaient posé des questions difficiles. Ils s'étaient moqués de lui et de ses messages divins. Mahomet ordonna de les exécuter. L'un d'eux lui dit : « Et qui s'occupera de mes garçons Muhammad ? » II répondit : « L'Enfer » ! En fait l'assassinat fait partie des moyens utilisés par Mahomet pour émerger dans cette politique tribale et arriver à être suffisamment puissant pour qu'on ne songe pas à tirer vengeance de lui et de ses fidèles. Des partisans fanatiques entourent le prophète, prêts à exécuter les basses besognes. Mais c'est Mahomet qui « lance le contrat ». Faire peur, si peur que personne n'osera plus rien tenter contre lui, c'est la stratégie du prophète de l'Islam. Mais faire peur seulement quand il faut. Ainsi on lui rapporta des propos insultants tenus par Ibn Ubayy, le chef noble de la tribu arabe des Khazraj, le converti du bout des lèvres qui déteste Mahomet qui n'est pour lui qu'un vil, Omar lui dit : « Ordonne à Abbad Ibn Bishr de le tuer ! » Mahomet répondit :
« Comment cela Omar ? Et les gens diront que Mahomet tue ses compagnons ! » Ibn Ubayy, là-dessus, vint tout nier avec serment à l'appui. Les Médinois le soutinrent et Mahomet passa l'éponge. Plus tard Ibn Ubayy se comporta de telle façon que les Médinois le désapprouvèrent. Alors Mahomet dit à Omar : « Qu'en dis-tu, si je l'avais tué, par Allah, le jour où tu me l'as conseillé, les chefs médinois en auraient tremblé de rage et maintenant si je leur ordonnais de le tuer, ils le tueraient. »