22 mar 2008Par Benjamin Stora
Les titres de la presse marocaine de cette semaine sont inquiétants. Ils indiquent un retour de crise à propos d’une guerre des sables oubliée, le conflit au Sahara occidental entre le Maroc et le Front polisario.
A la une de
Maroc Hebdo du 19 mars 2008, on peut lire :
«Le Sahara vaut bien une guerre.L'échec de Manhasset [lieu de la négociation entre Marocains et représentants du Polisario] fait monter la tension entre le Maroc et l'Algérie. Tous les ingrédients sont réunis pour imaginer le pire : c'est sur les 500 km de la ligne de partage que l'effort de guerre de l'Algérie est tourné».Le 21 mars,
Aujourd’hui le Maroc annonce :
«Le processus de Manhasset, entre le Maroc et le Polisario, semble s'éteindre. L'impasse est notable, et les Nations Unies semblent se résoudre à cette situation. Aujourd'hui, il est évident que le Maroc à Manhasset n’est pas face au vrai “interlocuteur” de la crise. Tant que l’Algérie n'assume pas directement sa responsabilité dans cette crise bilatérale profonde, la solution au conflit restera hors de portée».
Le conflit Sahara occidental, vieux d’une trentaine d’années puisque datant du début des années 1970, empoisonne plus que jamais les relations entre les deux plus grands pays du Maghreb, l’Algérie et le Maroc, et freine la construction politique entre tous les pays de cette zone de l’Afrique du nord.
La
chronologie des faits permet de se retrouver dans cette guerre compliquée du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole revendiquée par le Maroc et le Front Polisario. Le 16 octobre 1975, la Cour internationale de justice (CIJ) de la Haye reconnaît l’existence de liens pendant la colonisation entre le Sahara occidental, le Maroc et la Mauritanie, mais les jugeant insuffisants, se prononce pour l’autodétermination de la population du territoire. Le 6 novembre, 350 000 Marocains entreprennent, à l’appel du roi Hassan II,une «Marche verte» pour marquer l’appartenance du territoire au Maroc. Quelques jours après, le 14 novembre, un accord signé à Madrid met fin à la colonisation du Sahara : l’Espagne cède au Maroc le nord et le centre du territoire. Le sud revient à la Mauritanie.
Mais
coup de théâtre : le 27 février 1976, le Front Polisario, qui réclame l'indépendance du Sahara occidental, proclame la «République arabe sahraouie démocratique» (RASD). La Mauritanie signe un accord de paix le 5 août 1979, avec le Polisario, renonçant au sud du Sahara. Les forces marocaines s’y déploient. De 1976 à 1980, le Polisario, soutenu par la Libye et l'Algérie, inflige des revers aux forces armées marocaines. A partir de 1980, la guerre tourne à l’avantage du Maroc, grâce à sa stratégie des «murs» de défense. Le 12 novembre 1984, le Maroc quitte l'Organsation de l'unité africaine (OUA, après l'admission de la RASD. Rabat n'a toujours pas intégré l'Union africaine (UA), qui a succédé à l'OUA. Le rapprochement de l'Algérie et du Maroc en 1988 et la perspective d'une proclamation de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) produisent leurs effets. Le 30 août 1988, le Maroc et le Polisario acceptent un plan de paix de l'ONU prévoyant l'instauration d'un cessez-le-feu et la tenue d'un référendum d'autodétermination. Un cessez-le-feu est proclamé le 6 septembre 1991 sous la surveillance de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO).
Référendum ou autonomie ? Le 3 décembre 1997, des opérations d’identification des électeurs sont menées, bloquées depuis trois ans après la relance du processus de paix sous l’égide de l’ancien secrétaire d'Etat américain James Baker. Le Maroc et le Polisario acceptent, le 12 mai 1999, un nouveau plan de l’ONU prévoyant un nouveau report du référendum. Mais, le 28 juin 2000, c’est l’échec de négociations à Londres sous l’égide de James Baker, le Polisario rejetant l'examen d'une «troisième voie» prévoyant une autonomie du Sahara, proposée par le Maroc. Le Front Polisario rejette toute autre solution que le référendum d’autodétermination. Le 29 juin 2001, l’ONU adopte une résolution de compromis qui encourage le Maroc et le Front Polisario à discuter du plan de l'ONU sur une autonomie du Sahara occidental tout en maintenant l'option du référendum. Le Polisario refuse cette nouvelle proposition.
Face à
l'impasse du conflit, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, présente le 19 février 2002 quatre options: l’organisation d’un référendum, la mise au point d’un large statut d'autonomie, le partage du territoire et le désengagement de l'ONU, option refusée par le Conseil de sécurité. Signe de raidissement du conflit, le 27 février 2002, le président algérien Abdelaziz Bouteflika se rend dans les camps de réfugiés du Front Polisario, c’est la première visite d’un président algérien. Le 18 juin 2002, cent prisonniers de guerre marocains sont libérés par le Polisario. Mais 1262 prisonniers restent détenus selon Rabat.
Le Front Polisario ne cesse de demander à l'ONU
«d'arrêter une date définitive» pour la tenue du référendum. Proposition rejetée par le Maroc : le roi du Maroc Mohamed VI a jugé le 7 novembre 2002
«obsolète» et
«inapplicable» le référendum d'autodétermination prévu par l'ONU. Ce référendum a été constamment repoussé depuis 1991 notamment en raison de divergences sur la composition du corps électoral.
Depuis la situation est bloquée, et les négociations qui se sont déroulées à l’été 2007 à NewYork n’ont pas permis de faire avancer la solution du problème. D’un côté, le Polisario soutenu par l’Algérie qui réclame un référendum d’autodétermination ; de l’autre le Maroc qui propose un large statut d’autonomie pour le Sahara. La France appuie cette proposition marocaine, ce qui aggrave son contentieux avec l’Algérie.
Reprise d'une guerre ? Dans le quotidien algérien
El Watandu22 décembre 2007, le Polisario menace de reprendre la guerre :
«Le gouvernement marocain assumera pleinement les conséquences qui découleraient de l’échec du processus de négociations, notamment la reprise des hostilités militaires.» Le Front Polisario a décidé de
«mettre en priorité des priorités l’Armée populaire de libération sahraouie (ALPS), de façon à lui fournir tout ce dont elle a besoin, moralement et matériellement, et d’augmenter ses capacités combatives». Dans cette région saharienne où se profile avec inquiétude la menace islamiste, venant de la Mauritanie ou du sud algérien, plus que jamais s’impose une solution rapide de compromis, entre le référendum accepté par le Maroc, et l'autonomie provisoire acceptée par le Front Polisario et l’Algérie ?