Le mythe de l’islam modéré lundi 23 mars 2009, par
Etincelle Kabyle Face
aux menées violentes des groupes terroristes de toute origine, et à la
progression sans cesse attestée de la menace qu’ils font peser,
l’Occident cherche laborieusement des solutions.
L’article qui suit montre que la ligne de partage entre les
musulmans modérés et radicaux est si floue et subjective que l’on ne
peut pas mener une politique anti terroriste sérieuse en se fondant sur
cette distinction.
Il propose une approche pragmatique qui s’interdirait de rechercher
dans les débats théologiques entre musulmans le moyen de séparer le bon
grain de l’ivraie.
Soutenir
la modération dans tout ce qui a trait à l’islam semble aller de soi ;
mais malheur au responsable politique qui essaye de transformer une
idée plausible en stratégie réalisable.
De toutes les thérapeutiques proposées pour traiter les nombreux
fléaux qui affligent le Moyen-Orient, il en est un qui rencontre
l’assentiment général : renforcer l’Islam modéré.
Voila qui semble éminemment rationnel. Si l’extrémisme islamique est
le problème, l’Islam modéré doit être la solution. Il s’ensuit que les
gouvernements occidentaux sont requis de trouver comment donner aux
modérés plus de pouvoir et comment encourager les extrémistes à se
faire plus modérés. Si l’on autorise les islamistes à participer à la
vie politique et à détenir du pouvoir, leur argumentaire s’évanouit, et
ils ont moins de raisons de se radicaliser. En outre, l’exercice
journalier des tâches courantes du gouvernement contraindrait même les
groupes les plus extrêmes à s’occuper davantage de combler les nids de
poule que de détruire le grand Satan.
Mais cette croyance est complètement erronée. Il est impossible de
se mettre d’accord sur une définition opérationnelle du mot "modéré,"
mais de plus, il y a bien peu de preuves que les extrémistes deviennent
vraiment modérés quand ils assument le pouvoir.
Prenons par exemple le cas du Hezbollah. L’organisation chiite
fournit des services comme l’éducation et la santé à la population du
sud de Beyrouth et du sud- Liban comme le ferait un État. Cette
organisation, qui a des représentants au parlement libanais depuis
1992, a souvent montré un degré étonnant de pragmatisme. Elle a
participé en mai 2005 à une alliance électorale avec plusieurs de ses
adversaires pour maximiser ses scores électoraux dans des
arrondissements cruciaux. Or, à peine quelques mois plus tôt, pendant
le "soulèvement de l’indépendance" du Liban qui a bouté l’allié du
Hezbollah, la Syrie, hors du Liban, l’organisation affaiblissait
l’unité nationale.
Mais au printemps, le Hezbollah a révélé à quel point il reste un
groupe militant. Ses cadres ont pris le contrôle de Beyrouth-ouest et
fait étalage de leur force pour bien prouver que le groupe n’avait pas
l’intention de renoncer à ses armes. Le pouvoir politique du Hezbollah
est basé pour l’essentiel sur l’idée puissante "de la résistance
nationale" à l’agression israélienne. Si le Hezbollah désarmait, il ne
serait pas différent des factions politiques innombrables du Liban qui
se bousculent pour prendre l’avantage sur les autres. C’est précisément
le militantisme de l’organisation qui fournit au Hezbollah un avantage
politique significatif sur ses rivaux. Pourquoi y renoncer ?
On peut dire la même chose du Hamas. Deux ans après sa victoire
électorale, une année après sa prise de contrôle de Gaza par la force,
et en dépit des tensions et des déchirures avérées dans cette
organisation, il y a peu de raisons de penser que le groupe islamiste
palestinien se soit modéré. Le signe le plus clair d’un changement de
la vision du Hamas aurait été qu’il accepte les conditions de la
communauté internationale. Mais pourquoi le faire ? Si le Hamas
acceptait le droit d’Israël d’exister, renonçait à la lutte armée, et
honorait les accords existants entre Israël et l’Autorité
Palestinienne, il cesserait d’être le Hamas et ne deviendrait en
réalité que l’ombre de son rival, le Fatah. Les islamistes n’ont pas
seulement battu le Fatah sur le champ de bataille, mais – et c’est plus
important-, ils ont également répandu un récit qui a eu du succès sur
l’inutilité du dialogue avec Israël. Dans la politique palestinienne,
satisfaire les exigences internationales n’est pas vraiment censé.
Il y a un autre argument courant mais fallacieux sur l’islam modéré.
Il prétend que si on donnait plus d’audience aux voix de la modération,
les idéologies extrémistes d’Al Qaeda et d’autres groupes recruteraient
moins d’adhérents. Bien que cela semble raisonnable, bonne chance à qui
tente de la définir.
Prenons le cas du cheikh Youssef al-Qaradawi, une star de TV
influente dans le monde arabe. Son émission hebdomadaire sur
Al-Jazeera, la Charia et la vie, attire des millions de
téléspectateurs. Qaradawi a adopté des positions de progrès sur la loi
sur la famille, sur le statut des femmes et la réforme politique. Il a
récemment dit aux fonctionnaires du gouvernement égyptiens de "moins
prier" pour améliorer leur productivité. Beaucoup d’Arabes le
considèrent comme résolument modéré. Pourtant le cheik a également
donné sa caution théologique aux attentats-suicide contre les
Israéliens, arguant du fait que puisque tous les Israéliens servent
comme militaires à un moment ou à un autre, ce sont tous des cibles
légitimes. Il est difficile de croire que les observateurs qui
appellent au soutien de l’Islam modéré ont Qaradawi en tête.
Ou alors prenons le cas de Ali Akbar Hashemi Rafsanjani. À
l’intérieur du Beltway, au Moyen-Orient beaucoup de mains se lèvent,
avec bonne conscience dans l’espoir que l’ayatollah et ancien président
gagne la prochaine élection présidentielle iranienne. Bien sûr, il fait
figure de modéré par rapport au candidat sortant, Mahmoud Ahmadinejad.
Mais Rafsanjani est le type qui a supplié dans le passé les Iraniens de
tuer des Occidentaux là où qu’ils pourraient en trouver, déclarant, "il
n’est pas difficile de tuer des Américains ou des Français. Il est un
peu difficile de tuer [des Israéliens]. Mais il y a tellement
[d’américains et de français] partout dans le monde."
Cependant, s’il y a un problème pour définir l’Islam modéré, le
parti turc pour la Justice et le Développement (AKP) l’illustre
parfaitement. Ce parti semble être le parangon de l’islamisme modéré.
Il a entrepris un train de réformes et fondé son héritage politique sur
l’entrée d’Ankara dans l’Union européenne. Cependant, les archi laïcs
de Turquie et un certain nombre d’observateurs occidentaux honnêtes
considèrent ce parti avec une profonde suspicion. Citant l’initiative
récente de l’AKP pour supprimer l’interdiction de porter le voile dans
les universités financées par l’État comme l’exemple le plus
révélateur, ils affirment que le véritable ordre du jour de ce parti
est d’islamiser la société turque. Quel parti les États-unis
doivent-ils prendre dans ce cas ?
Comme les critères qui caractérisent "
un modéré" sont
follement différents, les responsables politiques tournent en rond
quand ils essaient de déterminer qui est un modéré, digne de soutien,
et qui ne l’est pas. Le modéré de l’un est le radical de l’autre, et le
modéré d’une autre personne n’est qu’un dindon de l’Occident. Définir
une politique fondée sur le soutien à l’Islam modéré c’est rechercher
les complications.
Une position plus astucieuse consiste à éviter tout à fait les
discussions théologiques. Comme avec toutes les grandes croyances, il y
a des discussions houleuses entre des groupes en concurrence au sein de
l’Islam sur l’interprétation appropriée des textes sacrés et le rapport
entre la religion et la politique. C’est parce que ces arguments sont
opaques pour les étrangers que les responsables politiques doivent
résister à la forte envie de s’en mêler. Comme la modération est dans
le regard que porte le spectateur, Washington ne doit pas avoir de test
idéologique définitif pour déterminer contre qui il souhaite s’engager.
Les responsables politiques doivent plutôt s’efforcer d’identifier ceux
qui peuvent contribuer à apporter des solutions pragmatiques aux
nombreux problèmes que nous rencontrons dans la région, qu’ils soient
des "modérés" ou pas.
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