Guantanamo, l'ancien chauffeur d'Oussama Ben Laden a été reconnu coupableLE MONDE | 07.08.08 | 14h39 • Mis à jour le 07.08.08 | 14h39
WASHINGTON CORRESPONDANTE
e premier procès devant un tribunal d'exception américain depuis la seconde guerre mondiale s'est achevé, mercredi 6 août à Guantanamo Bay, par un verdict de culpabilité. Le Yéménite Salim Ahmed Hamdan, ancien chauffeur d'Oussama Ben Laden, a été reconnu coupable par un jury de six officiers, cinq hommes et une femme, de la moitié des charges dont il était accusé. La peine sera décidée dans un deuxième temps. Déclaré "ennemi combattant", il n'aurait de toute façon pas été libéré, même acquitté.
Les jurés ont reconnu Salim Hamdan coupable d'avoir
"apporté un soutien matériel au terrorisme". Ils n'ont pas été convaincus par l'argument de la défense selon lequel Hamdan n'était que l'un des sept chauffeurs et que l'un de ses co-détenus, Abdullah Tabarak, avait été jugé apte à être renvoyé au Maroc en 2004 alors qu'il était le chef des conducteurs et gardes du corps de Ben Laden. Mais la défense a dû admettre que Hamdan avait prêté serment d'allégeance au chef d'Al-Qaida.
Les jurés n'ont en revanche pas suivi le procureur dans l'accusation de
"complot" ou association de malfaiteurs pour mener à bien des actions terroristes. Il a été acquitté de ces charges. Quatre voix sur six étaient nécessaires, par un vote à bulletin secret, pour prononcer un verdict de culpabilité.
Le procès était aussi celui des commissions militaires, le système mis en place par l'administration Bush et le Congrès afin de juger les détenus en dehors du sol américain. Plusieurs organisations de défense des droits de l'homme et une trentaine de journalistes ont pu assister aux audiences. A la dernière minute, il est apparu que le juge n'avait pas procuré à la défense la définition correcte de
"crimes de guerre" s'agissant d'un
"ennemi combattant", mais les parties ont décidé de poursuivre malgré tout.
Au fil des audiences, des sous-entendus ont permis de comprendre que toute la lumière était loin d'être faite sur les interrogatoires de l'accusé. Deux officiers des services de renseignement ont témoigné à huis clos. L'avocat militaire de Hamdan, le commandant Mizer, a laissé filtrer que pendant ces dépositions secrètes avait été mentionnée
"une offre significative de coopération" faite par le détenu fin 2001.
"Vous savez ce que Hamdan a accepté de faire, a-t-il rappelé aux jurés.
Vous savez ce qui s'est passé, et comment nous avons laissé passer cette occasion." Selon le
Washington Post, Hamdan avait offert d'aider à trouver Ben Laden.
Le gouvernement a reconnu qu'en 2003, au plus fort des interrogatoires, Hamdan avait été réveillé toutes les heures pendant 50 jours. Le FBI, qui l'interrogeait dans la journée, en tentant d'établir un rapport de confiance avec lui, ignorait qu'une
"autre agence" l'interrogeait la nuit avec d'autres méthodes.
"Rien ne me surprend plus", a réagi l'agent George Crouch, un témoin de l'accusation, qui faisait partie des interrogateurs de jour. Par "autre agence", il faut entendre CIA, mais le juge a interdit que ce nom soit prononcé dans la salle, selon Julia Hall, l'observatrice de Human Rights Watch.
La Maison Blanche s'est félicitée de ce que Salim Hamdan a eu un procès
"équitable". Le processus a renforcé la conviction du président Bush que le système de commissions militaires est
"juste et approprié", a expliqué le porte-parole Tony Fratto. Les Américains - à une majorité de 71 % - sont aussi de l'avis que la justice criminelle ne doit pas s'appliquer aux étrangers suspects de terrorisme, selon un sondage Rasmussen du 24 juillet ; 59 % sont contre la fermeture de Guantanamo.
Les organisations de défense des droits de l'homme ont dénoncé une procédure qui prend en compte les déclarations obtenues
"par coercition" et admet les accusations par
"ouï-dire" sans que l'accusateur ne soit convoqué pour tenir ses propos devant la Cour.
"Soyons sérieux, a dit Neal Katyal, le professeur de droit qui a plaidé pour Hamdan devant la Cour suprême.
Nous n'allons pas gagner la "guerre contre le terrorisme" en prenant un chauffeur et en lui faisant en procès sept ans après les faits." La défense a deux possibilités de recours : devant la justice militaire et devant la cour d'appel fédérale du District de Columbia, à Washington.
Corine LesnesArticle paru dans l'édition du 08.08.08